Cert artcile a été revu le 2 août 2012

Vieillissement et alimentation Inédit

22 | (actualisé le ) par Michel

VIEILLISSEMENT ET ALIMENTATION

Parler de gériatrie, c’est toujours plus ou moins envisager deux questions comme distinctes, comme si on avait affaire à deux disciplines.

Il y a tout d’abord l’ensemble de ce qu’on doit faire pour que le vieillissement se passe de la manière la plus harmonieuse possible. C’est là l’aspect préventif de la gériatrie, c’est la partie qui s’adresse aux « jeunes vieux », comme disent les anglo-saxons, c’est-à-dire la tranche des 65-80 ans.

Mais il y a aussi l’ensemble de ce qu’on doit faire pour soigner ceux qu’on appelle les « vieux vieux », les plus de 85 ans. Là les choses changent, car le vieillissement est fait, il est là, et le problème est moins de lutter contre les effets du vieillissement que de tâcher de s’y adapter.

Naturellement, cette distinction est tout à fait artificielle, et à mesure que la longévité progresse la frontière entre ces deux catégories de sujets se déplace : quand on a 90 ans il y a encore des actions à mener pour prévenir les effets du vieillissement.

Cette distinction va se retrouver dans un sujet comme l’alimentation : les préoccupations ne seront pas exactement les mêmes selon qu’on a 70 ou 90 ans, même si les choses tendent là aussi à évoluer.

LES BESOINS DU SUJET VIEILLISSANT

S’il est une idée reçue à détruire, c’est bien que les besoins du jeune vieux sont différents de ceux du jeune.

Les apports caloriques :

Tout le monde a tendance à dire que le sujet âgé a besoin de moins de calories que le sujet jeune. C’est globalement faux.

Dans les dépenses énergétiques de l’être humain, il y a trois catégories :
- 1. Il y a d’abord l’énergie nécessaire pour faire battre le cœur, respirer les poumons, digérer les aliments, maintenir la température. C’est le métabolisme de base, c’est une dépense inévitable ; il correspond à 70% de la dépense énergétique totale, et ce quel que soit l’âge. Un sujet âgé dépense 1 300 calories par jour pour son métabolisme de base.
- 2. Il y a ensuite l’énergie nécessaire pour renouveler les tissus (peau, foie, intestin, sang...) et les protéines ; le sujet âgé en dépense autant, sinon plus que le sujet jeune, soit 15% de la dépense totale.
- 3. Il y a enfin, et seulement enfin, l’énergie nécessaire pour le travail musculaire. Elle ne représente que 15% de la dépense totale chez le sujet normalement sédentaire.

C’est donc une erreur de croire que, se dépensant moins, le sujet âgé a moins de besoins énergétiques. L’essentiel de la dépense est obligatoire.

Naturellement ceci reste théorique : on aboutit à une dépense totale de 2 000 calories par jour, et toute personne âgée qui ne les consommerait pas se mettrait donc à dépérir. On voit bien que ce n’est pas le cas... Mais cela contribue tout de même à expliquer l’extraordinaire fréquence de la dénutrition en gériatrie.

Le vieillissement digestif :

Contrairement là aussi à l’idée reçue, le fait de vieillir ne modifie guère la fonction digestive. Les seuls organes à souffrir sont la bouche (et il faut l’entretenir) et l’estomac (et il faut le soigner). Mais dans l’ensemble il faut maintenir que les aptitudes digestives du sujet âgé sont les mêmes que celles du sujet jeune.

La nature des aliments :

La nature des aliments n’a aucune raison d’être différente en fonction de l’âge.
- Il faut des protéines, et leur origine n’a aucune importance : viande rouge ou blanche, poisson, œufs, légumes secs.
- Il faut des sucres lents (féculents).
- Il faut des légumes et des fruits.
Il faut de tout cela, et en mêmes quantités que chez le sujet jeune. Cela signifie des apports modérés en viande, et renforcés en légumes.

La prévention des carences :

Les carences peuvent affecter principalement deux grands systèmes de l’organisme.

Il y a tout d’abord le squelette : on sait que l’ostéoporose est une maladie grave, car elle occasionne des fractures qui sont source d’invalidités importantes, et même de décès : chez les "vieux vieux", 40% des fractures du col du fémur sont suivies d’un décès dans les six mois. La prise en charge de l’ostéoporose repose :
- Non pas sur les médicaments.
- Mais sur les produits laitiers.
- Sur le soleil.
- Et sur l’exercice physique.
Mais on sait aussi qu’en matière de risque ostéoporotique tout est pratiquement joué à la fin de l’adolescence ; ensuite on ne peut que retarder le déclin du stock calcique. Et on peut se demander s’il est vraiment réaliste de croire qu’en donnant du calcium à un sujet de 90 ans on a la moindre chance de lui éviter une fracture... Par contre on a toutes les chances de lui couper l’appétit, car la tolérance digestive du calcium est loin d’être exceptionnelle.

