La confusion mentale

151 | par Michel

La confusion mentale est probablement la situation pathologique la plus mal connue et la plus mal comprise par les professionnels du soin. C’est dommage, parce que c’est aussi l’une des plus fréquentes, surtout chez les vieilles personnes, surtout en fin de vie.

On aura fait sans doute un bon bout du chemin quand on aura acquis deux points essentiels.

QU’EST-CE QUE LA CONFUSION MENTALE ?

Le jeu de mots n’est pas que facile, il est aussi très lourd de sens : ce qui est le plus confus, ce sont les idées sur la question. Or l’enjeu est capital.

En particulier il est habituel de voir parler de confusion dès lors qu’on n’arrive pas à comprendre les propos ou le comportement du malade. Mais ce qui est confus, là, c’est notre perception du malade ; c’est ce qui fait que certains, pour éviter de parler de démence, parlent de « personnes confuses » ce qui fait qu’on n’y comprend plus rien (on fait la même erreur quand on euphémise la démence en parlant de « personnes désorientées » : le problème n’est pas de changer les mots qui désignent la démence, mais de changer le regard que nous portons sur elle. On va plus loin : il est usuel de dire que « la démence est une confusion qui dure », ce qui est sans soute très évocateur mais parfaitement inepte.

La confusion mentale est un dysfonctionnement global du cerveau qui se produit quand on ne place dans de mauvaises conditions de fonctionnement. Deux de ces situations sont connues de tous :
- Quand on chauffe un cerveau, il fonctionne moins bien : la fièvre est une grande cause de confusion mentale ; les œuvres de la comtesse de Ségur fourmillent des descriptions de ces enfants qui « délirent » dans leur fièvre ; ce n’est pas un délire mais une confusion.
- Quand on trempe un cerveau dans l’alcool, il fonctionne moins bien : l’ivresse est une confusion mentale.

C’est sur cette dernière situation, dont j’ai lieu de supposer qu’elle a été vécue par un grand nombre de lecteurs de ce site, qu’il est le plus simple de s’appuyer pour comprendre ce qu’est une confusion mentale. A condition de se rappeler une évidence : si on trempe vraiment beaucoup un cerveau dans l’alcool, il ne fonctionne plus du tout ; nous ne parlons donc ici que d’ivresses légères.

Ce que je peux observer quand je suis légèrement ivre, c’est qu’il se produit un décalage entre ce que je perçois et ce que je ressens ; en d’autres termes les images m’arrivent, les informations sont reçues, mais il se produit un retard entre le moment où je les reçois et celui où je peux les identifier ou les utiliser. Je perds l’automatisme qui fait que l’information est traitée de manière quasi instantanée, il faut que je fasse un effort pour y parvenir. Ainsi je peux marcher, mais, ayant provisoirement perdu toute la machinerie qui fait que dans la vie ordinaire je marche sans y penser et sans aucun effort, il faut que je supplée cette défaillance par un effort de volonté. C’est cela la confusion : ce qui est confus, c’est ma relation au monde. Ajoutons que ma conscience n’est pas abolie : s’il y a une chose que je n’oublie pas quand j’ai bu, c’est que j’ai bu ; et que je dois éviter qu’on s’en aperçoive.

On voit aussi un autre point : cette description est assez voisine de ce qu’on observe dans le rêve, et plus encore de ces instants étranges où, au moment du réveil ou de l’endormissement, les choses et les événements acquièrent une sorte d’étrangeté qui fait que, l’espace d’un instant, on ne sait plus très bien les analyser. C’est que ces moments particuliers sont par nature des périodes où le cerveau s’est de lui-même placé dans des conditions de fonctionnement qui seraient inadéquates dans la vie ordinaire. Cela suffit à expliquer pourquoi les syndromes confusionnels sont défavorablement influencés par la nuit ou l’obscurité.

LA CONFUSION MENTALE EST UN TROUBLE ORGANIQUE :

Redisons-le : le malade fait une confusion mentale quand son cerveau est placé dans de mauvaises conditions de fonctionnement.

