Un débat avec un partisan de l’euthanasie

12 | (actualisé le ) par Michel

A l’occasion de l’affaire de Bayonne, j’ai eu l’occasion de débattre avec un partisan de l’euthanasie. Malheureusement mon contradicteur a bien vite abandonné le combat.

Ceci n’a rien de surprenant : quand un partisan de l’euthanasie se risque au débat, il perd bien vite de son assurance, et les arguments s’effondrent les uns après les autres. C’est bien le plus effrayant de cette histoire : les tenants de l’euthanasie caracolent dans les médias, parce que la discussion ne peut jamais s’y ouvrir réellement. Alors que dès qu’on gratte...

Je publie donc les éléments de ce débat, parce que si mon interlocuteur ne représente certainement pas l’ADMD, les erreurs d’analyse qu’il commet sont exactement les mêmes que celles qu’on retrouve à chaque débat.

Je n’en regrette pas moins qu’il ait abandonné : la question mérite un espace de débat. Bien entendu, s’il reprend contact je ne manquerai pas de modifier cet article en conséquence.

LES ÉLÉMENTS DU DÉBAT :

Je reproduis ici le message initial.

Nous n’aurions pas le cas de ce médecin devant la Justice Si le référendum d’initiative citoyenne, souhaité par 82 à88 % des Français, avait été instauré car une proposition serait soumise aux 45 millions d’électeurs qui pourraient choisir les conditions de la loi permettant à chaque personne de bénéficier d’une aide médicamenteuse pour mourir d’une mort douce.

Mais l’ADMD, (dont je suis membre) a toujours refusé de demander le référendum d’initiative citoyenne et sa proposition de loi est très restrictive totalement insuffisante.

L’association Ultime liberté dont je suis également membre n’a pas encore de proposition de loi précise sur le sujet

Pour moi, le principe de base doit être que la volonté du demandeur doit être respectée. L’État doit seulement s’assurer que la décision de mettre fin à ses jours est bien libre éclairée, réfléchie et réitérée.

Article 1° Peut exercer cette demande :
- Une personne victime d’une affection grave, incurable et/ou invalidante entraînant une souffrance physique ou psychique constante et inapaisable ou qu’elle juge insupportable.
- Une personne dont l’état de santé la place dans un état de dépendance qu’elle estime (pour elle et selon ses propres critères d’appréciation) incompatible avec sa dignité.
- Une personne qui estime que, pour elle et selon ses propres critères d’appréciation la vie qui lui est offerte ne mérite plus d’être vécue.
- Une personne, qui n’est plus capable d’exprimer sa volonté mais dont le testament de vie indique des conditions dont on constate qu’elles sont réalisées.

Exemple : Si je ne reconnais plus ma femme ou mes enfants je veux exercer mon droit à bénéficier d’une aide médicamenteuse pour mourir d’une mort douce.

Le demandeur peut à tout moment révoquer sa demande.

Voir pour détails le site d’Ultime liberté.

La discussion s’engage alors très rapidement. On trouvera ci-dessous, point par point, mon message, les réponses de mon contradicteur et le résumé que je fais de la suite des débats.

LE REFERENDUM D’INITIATIVE CITOYENNE :

Moi : Je vois que vous parlez de deux choses :

Il y a d’une part la question du référendum d’initiative citoyenne, pour lequel vous militez. Je ne sais pas quoi en penser, il me semble cependant que ce pourrait être une fausse bonne idée ; avez-vous lu La démocratie d’apparence, ouvrage très inégal mais qui me semble analyser cette question de manière très pertinente ?

Lui : Je prends note que vous ne souhaitez pas que pendant les 5 ou 6 ans qui séparent deux scrutins de même nature les citoyens électeurs puissent reprendre la parole pour décider de ce qui les regarde par référendum d’initiative citoyenne.
(...)
Pour vous "la souveraineté nationale" qui appartient au peuple c’est donner tous les 5 ans un chèque en blanc à des députes désignés par les états majors, sans que les électeurs puissent même choisir entre le député et son suppléant.

Je cite cette partie de l’échange simplement parce qu’elle met en évidence une étrange et préoccupante tendance au procès d’intention : comment diable peut-on, là où j’écris : je ne sais pas, lire : je suis contre ? Cette technique assez déplaisante, il faut bien le dire, est la même que celle que brandit l’ADMD quand elle accuse systématiquement ses adversaires d’être sous l’influence d’un lobby chrétien réactionnaire, ce qui est tout à la fois stupide et un peu court. Je pense toutefois que mon interlocuteur est un démocrate sincère ; dans cette affaire il se montre tout simplement inconséquent.

Bref, s’agissant du référendum d’initiative citoyenne, on trouvera les données nécessaires à http://www.ric-france.fr/. Toujours est-il que je me suis astreint à débattre et que là aussi mon interlocuteur n’a pas été long à rompre la discussion, son ultime argument étant : Il ne faut pas se poser sans arrêt des questions. . Il est pourtant très dangereux d’arrêter de s’en poser. Je ne compte pas, pour ma part, cesser d’interroger ce qui semble évident.

SAVOIR DE QUOI ON PARLE :

Je rappelle qu’il convient de distinguer trois types de situation.

Moi : Il y a le malade à la toute fin de sa vie, qui est en proie à des souffrances insupportables que rien ne peut soulager, et qui ne peut en aucune manière mettre fin à ses jours, j’entends de manière confortable. Ce sont des situations qui posent la question de l’euthanasie.

Lui : Oui et là c’est 100% des gens qui devraient être pour. Enfin presque.

Moi

Je suis tout à fait d’accord. Et… je suis moi aussi favorable à l’euthanasie dans ces cas. La seule remarque que j’ajoute est que, malgré mes quelque 1 200 morts au compteur, je n’en ai jamais vu ; on voudra bien m’accorder que pourtant j’ai regardé.

Moi : Et puis il y a le malade, voire le sujet, qui ne souhaite pas vivre sa fin de vie. Ce sont des situations qui posent la question du suicide assisté.

Lui : Oui c’est un sujet très important également.

Moi : Et j’en suis bien d’accord. Tout comme nous sommes d’accord sur l’importance des rares situations où on a affaire à un patient qui n’est pas en fin de vie et qui pour autant veut échapper à ce qu’il vit. C’est également un problème de suicide assisté.

Lui : Important aussi et pour moi chacun doit être libre d’en bénéficier.

On ne peut débattre sérieusement si on fait mine de les confondre en une seule et même chose Or je ne parviens pas à savoir si pour lui la distinction entre ces trois problématiques est claire. C’est une des grandes supercheries de l’ADMD que de les mélanger. Quand on entend les propos tenus par ses militants, on a l’impression que leur combat est celui du suicide assisté ; l’euthanasie ne leur sert que pour dramatiser la demande.

Et si je rapporte ces fragments de dialogue où nous sommes d’accord, c’est parce que j’ai l’impression que mon interlocuteur commet la même imprécision. En témoigne un exemple qu’il donne :

Ce jour même on enterre un jeune cousin de 41 ans qui s’est pendu dans un bois car en dépression après une liaison malheureuse. SI le suicide assisté comme je le prévois excitait il ne serait surement pas mort, car il y aurait eu recours et l’assistante sociale et l’expert psychiatre l’en aurait dissuadé et fait prendre en charge pour des soins intensifs.