Il y a ensuite le sang. Et sur ce point les trois carences qui guettent le sujet âgé sont :
- La carence en fer, notamment parce qu’il a trop réduit ses apports en viande et en légumes secs. Rappelons simplement que la carence en fer est également fréquente chez le sujet jeune, et que toute sujet carencé en fer est jusqu’à preuve du contraire un sujet qui saigne.
- La carence en acide folique : cette vitamine est présente essentiellement dans les légumes et fruits frais. C’est une carence fréquente, facile à corriger, mais qui indique presque toujours que le sujet ne se ravitaille pas comme il le faudrait. C’est un signe d’alarme sociale.
- La carence en vitamine B12 ; elle est fréquente également, et peut correspondre à un défaut d’apport en protéines animales : mais le plus souvent elle correspond à une maladie méconnue (et un peu oubliée des médecins) : la maladie de Biermer.

LES RÉGIMES

La question des régimes est particulièrement importante pour comprendre de quelle manière il faut raisonner. Car les objectifs de régimes changent avec l’avance en âge.

Le diabète :

Le diabétique est tenu de prendre des précautions diététiques s’il veut gérer correctement sa maladie. Mais il faut rappeler que le régime diabétique est le régime normal ; ce qui se passe c’est qu’en Occident les humains ne savent plus manger normalement : notre alimentation habituelle est une succession d’écarts de régime, le diabétique, lui, n’a pas les moyens de les supporter.

D’autre part le régime du diabétique vise :
- À lui éviter des écarts glycémiques trop amples, mais ce n’est pas l’essentiel.
- À lui éviter les complications à long terme : le sucre est toxique, et des écarts glycémiques trop fréquents vont user prématurément l’organisme (vaisseaux, rein, et surtout les rétines).

La question du régime diabétique chez le sujet âgé se pose donc d’abord en termes d’espérance de vie : il faut vingt ans pour détruire une rétine, et avant d’importuner un sujet âgé avec son régime diabétique on doit se demander quelle est son espérance de vie. Mais il faut se le demander : si un insuffisant respiratoire sous oxygène n’a certainement plus le temps de devenir aveugle, un sujet de 80 ans en pleine forme pourrait bien avoir encore quinze ans devant lui.

Le cholestérol :

Ici la question est un peu différente, car le cholestérol n’est pas toxique de la même manière que le sucre. Alors que le diabète survient à n’importe que âge, les troubles liés au cholestérol se manifestent assez tôt dans la vie. En gros on peut dire deux choses :
- La personne âgée qui a un bon état vasculaire n’a certainement pas de problème de cholestérol, et n’en aura certainement jamais.
- La personne âgée qui a un mauvais état vasculaire n’a certainement plus rien à espérer d’un régime.
Le problème ne se pose donc que pour les sujets âgés qui traitent leur cholestérol depuis longtemps. Pour celles-là il faut comme pour les diabétiques raisonner en termes d’espérance de vie. Reste à calculer cette dernière de façon suffisamment généreuse, car la longévité s’accroît. Tout de même, un sujet qui à 80 ans n’a pas entendu parler de son cholestérol n’a aucune raison de le surveiller.

Le régime sans sel :

Ici par contre les choses sont beaucoup plus claires : il n’y a pratiquement plus d’indication du régime sans sel.

Comme pour le diabétique avec son régime, on peut dire que l’alimentation habituelle de l’occidental est trop chargée en sel, et que tous les humains devraient surveiller leurs apports dans ce domaine. Naturellement les cardiaques le doivent plus que les autres. Mais cela conduit à préconiser un régime peu salé, non un régime sans sel.

Le régime sans sel ne devrait être prescrit que par un cardiologue, pour une durée limitée, et sous stricte surveillance, car l’expérience montre que les carences en sel sont au moins aussi fréquentes (et dangereuses) que les surcharges.

Les régimes « digestifs » :

Sous cette rubrique, on évoquera toutes les précautions diététiques que les personnes vieillissantes prennent pour leur foie, leur vésicule, leurs intestins, etc.

La médecine n’a rien à dire sur ce type de comportements ; il n’y a aucun argument pour dire que tel ou tel aliment serait mal toléré par l’un ou l’autre des organes en question. En particulier la vésicule et le foie tolèrent absolument n’importe quelle alimentation. Quant aux organes creux (estomac ou intestin), la question est un peu plus délicate : personne ne peut nier que les haricots ont des effets sur l’intestin... Mais les avantages l’emportent tellement sur les inconvénients que de toute manière il faut recommander leur consommation.