Il est certain qu’une détresse psychologique extrême, une anxiété majeure, une dépression intense, ou même simplement (si on ose dire) l’approche de la mort peuvent, notamment par le biais de sécrétions de neuromédiateurs dont on imagine sans peine le mécanisme et l’influence, réaliser ces mauvaises conditions de fonctionnement. Il existe donc, et en grand nombre, des confusions mentales psychogènes, et la confusion fait partie du tableau habituel en toute fin de vie.

Il n’en reste pas moins que la confusion mentale est avant tout une pathologie organique. L’erreur la plus usuellement commise est de méconnaître ce point essentiel. Ceux qui sen rendent coupables sont victimes d’une erreur d’analyse : c’est que les symptômes de la confusion sont pratiquement tous des symptômes psychiques, ce qui pousse à s’imaginer que les causes en sont majoritairement psychogènes. Cette erreur est d’autant plus facile à commettre que :
- Quand on se met à penser n’importe quoi, on ne pense pas n’importe quoi. Comme dans le rêve, les pensées qui viennent dans un cerveau en difficulté ont toujours un rapport p lus ou moins étroit avec le vécu de la personne, et notamment avec ses désirs, ce qui permet de se livrer à peu de frais à une foule d’interprétations pertinentes. Ces interprétations, il faut les faire, bien sûr ; mais condition de ne pas méconnaître que le problème n’est pas là. En d’autres termes quand j’ai bu je dis surtout des choses que je n’avais pas prévu de dire : in vino veritas. C’était tout le problème, dans un domaine différent, de l’antipsychiatrie : le sujet qui délire dit quelque chose, et ce quelque chose doit être écouté ; l’inconvénient était qu’à laisser prospérer le délire on courait le risque de le voir s’approfondir et se pérenniser ; mais l’idée était bonne.
- Les choses sont donc nécessairement mélangées : quand un sujet entre en confusion il y a toujours une situation multifactorielle, où les facteurs psychogènes viennent interférer sur d’autres facteurs qui, eux, ne le sont pas.

C’est ainsi, par exemple, qu’on se trompe lourdement quand, chez le sujet âgé, on confond démence et confusion : le malade qui présente une confusion mentale à la suite d’une anesthésie n’est pas dément pour autant, et le malade qui a déclenché une démence à la suite d’une anesthésie est un mythe. Mais… quand, six mois après l’incident, on réalise un bilan cognitif chez le malade, on s’aperçoit une bonne fois sur deux qu’il y avait une démence préexistante : la confusion n’est pas une démence, mais elle est plus fréquente chez le dément. De la même manière en fin de vie les facteurs psychogènes sont omniprésents ; mais en tirer prétexte pour oublier que les déclencheurs sont majoritairement organiques relève de la faute professionnelle.

Je me souviens de cette malade, jeune, qui se mourait à domicile d’un cancer de l’utérus. Elle présentait un état confusionnel typique au cours duquel elle évoquait une sensation étrange, non pas douloureuse, de tension dans le ventre, et de quelque chose qui voulait sortir. Nous avons vite compris qu’elle évoquait, dans ces derniers jours de sa vie, quelque chose qui était de l’ordre de l’accouchement, de quelque chose qu’elle devait, avant de mourir, mettre au jour. Et nous avions raison. Mais quand on a évacué son fécalome elle s’est trouvée beaucoup mieux.

Il est éthiquement inacceptable de voir, en fin de vie, des malades confus pour lesquels on renonce à toute investigations au motif que c’est sûrement psychogène, et que d’ailleurs c’est mieux comme ça pour lui, qu’il ne se rende pas trop compte. Et voici le malade dûment sédaté, alors qu’en normalisant son taux de calcium on réglait le problème. Quelle importance, si on est à une semaine de son décès ? Une semaine de la vie d’un autre, moi, ça m’importe.

DESCRIPTION CLINIQUE DE LA CONFUSION MENTALE :

Le but n’est pas ici de faire une étude complète, mais simplement de souligner les points essentiels.