On reste sidéré. Car il faut ne rien connaître à la dépression pour s’imaginer que les déprimés sont demandeurs d’une euthanasie ; ils sont dans une tout autre problématique. Si la loi proposée existait, l’infiniment plus probable est que son parent n’y aurait pas recouru : il faut pour cela avoir encore un peu d’énergie vitale, ce qui ne se voit guère chez le déprimé ; et il faut pour cela prendre le risque d’un refus, risque que le déprimé, précisément, ne peut courir.

Ce que l’on voit ici c’est un exemple d’amalgame dans lequel, faute d’analyse préalable, on mélange des situations qui n’ont rien à voir. Mais si mon interlocuteur est à l’évidence de bonne foi, on aimerait être sûr qu’il en va de même pour tout le monde.

UNE DÉCISION LIBRE, ÉCLAIRÉE, RÉFLÉCHIE ET RÉITÉRÉE :

Notre débat s’engage ensuite sur les conditions auxquelles on pourrait procéder à une euthanasie. Et mon interlocuteur rappelle que la décision doit être libre éclairée, réfléchie et réitérée. Telles quelles ces conditions sont effectivement indispensables. Mais il ajoute que l’État doit s’assurer qu’elles sont réunies. Mon objection est alors : comment va-t-il s’y prendre ?

Mon interlocuteur développe alors son projet :

Celui qui estime que pour lui la vie ne vaut plus d’être vécue doit suivre une procédure précise.
- 1°) : Consulter une assistante sociale qui lui indique tout ce que la société peut faire pour lui. ( Elle fait un compte-rendu de cette entretien et donne son avis sur le caractère "libre éclairée, réfléchie et réitérée." de la demande de la potion létale).
- 2°) : Un expert psychiatre tiré au sort se prononce sur la demande.Si c’est oui ; Il obtient la potion létale en pharmacie sous la forme adaptée.
- 3°) : En cas de refus le demandeur peut demander l’autorisation à un notaire tiré au sort.
- 4°) : En cas de nouveau refus le demandeur saisi un jury citoyens de 5 personnes tirées au sort qui donne ou pas l’autorisation à la majorité de 4 sur 5 au moins (Il a tous les comptes rendus de l’ A.S, du psy, du notaire).
S’il y a autorisation, un huissier le constate et cela vaut ordonnance à la pharmacie. Le médecin n’intervient pas.
- En cas de refus il lui restera la corde, les armes, le saut dans le vide ou sous un train... ou l’appel à un ami...
A tout moment le demandeur peut bien sûr renoncer.. !

Discutons donc.

Une demande réitérée, je comprends. Il suffit de compter. Mais pour le reste, n’est-ce pas un tout petit peu plus compliqué ?

Une décision libre :

Moi : Comment savoir si la décision est libre ? Notons immédiatement que j’ai un peu de mal à envisager cette liberté chez un malade que par hypothèse nous supposons torturé par d’indicibles souffrances. Si on veut qu’il récupère un tant soit peu de liberté il faut d’abord calmer cette souffrance.

Il faut tout ignorer de la fin de vie pour s’imaginer qu’il puisse en aller autrement. Mais supposons ce point acquis : comment va-t-on apprécier le caractère libre de la décision ? On pourra bien sûr constater que lorsqu’il énonce sa demande il n’est pas submergé par une famille qui le harcèle. Mais il faudrait connaître bien peu de ces situations pour ignorer qu’il y a d’autres formes de contraintes, y compris cette contrainte particulière, que les gériatres connaissent bien, et qui conduit la personne âgée à sentir ou à croire qu’il faut qu’elle dise ce qu’elle croit que sa famille attend qu’elle dise, voire qu’elle débarrasse le plancher. Au minimum il faut donc un entretien psychologique approfondi, ce qu’on n’imagine pas pouvoir faire avec un malade en proie à « des souffrances insupportables ».

Bref, je ne vois pas comment on vérifie cette condition chez le malade « éligible » à l’euthanasie ; pour le candidat au suicide c’est une autre question, mais ne mélangeons pas tout.

Mais il y a bien plus fondamental encore : c’est la contradiction interne du propos. Car jamais je n’autoriserai quiconque à se poser en juge de ma liberté. Qu’est-ce donc qu’une liberté qui ne s’exerce que pour autant qu’elle ait été avalisée par autrui ? Et de quelle liberté parle-t-on ici ? La liberté, ce n’est pas la liberté de pensée (aucune tyrannie n’a jamais interdit la liberté de pensée - comment ferait-elle ?, elle se limite à interdire la liberté de dire ce qu’on pense.), c’est la liberté d’agir. Et une grande part du débat entre la « pensée anglo-saxonne » et la « pensée européenne » porte sur ce point : la liberté d’agir ne se divise pas sans perdre l’essentiel de sa substance.

Je ne comprends donc pas cette liberté soumise à autorisation ; sauf à dire qu’il s’agit de vérifier que des conditions externes sont réunies, ce qui revient à en faire une opération de pure forme.

Lui : Elle est quasi totale. Il s’agit seulement d’éviter que par exemple qu’une jeune fille en chagrin d’amour, un malade psychiatrique,un dépressif, puisse passer acheter la potion chez Leclerc.
Sinon le principe est le libre choix de sa fin de vie. Et pour tous.

Moi : Ce qui en réalité se touche du doigt ici, c’est l’évidence qu’il existe des situations qui ne peuvent se vivre qu’en relation ; les partisans du suicide assisté le savent si bien qu’ils mettent en scène qu’il faudrait déléguer l’acte suicidaire à un professionnel, quand nous savons tous à quel point c’est parfaitement inutile. Or toute relation implique, on le sait bien, ce minimum de renonciation à se propre liberté qu’on appelle le respect de l’autre.

Lui : Ce que je prévois comme contrôle de la liberté par la société me semble logique. Je ne prive personne de sa liberté de se suicider Mais s’il demande l’aide de la société il est logique qu’elle fixe des règles. Sinon il se débrouille tout seul.

Moi : En effet. Mais mes objections sont précisément là :
- Je répète que la société n’a rien à dire sur ceux qui veulent la quitter (sauf à tâcher de les persuader de n’en rien faire).
- Je crois que, comme toute loi a toujours, et par nature, ses dérives, il est plus sage de ne pas faciliter le suicide que de le faciliter.
- Je redis que les produits nécessaires sont en vente libre, qu’ils coûtent trois francs six sous, que leur maniement est très simple et qu’il suffit de chercher un peu pour trouver.

Et ce n’est pas trop exiger du futur suicidé que de lui demander de chercher un peu. Mais il me répond : Beaucoup de pauvres gens ne le savent pas il faut les aider. Certes ; mais il aurait suffi de passer une soirée dans un service d’urgences pour voir qu’ils n’en ont guère besoin ; d’autre part la question se pose ici en termes d’efficacité : mettre le suicide à la portée de tous a des avantages, cela a aussi des inconvénients. Et que le législateur agit sagement en pesant le pour et le contre.

Une décision éclairée :

Le problème se pose de manière à peine différente ; car il s’agit de savoir ce que peut bien être une « décision éclairée ». Quiconque s’est préoccupé, si peu que ce soit, de recueillir un consentement éclairé sait à quel point il est difficile de savoir si le malade a réellement compris de quoi on lui parle, et si son consentement a été réellement éclairé.

Je ne parle même pas des difficultés qu’on éprouve chaque fois qu’il faut établir en droit que le malade a été correctement informé ; je ne parle que du nombre de ces situations où, l’entretien terminé, on en reste à se demander si le patient a compris, s’il a vraiment pris la mesure de ce qu’on lui a exposé.