Ce que nous ne savons pas mesurer, ce sont les multiples sources d’intolérance. Ce sont rarement des allergies vraies, mais ce peuvent être des réactions impliquant de manière complexe la réactivité des organes digestifs, avec naturellement une forte polarité psychologique ; et tout le monde connaît l’importance de la place normalement occupée par le psychisme dans l’alimentation.

Maigrir, grossir :

Il est important pour le sujet vieillissant d’avoir un poids adapté. L’obésité est facteur de risque à part entière.

Le problème est que la vieille personne obèse l’est depuis longtemps. Dans ces conditions les choses sont fixées, et il est totalement illusoire de chercher à obtenir un résultat. Tout au plus peut-on lui demander de ne pas grossir et, à la marge, peut-être, de perdre quelques kilos. Il n’y a aucune preuve scientifique que cela serve à quelque chose.

Quant à vouloir faire grossir un sujet maigre, il ne faut même pas y songer.

LE SUJET TRÈS ÂGÉ

On vient de dire que la distinction entre « jeune vieux » et « vieux vieux » est à prendre avec précaution. Mais il reste que les objectifs, et surtout les dangers, évoluent avec l’âge.

Un principe peut être donné pour commencer : le comportement alimentaire du vieillard de 85 ans a beau être en infraction complète avec les lois de l’alimentation, il l’a conduit à l’âge qu’il a. Et il y a un certain ridicule à voir les cuisiniers des maisons de retraite s’acharner à respecter des principes diététiques, surtout quand le résultat est que les résidents ne mangent pas leur repas, tout simplement parce que la cuisine n’est pas à leur goût. La principale qualité diététique d’un aliment est d’être mangé.

On a dit plus haut que, tout de même, un diabétique ne doit pas être laissé sans aucune surveillance, y compris à un âge avancé. On a dit que l’attitude à avoir vis-à-vis du cholestérol doit être discutée au cas par cas.

Mais tout ceci est à mettre en balance avec un danger bien plus immédiat et dangereux : la dénutrition.

Les chiffres sont terrifiants : 50% des malades hospitalisés arrivent avec une dénutrition, et cette dénutrition s’aggrave en cours de séjour.

Diagnostic de la dénutrition :

Il y a de nombreux tests et moyens de mesurer la dénutrition ; cette inflation de tests répond au désir de mieux cerner le problème. En pratique les choses sont infiniment plus simples, et on peut se contenter de deux marqueurs essentiels :
- La perte de poids ; encore faut-il que le sujet soit pesé.
- Le taux d’albumine du sang ; encore faut-il penser à le suivre. On pourrait donner comme règle que passé 80 ans un dosage annuel est une bonne précaution.

Mécanisme de la dénutrition :

L’équilibre alimentaire est un équilibre entre des apports et des dépenses. On peut donc avoir des dénutritions par manque d’apports, des dénutritions par excès de dépenses, des états mixtes.

Le défaut d’apports :

Il est lié à tout ce qui fait que la personne ne mange pas :
- La douleur : non seulement une douleur des épaules, qui interdit mécaniquement de manger,
- Mais toute douleur coupe l’appétit.
- La bouche : une bouche sèche, une bouche infectée entravent l’alimentation.
- La constipation, l’infection urinaire entraînent des troubles digestifs.
- Les troubles cardiorespiratoires entravent l’alimentation, notamment parce qu’on ne peut pas à la fois respirer et manger.
- Les médicaments sont en cause dans une majorité de cas, et toute perte d’appétit doit faire reconsidérer l’ordonnance : en gériatrie on est souvent contraint de faire des choix, et de ne pas traiter toutes les maladies.
- La dépression est souvent en cause. On en rapprochera l’isolement social.
- Mais de nombreuses maladies retentissent sur l’appétit, et notamment les cancers.
- La démence pose des problèmes particuliers : le dément ne mange pas parce qu’il ne sait plus manger, mais il arrive aussi qu’il ne comprenne plus la sensation de faim.

Il est devenu plus rare de voir une personne âgée se dénutrir parce qu’elle n’a pas les moyens d’acheter de quoi manger : on peut se nourrir très efficacement sans dépenser beaucoup. Par contre ce qui peut être plus difficile c’est la situation des personnes souffrant d’un handicap et qui n’ont plus les moyens physiques de faire leur cuisine.

Les excès de dépenses :

Beaucoup de maladies entraînent une surconsommation d’énergie, et surtout de protéines. Le mécanisme le plus important est l’inflammation, présente dans de nombreuses situations, qu’il s’agisse de rhumatismes, d’infections ou de cancers. La dénutrition est alors très rapide, d’autant que souvent ces maladies entraînent un trouble de l’appétit. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’on est souvent amené, lors d’une hospitalisation, à imposer une alimentation par sonde gastrique au malade, ce qui peut l’aider à passer un cap et à survivre à une affection parfaitement curable mais qui l’aurait tué en l’absence de renutrition. Il ne s’agit en rien là d’un acharnement thérapeutique, à condition toutefois que la renutrition soit de courte durée.