Avent d’entrer dans les détails de la sémiologie, il faut pointer l’importance des caractères évolutifs du trouble. La confusion mentale s’installe rapidement, voire brutalement. Et les signes et symptômes ont la particularité déroutante de fluctuer considérablement, notamment en fonction de facteurs environnementaux : c’est le cas surtout de l’obscurité, de la nuit ou tout simplement du soir, qui viennent aggraver le trouble (au point que la première mesure à prendre est de laisser le malade dans la lumière) ; c’est le cas de la présence de personnes autour du patient ; c’est le cas enfin (mais on pourrait continuer longtemps cette énumération) de tout ce qui ressemble à un enfermement, ce pourquoi il faut laisser les portes ouvertes, ce pourquoi aussi les contentions (parfois cependant inévitables), sont la dernière chose à faire.

- Il y a un trouble de la vigilance. Ce trouble est généralement peu important, se limitant à une difficulté de concentration. Mais il peut aussi être plus intense, allant vers l’obnubilation, la stupeur, éventuellement le coma. La première difficulté est là : le trouble de la vigilance fait partie du tableau habituel de la confusion mentale, et il n’y a pas lieu de lui accorder une valeur péjorative ; mais parmi les affections qui vont engendrer un état confusionnel il y en a qui sont susceptibles de déclencher par elles-mêmes un trouble de la vigilance qui, relativement à cette cause, est un signe d’une extrême gravité. Ici encore il faut penser à l’exemple de l’ivresse : le trouble de la concentration en est la première manifestation, et n’a pas de valeur pronostique ; quand on en est au coma éthylique, c’est une autre histoire. Ainsi un trouble de la vigilance est systématique dans la confusion mentale ; mais il devient une urgence si la cause de la confusion est par exemple une encéphalite…
- Il y a un trouble intellectuel qui porte sur la mémoire, le raisonnement, le jugement (rappelons d’un mot la différence : quand je dis que deux et deux font quatre, c’est un raisonnement ; quand je dis que deux et deux font peu de chose, c’est un jugement). Ceci entraîne un trouble du cours de la pensée, avec des propos incohérents ou inadaptés, une fuite des idées.
- Il y a, de manière quasi systématique, une désorientation temporo-spatiale : le sujet ne sait plus où il est, ni quand il est. Ici aussi, rappelons que la désorientation ne concerne que les notions de temps et d’espace ; quand on dit des déments que ce sont « des personnes désorientées », on mélange le fait qu’ils ne savent plus où ils sont (ce qui est vrai) avec le fait qu’ils ne savent plus où ils en sont (ce qui tout de même est un autre problème).
- Il y a souvent un trouble de la perception qui peut entraîner des illusions (le sujet voit un objet qui existe mais ne sait pas interpréter correctement ce qu’il voit), ou plus rarement des hallucinations (le sujet voit un objet qui n’existe pas).
On observe enfin les conséquences de ce qui précède :
- Perte du contrôle de soi, surtout au plan émotionnel : les débordements affectifs de l’ivrogne (ou du hooligan) suffisent à en témoigner.
- Agitation.
- Et surtout, ce signe très fidèle, qu’on trouve toujours si on se donne la peine de le chercher, qu’on nomme la perplexité anxieuse, qui traduit le fait que le sujet reste conscient que quelque chose ne va pas.

Le diagnostic n’est pas toujours simple, notamment :
- Parce que les troubles sont fluctuants, ce qui fait que le sujet peut paraître normal ; c’est dire l’importance de l’interrogatoire de l’entourage.
- Parce que, quand le sujet est vraiment très confus il est difficile à interroger.
- Mais aussi parce que la confusion mentale a une cause, que cette cause a sa propre sémiologie, qui vient interférer avec les signes de la confusion proprement dite ; il suffit de songer au cas de la confusion mentale liée à un accident vasculaire cérébral : ce dernier peut occasionner ses propres troubles de la conscience, il peut avoir créé une aphasie, des troubles sensitifs, voire (même si c’est plus rare) sensoriels, etc. Autant dire que pour parvenir à diagnostiquer une confusion mentale chez le dément évolué, il faut une solide rigueur méthodologique. Ou, ce qui est plus simple et plus sûr, y penser systématiquement.