Et le problème, évidemment, est encore plus aigu dans les situations où aucun consentement éclairé ne peut être recueilli, tout simplement parce que le problème posé est au sens propre inconcevable. Je me souviens de ce patient atteint d’un cancer de la prostate, et à qui le chirurgien avait expliqué que dans son cas la rançon de l’intervention était l’impuissance ; il a accepté, bien sûr ; mais il ne s’en est jamais remis : vivre l’impuissance n’a aucun rapport avec le fait de la penser. De la même façon, qu’est-ce qu’un consentement éclairé s’agissant de la mort, dont personne n’a l’expérience ?

Bref, il est au moins aussi difficile d’évaluer le caractère éclairé d’une telle décision que d’évaluer son caractère libre.

Sur ce point mon interlocuteur n’a pas d’argument à m’opposer, sauf à redire : Il ne faut pas non plus être toujours dans le doute, et en l’espèce le doute doit bénéficier au demandeur…, ce qui est totalement terrifiant : comment peut-on dire qu’un malade qu’on aurait à tort cru éclairé aurait bénéficié d’une mise à mort ?

Une décision réfléchie :

Je n’insiste pas : c’est encore pire, bien sûr, et pour les mêmes raisons.

Ici mon interlocuteur donne un exemple :

Une personne, qui n’est plus capable d’exprimer sa volonté mais dont le testament de vie indique des conditions dont on constate qu’elles sont réalisées.

Exemple : Si je ne reconnais plus ma femme ou mes enfants je veux exercer mon droit à bénéficier d’une aide médicamenteuse pour mourir d’une mort douce.

Mais cela n’a tout simplement aucun sens. Car la situation qu’il imagine est manifestement celle de la démence. Or il est tout aussi manifeste qu’il ne connaît pas la question.

Dans le cas qu’il cite : Si je ne reconnais plus ma femme ou mes enfants, il parle d’un symptôme très particulier de la démence qui en charabia s’appelle la prosopagnosie, et qui est la perte d’une fonction cérébrale particulière, cette fonction qui me permet de reconnaître instantanément un visage sans avoir à l’analyser. Le problème est qu’elle n’est guère significative du degré d’évolution de la maladie, de sorte qu’il arrive bien souvent que des déments atteints de ce symptôme aient par ailleurs une vie psychique, relationnelle, affective, de très grande qualité ; ajoutons que cette incapacité à reconnaître les visages n’est presque jamais contemporaine de la perte de la capacité à reconnaître les voix, etc… Et il me répond : Je voulais dire si je ne reconnais même plus ma femme et que plus simplement j’ai perdu la tête., alors que, précisément, c’est un simplisme. On ne peut pas réduire la situation du dément à des simplismes. Je ne prendrai qu’un seule exemple, mais il est quotidien. C’est la question posée par la sexualité du dément. Il arrive en effet de manière non rare que le dément, qui souvent a cessé de reconnaître ses proches, manifeste un intérêt affectif, éventuellement sexuel, pour une autre personne. Quand celle-ci y est hostile il n’y a guère de débat. Mais quand ce n’est pas le cas, comment pouvons-nous penser cette situation ? Pour ma part :
- Je ne suis absolument pas prêt à dire qu’il n’y a pas de mal à se faire du bien, et à confondre sentiment amoureux et levée pathologique des inhibitions ou perte du sens des convenances sociales.
- Mais je ne suis pas davantage prêt à prétendre que le dément n’est plus apte à aucune liberté, ni à aucun sentiment.

Or je n’ai pas de position neutre, car l’institution est faite de telle sorte que son fonctionnement même va à l’encontre de l’exercice d’une sexualité. Dans un exemple de cette nature, on voit immédiatement que c’est moi (quand je dis : moi, c’est toujours l’équipe) qui vais devoir apprécier la situation, et y donner une réponse qui sera toujours bien difficile à fonder.

Il s’ensuit que si je ne veux pas que m’arrivent certaines choses une fois que je serai dément, le choix qui s’offre à moi est entre décider que le moment venu je m’en remettrai à la sagesse de ceux que j’aurai désignés, ou décider que je ne prends pas ce risque et recourir au suicide en temps utile.

Il y a contresens à penser que la mort et une situation individuelle. La mort est une situation sociale. Ce n’est pas quelqu’un qui quitte la vie, c’est une communauté humaine qui se sépare. Il en résulte que si les choix sont évidemment ceux de la personne à qui la mort advient, la communauté qui l’entoure n’a pas rien à dire. Penser autrement serait montrer une image totalement individualiste de la vie en société ; cette image n’est pas la mienne.

Il y a donc lieu de prévoir que s’ils évoluent (et je crois qu’ils le doivent) les textes que j’ai mentionnés buteront toujours sur le fait qu’ils parlent de quelque chose sur quoi personne ne sait rien ; ils buteront aussi sur le fait que si le testament peut (et encore, nous en verrons les limites) être catégorique sur certains points c’est tout de même parce que le mort est irréversiblement mort, ce qui n’est pas le cas du mourant. Notons à ce propos que même dans ce cas on se demande quelle rationalité il y a à vouloir décider sur des choses qui ne concernent que les survivants.

Donc quand il écrit : Si je ne reconnais plus ma femme ou mes enfants je veux exercer mon droit à bénéficier d’une aide médicamenteuse pour mourir d’une mort douce, il se comporte comme s’il voulait figer sa situation de dément alors qu’elle ne le sera nullement. C’est pourquoi je lui répondais : Et c’est à moi que vous voulez faire croire une chose pareille ? Et quand il réplique : Je vous demande simplement de constater un fait, le fait que je constate sans difficulté est qu’il le veut aujourd’hui. Je devrai en tenir compte le moment venu, mais cela ne me dira en rien ce que, ce même moment venu, il voudra. Quelle idée se fait-on du dément quand on se figure qu’il ne veut plus rien ?

Dans ces conditions, s’il écrit un jour ce texte dont il parle, et que quelques années plus tard je sois amené à constater que les conditions sont réunies, comment pourrais-je considérer comme ma loi un texte dont il aura tout oublié et qu’il ne sait plus lire, sans pour autant avoir perdu son aptitude, que je ne lui dénierai jamais, moi, à décider pour lui-même ? C’est inenvisageable, et il faudra bien, ce moment venu, non pas appliquer un texte mais réévaluer la situation.

Nous sommes là au cœur d’un choix éthique fort : le dément est il oui ou non une personne ?
Et si elle l’est, quels sont ses droits et ses libertés ? Et comment évalue-t-on sa souffrance ?

Un mot en passant sur une de ses phrases :

Je ne vous demande pas de croire vous devez déjà avoir assez de croyances :-).

J’ai bien noté le smiley. Mais je veux faire une mise en garde.

Je mériterais bien peu la confiance du lecteur si je faisais mystère du fait que je suis effectivement un catholique romain pratiquant. Mais c’est pour ajouter aussitôt que je désavoue l’essentiel des élucubrations de l’Église sur ces questions. Non seulement elle se mêle de ce qui ne la regarde pas, mais je n’ai aucun respect de la vie ; ou du moins je suppose que nous en respectons tous la même chose : la vie est ce dont on ne fait pas n’importe quoi (c’est le sens étymologique du mot sacré). C’est dans le Coran qu’on lit : Ne touchez pas à une vie que Dieu a faite sacrée ; et encore : le texte exact est : Ne tuez qu’en toute justice la vie que Dieu a fait sacrée (sourate VI, 151). Allons plus loin : si je rencontrais une seule personne qui ait perdu sa dignité, je procéderais personnellement à son euthanasie. Ou si j’étais au fin fond du désert avec pas de morphine et un flingue chargé, je raisonnerais autrement.