La prise en charge de la dénutrition :

La dénutrition est un facteur majeur de prolongation des séjours hospitaliers, d’institutionnalisation, de mortalité. Autant dire que toutes les autres considérations doivent s’effacer devant ce risque.

Lorsque le malade dépense plus qu’il ne reçoit, il puise dans ses réserves. Les réserves les plus faciles à mobiliser sont ses propres protéines, avec un risque rapidement catastrophique lié :
- À la fonte musculaire.
- À la fragilisation des tissus.
- Aux déficits immunitaires.

L’idéal serait évidemment de le réalimenter avec des protéines. Mais à défaut il est indispensable de lui donner des calories, n’importe lesquelles : au moins il cessera d’utiliser ses propres protéines. Il faut donc qu’il mange.

Pour ces raisons, on n’a plus que faire des régimes. Il n’y a aucun sens à imposer au malade un bon équilibre de son diabète si c’est pour qu’il se dénutrisse. De même le régime sans sel entraîne des dégoûts alimentaires, et la dénutrition est aussi dangereuse pour le cœur que les excès de sel. Cela n’autorise pas à faire n’importe quoi, mais impose de réviser toutes les contraintes diététiques et de n’accepter que celles qui n’induisent pas de dénutrition.

Tous les moyens sont bons pour lutter contre la dénutrition. Citons quelques rubriques.
- L’ordonnance : elle doit être courte, même si cet objectif est loin d’être facile à atteindre. Non seulement le nombre de comprimés peut suffire à dissuader le malade de manger, mais de nombreux médicaments ont une action directe sur l’appétit ou la sécrétion de salive.
- Le confort : non seulement la douleur, ou les troubles respiratoires, ôtent l’envie de manger, mais il faut que l’alimentation soit techniquement possible : il faut pouvoir lever son bras, saisir son verre, il faut voir son assiette...
- Le tube digestif : il doit être en bon état ; en particulier les gastrites, les ulcères, la constipation, sont des sources très fréquentes de trouble de l’appétit.
- La bouche : elle doit être propre et humide. La propreté est souvent l’affaire du dentiste, et un énorme effort doit être fait en matière de prothèses. Quant à l’humidité elle est souvent compromise par les médicaments, ou les radiothérapies. Ailleurs il s’agira d’une déshydratation, mais on est là alors dans l’urgence médicale.
- L’organisation des repas. Tous les moyens sont bons pour que la personne mange. En particulier on observe souvent qu’elle ne peut manger que de petites quantités, ou que le petit déjeuner est mieux prix que les autres repas. Il y a intérêt alors à ne pas s’acharner à vouloir lui faire prendre des repas normaux : mieux vaut multiplier les petites prises, ou même proposer quatre petits déjeuners par jour. Seul le résultat compte.
- Il faut adapter la cuisine aux goûts de la personne. On remarque bien souvent que celle-ci préfère les mets sucrés ; ce n’est pas une bonne chose, mais il vaut infiniment mieux le sucré que rien du tout.
- Pour cette même raison il ne faut pas hésiter à utiliser les charcuteries, ou les graisses ; de même si l’alcool a des vertus apéritives, il faut l’autoriser : le risque de déclencher un alcoolisme n’est pas très élevé, et de toute manière il doit être comparé au risque de la dénutrition.
- Il faut se souvenir que le goût est une fonction qui vieillit ; la personne âgée perçoit moins bien les saveurs, et il ne faut pas hésiter à utiliser les épices.
- On sait, mais on oublie trop, que manger ne sert pas qu’à manger. C’est un instant de plaisir et de socialité.
- Enfin, comme on l’a dit, le médecin aura avantage, chaque fois que c’est possible, à lutter contre l’inflammation.

Les compléments alimentaires :

La question des compléments alimentaires est à considérer avec beaucoup de précautions.

En théorie c’est assez simple : les compléments sont des compléments. Leur but est de permettre à un sujet qui mange normalement mais subit une agression d’y faire face ; ou alors à un sujet qui ne mange pas tout à fait assez d’arriver à un apport suffisant.

Mais il ne sert à rien de donner des compléments à un sujet qui ne mange rien : il mourra de toute manière. L’autre erreur est de les donner à quelqu’un qui mange très peu : les compléments prendront la place de ses repas.

D’autre part les compléments ne sont pas des produits magiques : leur formule a été étudiée, ils comportent notamment une quantité notable de protéines et d’oligo-éléments, mais cela n’a aucun intérêt compte tenu de la vraie question qui est posée, et qui est l’apport calorique. De ce point de vue le rapport qualité/prix de ces produits est incomparablement plus mauvais qu’une banale crème anglaise...