C’est une urgence parce que :
- La confusion mentale peut être la seule manifestation évidente d’une pathologie aiguë qui présente ses propres dangers.
- Le malade confus peut, dans son agitation, se mettre en danger.
- La confusion, si on la laisse s’installer, risque d’évoluer pour son propre compte et s’auto-entretenir, de sorte que le retour à la normale peut être très long, voire ne jamais se produire.

LES PRINCIPALES CAUSES DE CONFUSION MENTALE :

Il ne s’agit pas davantage ici de dresser une liste exhaustive, mais de proposer une simple check-list.
- Les médicaments : C’est une cause majeure chez le sujet âgé. Quels médicaments ? Tous ; certains plus que les autres, certes ; mais il est obligatoire, face à un malade confus, de commencer par regarder l’ordonnance, et de repérer les médicaments nouvellement introduits ; ou récemment supprimés. Sans oublier l’automédication, et le déremboursement des médicaments a mis en vente libre des produits particulièrement puissants et dangereux.
- Les autres toxiques : l’alcool, bien sûr, mais aussi les diverses drogues, l’oxyde de carbone…
- Tous les grands désordres biologiques, qu’il s’agisse des hypoglycémies, des déshydratations, des troubles du calcium, etc.
- Toutes les pathologies d’organe (poumon, cœur, foie, rein), qu’il s’agisse de défaillances fonctionnelles ou de pathologies aiguës (infarctus, embolie, trouble du rythme…).
- Les troubles endocriniens (thyroïde, surrénale…).
- Toutes les infections (respiratoires, rénales, méningées…).
- La fièvre en elle-même.
- Tous les inconforts d’une manière générale, surtout chez le dément, et notamment la douleur, mais aussi par exemple le fécalome ; le cas d’école est la rétention d’urine.
- Plus rares, en fin de compte, sont les causes neurologiques. On sait qu’un passage en confusion fait partie des critères diagnostiques de l’épilepsie ; on a déjà parlé des méningites ; bien entendu une confusion peut accompagner un accident vasculaire cérébral, un hématome, un traumatisme, une tumeur.

La confusion post-anesthésique s’explique par l’addition de plusieurs facteurs :
- L’effet propre des anesthésiques : n’oublions pas que le principe même de l’anesthésie est de réaliser une intoxication.
- La douleur, l’immobilisation.
- L’incapacité à analyser correctement la situation : comme on l’a vu plus haut, la confusion post-anesthésique n’induit pas la démence mais bien souvent elle la révèle.

Ce n’est que quand on a fait le tour de toutes ces hypothèses qu’on peut envisager une cause psychogène. Redisons-le : les causes psychogènes sont très fréquentes, mais il est inacceptable d’en tirer argument pour éluder la recherche soigneuse des causes organiques. C’est pour insister sur ce point que je n’exposerai pas ici ces causes psychogènes. Ce serait d’ailleurs mission impossible, tant les situations sont variées. Il suffira d’indiquer que si l’anxiété est un des facteurs déclenchants les plus puissants, il ne faut pas oublier la dépression. Et on comprend aisément la fonction de la confusion, qui en cas de souffrance psychologique majeure joue un rôle protecteur particulièrement efficace.

LE TRAITEMENT DE LA CONFUSION MENTALE :

Pour le dire d’un mot, le traitement de la confusion se résume à celui de sa cause. Ce traitement est une urgence, non seulement parce que cette cause peut présenter ses propres dangers, mais aussi parce qu’il ne faut pas laisser la confusion s’installer.

Pour la confusion en elle-même, il y a peu à faire : notamment il est absurde de prescrire des sédatifs ou, pire, des neuroleptiques qui ne feront qu’aggraver la situation. Je n’ignore pas qu’il y a des absurdités qu’on est parfois acculé à commettre. De même, il est absurde d’imposer au malade confus une contention ; mais on n’a pas toujours le choix…