Il n’en reste pas moins vrai que le mouvement des soins palliatifs a ses racines historiques dans le christianisme, et que quand j’ai commencé à m’y intéresser il ne m’a pas échappé que la moitié de ses Pères fondateurs étaient des catholiques. Mais (je passe sur le fait qu’on peut être chrétien et avoir raison) le mouvement s’est depuis beaucoup diversifié, de sorte que la question ne se pose plus ainsi. De ce fait, suspecter tel ou tel d’agir en fonction de ses croyances, c’est prendre le risque de se faire suspecter en retour de s’être laissé abuser par les simplismes de l’ADMD, dont le recours à cette antienne est certainement l’une des actions les plus minables.

L’IMPORTANCE DU TEMPS :

Dans ces conditions, de deux choses l’une : ou bien l’évaluation proposée se réduit à l’établissement d’un formulaire qui aura la même valeur éthique que tous les formulaires de consentement éclairé qu’on nous fait signer pour un oui ou pour un non ; ou bien l’évaluateur va se donner les moyens de se faire une réelle idée, et la première chose qu’il devra faire sera de prendre son temps.

Or, imaginons qu’on se trouve dans ces situations dont on prétend (à tort, mais passons sur ce point) qu’elles imposent une euthanasie. La seule chose qu’on ne pourrait pas imposer à de tels malades, c’est bien un délai. Il résulte de cette simple considération que seuls sont éligibles à cette procédure les personnes qui ont encore du temps et ne veulent pas l’utiliser, autrement dit celles qui demanderaient un suicide assisté. Pour l’euthanasie rien de tout cela ne peut sérieusement être mis en œuvre, sauf à se payer de mots.

Sur ce point mon interlocuteur ne peut davantage argumenter ; sa réponse est : Je ne vois pas bien la différence sauf dans l’évidence de la demande pour l’euthanasie dans les cas extrêmes.

Voici qui clarifie un point : comme je le redoutais il mélange allègrement euthanasie et suicide assisté, comme si les deux avaient à voir ensemble. Mais le plus grave est qu’il ne parvient pas à penser la différence, pourtant évidente, entre un malade qui a du temps et un autre qui n’en a pas ; ceci montre éloquemment qu’il se réfère à des situations imaginaires. Dans l’imaginaire, les choses sont effectivement beaucoup plus simples.

Mais le pire de tout est évidemment de faire appel à un tiers qui n’a aucun moyen sérieux de juger de la situation, et à qui pour ma part j’en dénierais le droit. Et la réponse est : C’est le malade qui prendra lui-même le produit létal sauf impossibilité une infirmière volontaire injectera le produit, ce qui n’a aucun rapport avec la question posée. Cela témoigne aussi d’une méconnaissance très intéressante de la réalité : car les toxiques les plus simples pour un suicide confortable se prennent parfaitement par voie orale ; on voit bien que toute cette construction est basée sur des fantasmes et sur un besoin désespéré de dramatisation.

LA GESTION DES REFUS :

Il n’est d’ailleurs pas difficile de constater que le caractère inaliénable de cette liberté ne permet pas à mon adversaire de trouver une solution à la question des refus. Sur ce point il commente : J’ai prévu trois niveaux d’autorisation. Si aucun n’accepte, le demandeur se débrouille seul, ou se pose des problèmes sur le bien-fondé de sa demande, ce qui ressemble davantage à une pirouette qu’à un argument.

Ce problème des refus est pourtant central ; je note d’ailleurs que la loi hollandaise se garde bien d’aborder le sujet : l’euthanasie s’y pratique en somme de gré à gré, et rien n’est dit sur ce qui se passe quand le médecin refuse, ce qui écorne sérieusement le principe de liberté absolue qui est pourtant le seul envisageable dans une telle situation : car si on ne le pose pas on se retrouve face à de grandes difficultés conceptuelles.

LA PROPOSITION DE LOI :

Qu’envisage mon interlocuteur dans une telle situation ?

1°) : Le recours à une assistante sociale : Croit-on réellement que le sujet qui veut que sa vie se termine a besoin d’une assistante sociale ?

La réponse est : Le plus souvent non bien sûr. Mais on ne peut donner le produit létal chez Leclerc, donc il y aura toutes sortes de demandeurs. On ne saurait mieux montrer l’inanité du propos : la loi proposée entend donner à toute personne la liberté absolue de mourir, mais à peine ce principe posé on s’aperçoit que cette liberté absolue ne peut exister puisqu’il faut l’encadrer. D’autre part cela n’explique en rien ce que l’assistante sociale vient faire dans cette affaire : si le malade en a besoin, cela suffit à pointer :
- Soit qu’il n’a pas pris la peine de s’informer, et que sa demande doit donc être tenue pour ni « éclairée » ni « réfléchie ».
- Soit qu’il est dans une telle solitude que la première chose à faire n’est certainement pas de le tuer.

En tout cas je trouve très étrange qu’on lui délègue le soin de dire en premier si la décision est « libre éclairée, réfléchie et réitérée », alors que les psychologues, eux, y regarderaient à deux fois.

2°) : Un expert psychiatre tiré au sort se prononce sur la demande. C’est déjà un peu plus réaliste. Mais pourquoi ne pas avoir commencé par là ? S’agit-il de manifester une réticence à l’idée que les professionnels de santé seraient à la manœuvre ? Je comprends cette réticence, j’ai des exemples plein ma poche. Mais si la solution est, faute de professionnels fiables, de sous-traiter le problème à des gens n’ayant pas les compétences minimales pour le prendre en charge, je me demande si le remède ne sera pas pire que le mal. Ce qui se met en scène c’est que le suicide assisté ne regarde pas les professionnels de santé. Si c’est cela il faut le dire, je peux être d’accord sur ce point, même si c’est avec quelques réserves. Mais alors il ne faut pas leur demander d’assumer les conséquences de cette décision : il n’est nul besoin d’être médecin pour tuer son semblable, dans des conditions confortables s’entend.

Je comprends la réponse qui m’est faite.

Il (le suicide assisté) ne regarde que celui qui le demande ! Mais comme il a besoin de la société celle-ci vérifie d’abord avec un pro de la « pensée » pour avoir un état des lieux. Mais l’absurdité se verra bien vite.

Par contre quand mon interlocuteur ajoute :

Ce n’est pas au médecin de tuer les gens. Je ne leur demande pas du tout : c’est le malade qui prend ; à défaut une infirmière volontaire, il tombe dans une double difficulté :
- La première est qu’il parle clairement de suicide et non d’euthanasie.
- La seconde est que si on peut lui savoir gré de reconnaître que la vocation du médecin n’est pas de tuer les gens, on se demande d’où il tient que c’est celle de l’infirmière.

3°) : Un notaire tiré au sort. Là, je ne comprends absolument pas. Que vient faire le notaire dans cette affaire ?

La réponse est : Les notaires sont censés donner des avis sur les gens qui signent des testaments. Un notaire décide si une personne est saine de corps et d’esprit pour un testament On lui demande la même chose. Cela n’a rien d’extraordinaire.

On reste confondu devant une telle erreur d’analyse. Car quand il s’agit de tester, la situation est que, par défaut, le testateur est réputé sain d’esprit. Ce qui est demandé au notaire c’est, s’il a un doute, de s’en inquiéter. Et quand il s’inquiète la procédure recourt au psychiatre. Les choses fonctionnent donc au rebours de ce que mon contradicteur imagine, à telle enseigne que si l’expertise conclut que le testateur est en état de tester le notaire n’a plus rien à dire.

Et comment peut-on imaginer une seconde qu’il irait contredire l’opinion du psychiatre ? Et à supposer qu’il le fasse, comment concevoir la situation juridique qui s’ensuivrait ? Il faudrait que la loi précise que personne ne peut engager de recours judiciaire dans le cas où le notaire rendrait un avis différent du psychiatre ; ce sera difficile à fonder en droit ; il faudrait expliquer que le psychiatre désavoué par le notaire ne peut argumenter…

4°) : Des citoyens tirés au sort comme les jurés d’assises a la majorité de 4 sur 5. On n’insiste pas, tant l’impossibilité est la même ; d’ailleurs ce ne sont pas les jurés mais les psychiatres qui sont chargés de dire ce qu’il en est de la santé mentale des accusés.

Alors si ni le notaire ni le jury ne contestent l’avis du psychiatre, que vont-ils faire ?

Ce qui est tragique dans cette proposition, c’est qu’à chaque refus l’instance d’appel est faite de gens dont la compétence diminue. Je suppose que si on a besoin du psychiatre, c’est parce qu’on le considère (on pourrait en débattre) comme un spécialiste de l’esprit humain.

Mais qui convoque-t-on pour en appeler de son avis ? Le notaire. On va avoir du mal à expliquer que le notaire s’y connaît mieux que le psychiatre. Soit, dira-t-on, mais ce n’est pas une question de médecine. Mais si ce n’est pas une question de médecine, pourquoi le psychiatre ? Pour dépister une dépression ? Mais si le psychiatre pose un diagnostic de dépression, que pourra bien dire le notaire ?

Toutefois le notaire peut être considéré comme disposant d’une expertise en relations humaines. Mais si c’est le cas, alors le jury citoyen s’y connaît moins que le notaire. N’est-ce pas bien méprisant pour les citoyens ? Assurément. Mais si c’est pour faire confiance au citoyen (on le fait bien pour les jurys d’assises), alors pourquoi le notaire et le psychiatre ? Simplement parce que sans un minimum de professionnalisme la procédure ne peut être prise au sérieux par quiconque. Mais la rigueur intellectuelle imposerait plutôt de dire que s’il y a refus par une instance c’est que la situation est délicate et qu’il faut la confier à un niveau de compétence accru.

La réponse qui m’est faite alors est particulièrement pauvre :

C’est un domaine complexe ; le psy intervient surtout pour dire les cas « indiscutables » de maladie psychiatrique. Plutôt que des querelles d’expert psy, il vaut mieux changer d’angle de vue et de même pour les citoyens. Autant dire que tout doit être fait pour ramener le problème à des simplismes.

Ce qui est éludé ici est pourtant la question essentielle. Passons sur l’exemple qu’il me donne de la jeune fille en chagrin d’amour : il lui aurait suffi de passer une soirée dans un service d’urgences pour se rassurer, elles n’utilisent jamais de drogues dangereuses, ou alors à des doses homéopathiques ; ce point est important car, contrairement à ce qu’on raconte, il existe un autre type de tentative de suicide, bien plus fréquent qu’on ne pense, où on voit bien que le suicidant s’est somme toute raté d’assez peu (ce qui suffirait à prouver que le suicide est un acte plus simple qu’on ne dit, et que les compétences nécessaires se trouvent facilement). Mais examinons la suite : « Il s’agit (…) d’éviter que par exemple (…) un malade psychiatrique, un dépressif, puisse passer acheter la potion chez Leclerc ». Quelle idée se fait-il du malade psychiatrique ? Serait-il en train de me dire que le malade mental ne saurait décider pour lui-même ? Quelle idée se fait-il de la dépression ? A-t-il déjà pris en charge un de ces malades atteint de mélancolie délirante ? A-t-il déjà observé dans quelles souffrances ils se débattent ? A-t-il déjà vu ces malades atteints de dépression chronique, qui ne tirent aucun bénéfice des traitements, dont l’existence est un cauchemar et pour qui la mort serait une délivrance ? Là, tout vacille : bon pour ceux-là on fera une exception, et on autorisera le suicide. À ceci près que pour le coup on va avoir du mal à trouver un psychiatre qui arrive à la conviction que, décidément, pour ce malade particulier la situation est désespérée.

Et on aurait grand tort de croire qu’il s’agit là de situations rares. Le gériatre que je suis aura côtoyé une foule de personnes âgées qui répétaient à l’envi leur désir de mourir. La réaction usuelle est de rétorquer qu’ils disent cela mais qu’il suffit de voir la panique qui les saisit à la moindre quinte de toux. Je crois que c’est là une lourde erreur : on peut parfaitement avoir un grand désir de mourir et redouter de le faire (d’ailleurs moi-même je rêve de faire du deltaplane). Ou alors on rappelle que tout désir de mort est nécessairement le signe d’une dépression, ce qui est une ânerie. On serait plus avisé de prendre ce désir de mort au sérieux, ce qui n’implique pas qu’on y souscrive.

Mais le pire est évidemment de réduire la question à celle de la maladie mentale, ou même à celle de la dépression : comment tenir ce propos quand la dépression fait partie intégrante du tableau de la fin de vie ?

Bref, on veut mettre en place une procédure :
- Complexe.
- Qui impose à ce malade en souffrance (car s’il n’est pas en souffrance je ne comprends plus où est le problème) des délais incompatibles avec l’humanité.
- Juridiquement intenable.
- Pour juger de situations qui dans leur essence même sont injugeables.

Cela fait beaucoup de difficultés.

DES PRÉCAUTIONS À PRENDRE :

Et je maintiens mon point de vue : on ne peut pas en même temps revendiquer cette liberté et la soumettre à un contrôle. Il y a là une contradiction de fond, qui renvoie à une conception de la liberté que je ne saurais partager.

Mais voici qu’il invoque la nécessité pour l’État de prendre des précautions.

Et pourquoi prendrait-il des précautions ? En quoi des suicides inconsidérés seraient-ils susceptibles de porter atteinte à l’ordre public ? L’État est fondé à réprimer l’ivresse publique, parce que l’ivrogne peut faire courir un danger à autrui. Mais le suicidant ne lèse que lui-même, n’est-ce pas ? Alors qu’est-ce qui peut bien pousse à dire que l’État aurait une sorte de droit de regard ?

Il fut un temps où l’État avait ce droit de regard : c’était l’époque où le suicide était considéré comme un crime. Je suppose que ce n’est pas dans cette ligne que mon interlocuteur se situe. Simplement il y a bien quelque chose qui pointe là, qui est la situation particulière de l’État vis-à-vis du suicide, mais à mon sens cela ne fonctionne nullement comme il me semble le penser.

La loi est un outil qui vise à organiser la vie en société. Toute loi qui ne poursuivrait pas ce but serait attentatoire aux libertés, comme l’indique l’article IV de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen :

La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société, la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi.

Il suit de là, et c’est un principe absolu de droit, que la loi n’a rien à dire sur ceux qui ne souhaitent pas vivre en société. Ce serait faire prendre un gros risque à l’ensemble de notre édifice juridique que de méconnaître cette évidence. Du coup si la loi ne peut réprimer le suicide, c’est d’une part parce qu’elle serait bien en peine de le faire, mais c’est d’autre part parce qu’elle se nierait elle-même en le faisant. Et tout comme elle n’a rien à dire contre le suicide, elle n’a rien à dire pour. Le suicide ne peut faire l’objet d’un droit. Allons plus loin : la sagesse commande au législateur de prendre en compte, quand il légifère, le risque de mésusage de la loi qu’il veut faire adopter. Et s’agissant du suicide, la sagesse commande de ne pas en faciliter la pratique.

C’est une des multiples escroqueries intellectuelles de l’ADMD que de feindre de croire que le suicide est un acte compliqué. Les médicaments adéquats sont en vente libre (les anglais les connaissent parfaitement), et l’information est offerte à qui veut la trouver.

J’ai toujours été frappé, dans mes discussions avec les partisans de l’euthanasie, de constater que très majoritairement ils ne s’étaient jamais demandé comment ils procéderaient pour eux-mêmes (et mon interlocuteur reconnaît : C’est mon cas) ; y compris les professionnels de santé, y compris des confrères. Alors que moi, n’ayant pourtant aucune envie de mettre fin à mes jours, je sais fort bien comment je ferais. Ce n’est pas trop demander à qui veut organiser son suicide que de prendre les mesures nécessaires en temps opportun ; s’il ne le fait pas et qu’il se trouve de ce fait empêché d’y procéder le moment venu, il faudra bien que dans ma réflexion je prenne en compte le fait qu’il n’a rien préparé, rien anticipé, ce qui me fera considérer avec quelque réserve les souhaits qu’il aura pu formuler par ailleurs.

Je crois donc que la seule (et la meilleure) précaution que l’État doit prendre s’agissant du suicide est précisément de ne rien faire du tout. Hypocrisie ? Nullement : il ne manque pas d’exemples où l’État s’abstient sagement de prendre position sur ce qui ne le regarde pas.

UN TEXTE CONTRAIGNANT :

Mon interlocuteur écrit qu’il serait possible d’administrer la mort à une personne qui n’est plus capable d’exprimer sa volonté mais dont le testament de vie indique des conditions dont on constate qu’elles sont réalisées. Reprenons son exemple : Si je ne reconnais plus ma femme ou mes enfants je veux exercer mon droit à bénéficier d’une aide médicamenteuse pour mourir d’une mort douce.

Il est nécessaire ici de bien catégoriser les choses.

Nous ne sommes plus dans le suicide assisté : par définition il s’agit de mettre fin à la vie de quelqu’un qui ne le demande pas, parce qu’il n’est pas en état de la demander.

Nous ne sommes pas davantage dans l’euthanasie, du moins pas au sens où on feint d’en parler à l’ADMD : un malade en fin de vie et en proie à des souffrances insupportables. Car le dément (c’est, je présume, le type de situation qui est ici en vue) qui ne reconnaît plus ses proches n’est pas pour autant en fin de vie, et il suffit de le regarder vivre (et de savoir s’en occuper, ce qui est une autre question), pour constater qu’on n’a pas d’argument pour parler de « souffrances insupportables ». On peut certes objecter que je n’en sais rien. Mais l’argument est doublement court :
- D’une part parce qu’il existe des procédures qui permettent d’évaluer cette souffrance. Certes il n’y a pas que la douleur physique ; pour qui me prendrait-on pour s’imaginer que je ne le sais pas ? Ou que je la néglige ? Non : je tiens au contraire, et depuis toujours, que la souffrance est le problème essentiel, bien plus que les symptômes physiques ; et qu’il faut utiliser les outils adaptés ; à condition de les connaître, et de se donner les moyens de les utiliser, notamment l’évaluation en équipe. Il est tout à fait possible de douter de leur efficacité ; mais ce serait simplement les méconnaître. De plus je ne peux me retenir à ce sujet d’une pointe d’agacement : on ne peut pas suspecter les médecins d’incompétence pour évaluer telle chose et dans le même temps les convoquer au nom d’une compétence qu’alors on ne leur conteste plus pour procéder au meurtre légal. Il y a des médecins incompétents, je n’ai aucune illusion sur la mienne, et je n’ai guère d’estime pour ma profession. Mais cela ne change rien au fait qu’on ne peut pas se contenter de distribuer aux médecins des certificats de compétence à géométrie variable.
- D’autre part parce qu’il est question ici de statuer sur la vie et sur la mort. Tout de même, ce n’est pas trop demander que d’essayer d’avoir quelques certitudes. Et on ne peut admettre de se donner le droit de supprimer quelqu’un au motif qu’il se pourrait qu’il souffre. On voit trop à quels dérapages on s’exposerait alors.

Non. Le plus sage est de dire que si nous voulons penser cette nouvelle situation il est nécessaire de la démarquer et du suicide assisté et de l’euthanasie. Comment dès lors pouvons-nous la concevoir ?

Il me semble que nous pouvons l’aborder à l’aide de l’expression que mon adversaire a reprise : le testament de vie. Il s’agit d’un testament. Or, même si on sait qu’étymologiquement le mot testament signifie simplement : témoignage, on ne peut éluder le fait que dans le langage actuel ce mot désigne les volontés qu’un homme veut voir respectées après sa mort. Ce qui est mis en œuvre dans le testament c’est le droit qu’on confère à un individu de statuer sur ce qu’on fera de son corps ou de ses biens alors même qu’il ne sera plus là pour y pourvoir. Le testament est ce qui prend force après la mort de celui qui l’a rédigé, de sorte que l’expression testament de vie est un oxymore. Si je veux prendre cet oxymore au sérieux, je dois considérer que mon interlocuteur souhaite faire reconnaître un droit, celui de se comporter vis-à-vis de l’auteur du testament de vie comme s’il était déjà mort, et de donner au testament de vie la même force qu’au testament tout court.

Mais si c’est bien de cela dont nous parlons, alors on ne peut pas éviter un certain nombre de questions.

Une première est que, précisément, on sait bien quel flou entoure le droit du cadavre. Il va donc être très compliqué de décalquer sur l’encore vivant un droit qui par essence est bancal.

Une seconde question est que le respect des dispositions testamentaires est d’une absoluité fort variable : si le testament est largement respecté s’agissant de la répartition des biens, il faut tout de même rappeler qu’on peut le casser (ce que je trouve incompréhensible : ou bien on renonce au concept de testament, ou bien on le considère comme intangible ; personnellement je renoncerais au concept) et que la liberté du testateur est de plus en plus restreinte (ce que je trouve tout aussi incompréhensible). Quant au respect des autres dispositions, celles relatives aux funérailles par exemple, il est nettement plus hésitant, et je n’ai pas d’exemple que la justice, notamment, s’en mêle beaucoup.

J’ajoute, troisième question, que cela ne me choque pas tellement. Je veux dire qu’à mon sens quiconque veut se comporter comme un être de raison arrive rapidement à considérer que les funérailles sont faites pour les vivants, non pour les morts, et que le seul qui n’en a absolument rien à faire est le défunt. Un esprit rationnel n’a que faire de ce qui adviendra de son corps. Je crois même qu’il s’agit là d’une position éthique forte, et que c’est un devoir pour chacun de ne pas s’en mêler. À titre personnel je dis volontiers que si mes endeuillés ont deux sous de bon sens ils me mettront au feu, mais que s’ils veulent faire autrement c’est leur problème ; la seule vertu que je trouve aux dernières volontés est qu’elles dispensent les survivants de se questionner.

Et je dis bien : position éthique. Je me souviens de cette très jeune femme qui se mourait et qui avait clairement indiqué son désir d’être incinérée ; le problème fut que pour son père, bon musulman, c’était là une décision insupportable, puisqu’elle condamnait sa fille à l’enfer. Fort heureusement on ne demande pas aux médecins de trancher ce genre de situation ; mais quelle aurait été le bon choix éthique ? Dans une perspective déontologique, c’est-à-dire grossièrement européenne, la réponse est claire, et il faut respecter la parole du défunt. Mais dans une perspective conséquentialiste, disons anglo-saxonne, alors on a du mal à envisager un choix qui implique une souffrance intolérable pour les survivants (ici le commentaire de mon contradicteur montre qu’il n’a aucun moyen de penser cette situation).

Toutes ces objections faites je ne vois pas comment penser un statut du testament de vie sans chercher de ce côté. Il s’agirait donc de dire que, dès lors qu’il n’est plus en état d’exprimer ses volontés, il doit bénéficier du droit de substituer à cette expression défaillante un texte préalablement écrit ; il s’agit de donner au pas-encore-mort les prérogatives du mort (et redisons ici que, contrairement à ce qu’on imagine, les droits du testateur sont fort limités).

Il me semble que le droit français connaît deux tentatives, fort partielles certes, pour asseoir de telles prérogatives. Ce sont les directives anticipées et le mandat de protection future. Ce sont des tentatives récentes, je crois que la sagesse commande de les laisser évoluer, de laisser la jurisprudence s’établir avant d’en désespérer. Prenons l’exemple des directives anticipées : elles n’ont d’autre valeur juridique que celle d’un texte qui doit obligatoirement être consulté. Elles sont donc ce que le médecin en fait. Pour ma part j’ai toujours été plus loin, et je les ai toujours considérées comme ma loi, m’engageant à justifier un éventuel non-respect (cela ne m’est jamais arrivé). Le médecin qui ne respecte pas les directives anticipées ne risque absolument rien au plan pénal ; mais quand il sera allé trois fois au l’audience, poursuivi par des familles lui reprochant ses décisions, je crois qu’on y verra plus clair.

Ce que directives anticipées et mandat de protection future ont en commun, c’est qu’elles ne portent pas de décision en soi. Ce sont des mesures procédurales qui organisent la prise de décision. Pourquoi en va-t-il ainsi ?

Provisoirement, et après avoir rappelé que la société ne peut qu’être en difficulté quand il s’agit de statuer sur ceux qui sortent ou décident de sortir d’elle (mais sans insister, car s’agissant des directives anticipées par exemple elles concernent des malades qui, précisément, y sont encore), je dirais que nous pouvons difficilement prendre des dispositions sur la mort puisque personne n’en a la moindre expérience. Ce que nous disons sur la mort, nous le disons sur des considérations philosophiques qui n’ont jamais, et pour cause, été confrontées à la réalité, ou sur l’expérience que nous avons de la mort des autres, comme si la mort de l’autre pouvait m’apprendre quoi que ce soit sur la mort de moi.

Dans ces conditions il est inenvisageable de figer une décision sur la mort. Ce que disent les textes en vigueur c’est que le sujet peut organiser les choses, désigner ceux qui décideront quand il ne sera plus en mesure de le faire lui-même, donner des indications essentielles ; les textes disent aussi que ces indications essentielles ont une valeur majeure d’orientation. Mais quand je ne suis plus en mesure de décider pour moi, il faut bien que d’autres le fassent. Penser autrement, c’est s’imaginer que la fin de vie est une sorte d’autoroute où tout se passe toujours comme prévu, ce que l’expérience quotidienne dément constamment. Je n’ai nulle envie d’entrer en démence, je n’ai nulle envie de ne plus reconnaître ma femme, si cela m’arrive je crois qu’on n’agira sagement en ne prolongeant pas mon existence ; et j’écrirai cela. Mais je n’ai aucune expérience personnelle de la démence : je n’ai que celle, longue il est vrai, de celle des autres. Et j’ai vu trop de déments heureux pour ne pas savoir que les consignes qu’on pourrait donner sont un peu relatives.

La réponse : Il faut penser a la S.S et aux héritiers qu’ils ne faut quand même pas enterrer se termine par un smiley. Dont acte. À ceci près qu’en répondant par une boutade mon correspondant montre, précisément, qu’il n’a pas d’autre réponse, et qu’il y a toujours lieu de se demander si les mots qu’on choisit pour plaisanter sont réellement pris au hasard.

L’AFFAIRE DE BAYONNE :

Venons-en maintenant à l’affaire de Bayonne, ou tout au moins à ce qu’on nous en dit.

Je lui ai fait part de ma surprise devant la première phrase de son mail :

Nous n’aurions pas le cas de ce médecin devant la Justice si le référendum d’initiative citoyenne, souhaité par 82 à 88 % des Français, avait été instauré car une proposition serait soumise aux 45 millions d’électeurs qui pourraient choisir les conditions de la loi permettant à chaque personne de bénéficier d’une aide médicamenteuse pour mourir d’une mort douce.

Cette surprise vient du fait que l’affaire de Bayonne ne correspond nullement à cette revendication.

Les partisans de l’euthanasie la revendiquent quand on a affaire à un malade en fin de vie et en proie à des « souffrances insupportables ». Les malades de Bayonne étaient-elles en fin de vie ? On peut supposer que oui ; on doit le supposer, car si ce n’était pas le cas alors nous aurions affaire à tout autre chose, sur quoi il n’est pas utile ici de raisonner. Mais étaient-elles en proie à des « souffrances insupportables ? ». Tout ce que je sais, c’est que la souffrance, qu’elle soit liée à une douleur, à un symptôme pénible ou à une détresse devant une situation que le malade ne veut pas vivre, cette souffrance doit être évaluée. Un professionnel de santé qui n’évalue pas est un mauvais professionnel. Évaluer, cela ne veut pas dire que c’est moi qui fixe le degré de la souffrance ; évaluer c’est me donner les moyens de fournir au malade une réponse adaptée. Si le malade est en état de parler, le rôle du professionnel est simplement de vérifier que sa parole est fiable : chacun sait que tous les mots ne doivent pas être pris au pied de la lettre. Mais s’il n’est pas en état de parler, alors il faut utiliser les outils d’évaluation de la souffrance dont nous disposons ; ces outils ont tous en commun de nécessiter une observation en équipe. Il y a de solides raisons de penser que le médecin de Bayonne n’a pas utilisé ces outils, il a donc renoncé à évaluer la souffrance de ses malades. Et tout médecin un peu frotté de soins palliatifs sait ce qui se passe quand on évalue une situation sur « ce qui s’échange dans les regards ». De même on n’a pas eu la notion que le médecin ait essayé quoi que ce soit, par exemple pour calmer une douleur.

Là-dessus il m’objecte qu’il ne pouvait pas le faire car cela aurait été compromettre son acte d’euthanasie ; je lui accorde volontiers ce point, mais j’attends qu’il m’accorde en retour que dans ces conditions on a mis à mort des patients dont on ne savait même pas s’ils souffraient. Il me semble noter là une certaine dérive par rapport au projet initial : pour justifier ces euthanasies, il accepte l’idée que la souffrance n’est pas nécessaire (redisons ici que moi non plus je ne limite pas la souffrance à la douleur ou à l’inconfort).

Mais on revendique aussi le droit à un suicide assisté en cas de demande libre, éclairée, lucide et réitérée. Il suffit de noter que les malades dont il est question n’avaient rien demandé, tout simplement parce qu’elles n’étaient pas en état de demander quelque chose.

Parvenu à ce point, il me dit qu’il se contentera de l’avis de la famille, et il relève à bon droit qu’aucune d’entre elles n’a déposé plainte. En d’autres termes, tout comme il a renoncé à exiger qu’au moins la réalité de la souffrance soit établie, il renonce à exiger que la parole du malade soit recueillie : si le malade n’a rien dit, on se rabattra sur l’avis de la famille. C’est au prix de ce nouveau recul qu’on peut justifier cette histoire de Bayonne. Mais de recul en recul, cela commence à me faire beaucoup. Et surtout cela me fait penser à ce qu’il a proposé pour le psychiatre et le notaire : quand une condition n’est pas satisfaite, s’en sortir en supprimant la condition. Mais si la condition peut être supprimée, pourquoi l’avoir posée ?

Quand le sujet a perdu toute aptitude à la communication, l’avis de la famille est essentiel. Mais ce ne peut être qu’un avis, plus autorisé que d’autres. S’est-il déjà trouvé dans une telle situation ? Face à une décision de fin de vie difficile, a-t-il eu à demander à l’entourage ce qu’il pense que le malade en aurait pensé ? A-t-il entendu leurs réponses ? Dans l’écrasante majorité des cas, la famille n’en sait pas plus que les soignants, tout simplement parce qu’on ne parlait pas de ça à la maison, et l’avis se réduit à : « Elle n’aurait pas souhaité d’acharnement thérapeutique », ou : « Elle n’aurait pas voulu vivre ça » ce qui n’éclaire absolument rien : a-t-on jamais entendu quelqu’un qui déclare souhaiter subir un acharnement thérapeutique ? A-t-on jamais entendu quelqu’un qui déclare souhaiter vivre « ça » ? Dans l’écrasante majorité des cas la famille est d’abord en proie à sa propre souffrance, qu’il lui faut assumer, et cette souffrance, comme on le sait bien, altère son objectivité. L’avis de la famille est essentiel, mais on apprend à le tempérer dès qu’on a observé que les demandes d’euthanasie émanant de la famille sont infiniment plus fréquentes que celles provenant du malade (je parle des situations où le malade est encore en état de parler).

Alors les familles n’ont pas porté plainte. Ceci doit être pris en considération. Mais ceci n’est absolument pas décisif :
- Les familles sont avant tout en deuil, et ont autre chose à faire qu’à poursuivre un médecin.
- Je crois que si une telle mésaventure m’arrivait, je ne porterais pas plainte non plus : le problème de l’euthanasie ne se résout pas en s’acharnant contre un confrère qui n’a certainement pas agi par intérêt.
- Les familles ont, nous dit-on, donné leur consentement, au moins tacite. De ce simple fait elles se sont rendues symboliquement complices. Il suffit d’un peu de pratique pour noter le violent sentiment de culpabilité qui taraude tous ceux des proches qui, à un moment ou à un autre de l’évolution, ont souhaité « que les choses se terminent » ; la base de l’accompagnement des proches réside dans cette ambivalence culpabilisante entre le désir de garder l’être aimé le plus longtemps possible et le désir de voir cesser le supplice de l’attente.
- Nous savons tous (ou du moins nous croyons le savoir) que les situations de Bayonne sont largement symboliques : il s’agissait, nous dit-on, de malades à l’extrême fin de leur vie, et il n’est même pas certain que les actes du médecin aient notablement écourté leur existence. L’affaire naît du fait que ce médecin a agi sans se donner les moyens de savoir s’il ces euthanasies étaient nécessaires, et sans davantage établir un pronostic précis.

Bref, tirer argument du fait que les familles n’ont pas porté plainte, c’est prendre pour une particularité étonnante ce qui en réalité n’est qu’une évidence.

Et la réponse est désarmante :

Je suis très content de cette affaire qui va aboutir à un acquittement du toubib par le « peuple » ! Cela mettra en évidence l’incurie des prétendus représentants du peuple qui ne votent pas des lois souhaitées par 94% des citoyens, ce qui viole l’article 6 de la DDHC de 1789 « La loi est l’expression de la volonté générale… » pas du Dr Léonetti !

Il faut s’être bien peu intéressé à cette loi (dont par ailleurs je ne pense pas que du bien) pour ignorer combien elle a été au contraire discutée, débattue, combien elle a fait l’objet d’une très longue enquête, bref combien la loi Léonetti est tout sauf l’expression de la seule volonté du Dr Léonetti.

QUEL EST LE PROJET ?

En fait, je me demande si la solution ne vient pas des propres mots de mon adversaire. Deux citations pourraient suffire.

Ma proposition la loi mettra fin à l’hypocrisie, aux demi-mesures, elle n’obligera pas des médecins compatissants à risquer les assises pour rendre service à des malades et à leurs proches vivant des moments pénibles.

Il faudrait là, peut-être, un peu plus de circonspection. Car l’un des enjeux essentiels est bien là : à qui veut-on rendre service ? Est-ce au malade, ou est-ce aux proches ? Quand le malade est dans un coma terminal et qu’il n’est plus présent à son environnement, de quoi souffre-t-il ? Qui cherche-t-on à épargner en déclenchant son arrêt cardiaque ? Il suffit d’avoir eu à accompagner deux ou trois situations de fin de vie pour savoir de quel poids cette question peut peser.

La situation du médecin, notamment hospitalier serait très confortable. S’il estime que les derniers moments sont venus, il expose la situation médicale aux « personnes de confiance » désignées par écrit par le malade et à défaut par la loi. Celles-ci, si elles ont des doutes ou besoin d’explications consultent l’équipe puis demandent ou pas l’administration de la potion létale immédiatement.

La description est particulièrement significative : on met en scène un médecin qui, en somme, prend les choses en main, devance les questions et se trouve à l’initiative du projet d’euthanasie. Il ne s’agit plus d’écouter avec bienveillance la demande de la famille, il s’agit de la lui susurrer. Quant au malade (mais sans nul doute les mots ont dépassé sa pensée), il n’est pas question de recueillir son avis, ni même de se demander s’il en a un.

CONCLUSION :

Je ne sais pas ce qui se passe ensuite, mon interlocuteur a disparu. Mais le lecteur aura sans doute compris qu’on tient là le panorama peu près complet de toutes les erreurs qu’on peut commettre quand on parle d’euthanasie : confusion des thèmes, méconnaissance des situations réelles, besoin de dramatiser, fantasmagories (et ces fantasmagories me confirment dans mon intuition que nous avons affaire à des gens qui, contrairement à ce qu’ils fanfaronnent, ont de la mort une peur panique), et incapacité à imaginer que ceux à qui ils s’opposent ont des arguments. Voici de quoi écrire un aide-mémoire pour tous les débats à venir.

J’ose à peine ajouter qu’à l’autre question que je lui posais :

Que pensez-vous des commentaires de M. Romero sur les affaires Hannah Jones et Eluana Engaro ?

mon contradicteur n’a pas répondu plus que les autres.