La loi Claeys-Léonetti

15 | (actualisé le ) par Michel

Récemment a été publié le « Décret no 2016-1066 du 3 août 2016 modifiant le code de déontologie médicale et relatif aux procédures collégiales et au recours à la sédation profonde et continue jusqu’au décès prévus par la loi no 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie ».

On présume que la saga de la loi Claeys-Léonetti s’achève ici. Il n’est pas sans intérêt de noter que ce Décret procède par modification du Code de déontologie médicale, ce qui incite à penser que la manière dont ces dispositions seront ou non respectées sera de la compétence du Conseil de l’Ordre, et non des Tribunaux.

Il y a là une étrangeté, si l’on considère que les lois Léonetti I et II modifiaient, elles, la partie législative du Code de la Santé Publique ; le décret ne modifie que la partie réglementaire. Cela me semble un recul ; compte tenu de tout le mal que je pense de la loi Claeys-Léonetti, je devrais m’en réjouir… mais j’éprouve surtout un léger sentiment d’hypocrisie. Passons.

La question essentielle qui me semble se poser du point de vue législatif est simplement de savoir qui décide. Et les choses sont très simples : ou bien c’est le malade (ou ses représentants) ou bien c’est le médecin. Mais pour que ce soit le malade, il faut partir du principe que sa volonté telle qu’il l’exprime s’impose sans échappatoire. À ma connaissance personne n’a osé. Deux notes à ce sujet :
- Comment définit-on l’expression de la volonté d’un malade ? On pourra dire que ce qui compte ce sont ses mots. Il n’est pas si facile d’expliquer pourquoi on privilégie à ce point l’expression verbale : le problème classique, surtout en soins palliatifs, est qu’on sait combien il faut être prudent avant, précisément, de prendre pour argent comptant les mots du malade. D’un autre côté on est parfois un peu agacé de voir que ces mots sont volontiers tenus pour négligeables au motif qu’« il faut décrypter ». Les mots, ce n’est pas rien ; une des bases du droit est que fait foi ce que le sujet a signé ; et si certes le malade doit être écouté au-delà de ce qu’il dit il arrive qu’on ait le sentiment que le projet est de l’écouter jusqu’à ce qu’il nous ait dit ce que nous voulions entendre. Bref il y a à débattre sur ce point ; mais si on débat, si on dit qu’il ne faut pas se précipiter sur les mots, alors on admet du même coup qu’il y a quelqu’un qui juge de l’évidence suffisante du désir exprimé, et si quelqu’un est juge alors c’est lui qui a la réalité du pouvoir. Ceci est dit sans ironie : on sait bien que le problème posé par les mots est réel.
- Même l’ADMD maintient des verrous : il faut pour elle que la demande d’euthanasie ait été soumise à un médecin ; mais elle se garde bien de dire ce qui se passe si le médecin ne valide pas la demande, on suppose qu’il suffit de s’adresser à un autre, puis un autre, jusqu’à ce qu’on en trouve un qui accepte. Si ce n’est pas le cas, alors c’est le médecin qui exerce la réalité du pouvoir. On comprend bien pourquoi il en va ainsi : il s’agit d’éviter, par exemple, d’accéder à des demandes d’euthanasie émises par des malades souffrant de dépression (je veux bien qu’on m’explique comment on va considérer le cas de ces déprimés chroniques que rien ne soulage et dont la souffrance vaut largement celle de cancéreux multimétastasés, mais sans doute est-ce trop demander) ; mais cela ne change rien au fond : si l’euthanasie est une liberté fondamentale on n’a que faire de l’avis d’un médecin, et s’il faut un contrôle c’est le contrôleur qui décide.

Que voit-on ici ? Qu’il n’y a aucune solution. Personne ne songe à imposer de déférer à toute demande expresse du malade. Et si on ne le fait pas, alors il perd son pouvoir. Pour peu on dirait que, posant le problème en ces termes, on le pose mal, et que s’il y a une solution elle ne peut venir que de la relation, de la discussion ; pourquoi pas, à ce compte, demander qu’on se serve de son cerveau ? Et la difficulté est bien là : quand un problème se pose dans une communauté, on peut l’étudier pour lui-même, ce qui s’appelle faire du cas par cas ; on peut aussi décider qu’on va appliquer une règle (éventuellement édictée par voie consensuelle, comme c’est censé être le cas en démocratie), ce qui permet d’économiser son cerveau ; l’utilisation du système de la loi a d’énormes avantages, il n’a pas que des avantages. Ou, pour le dire autrement, le rôle du juge n’est pas d’appliquer la loi : l’instance qui applique la loi, c’est le radar ; le rôle du juge au contraire est de dire pourquoi, dans le cas qui lui est soumis, il ne va pas appliquer la loi.

Bon. Lisons le décret :

Art. 1er. – Le troisième alinéa de l’article R. 4127-36 du code de la santé publique est remplacé par les dispositions suivantes : « Si le malade est hors d’état d’exprimer sa volonté, le médecin ne peut intervenir sans que la personne de confiance, à défaut, la famille ou un de ses proches ait été prévenu et informé, sauf urgence ou impossibilité ».

Je ne sais pas quelle était la teneur de l’ancienne version de cet alinéa ; mais ce qui est apporté ici n’est rien d’autre que ce qui l’était par Léonetti I. La seule anomalie est sans doute qu’il faille le rappeler, alors que le bon sens devrait suffire. Ce qui manque ici ce sont les sanctions.

Art. 2. – L’article R. 4127-37 du même code est remplacé par les dispositions suivantes : « Art. R. 4127-37. – En toutes circonstances, le médecin doit s’efforcer de soulager les souffrances du malade par des moyens appropriés à son état et l’assister moralement. Il doit s’abstenir de toute obstination déraisonnable et peut renoncer à entreprendre ou poursuivre des traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou qui n’ont d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie. »

Même remarque.

Mais voici le plat de résistance :

Art. 3. – Après l’article R. 4127-37 du même code, il est créé quatre articles ainsi rédigés :

« Art. R. 4127-37-1. – I. – Lorsque le patient est hors d’état d’exprimer sa volonté, le médecin en charge du patient est tenu de respecter la volonté exprimée par celui-ci dans des directives anticipées, excepté dans les cas prévus aux II et III du présent article.

On va voir ici le mécanisme qu’on vient de décrire : car nous lisons que le médecin est tenu de respecter la volonté du malade sauf quand il n’y est pas tenu.

« II. – En cas d’urgence vitale, l’application des directives anticipées ne s’impose pas pendant le temps nécessaire à l’évaluation complète de la situation médicale.

CQFD : qui décide qu’il y a urgence vitale ? Qui décide qu’il faut évaluer la situation ? Qui décide que l’évaluation a été complète ? Et il n’y a certes aucun moyen de faire autrement, car les inconvénients seraient pires que les avantages. Mais du coup on tient pour nulles les directives anticipées pourtant aussi explicites que les miennes, dans lesquelles je déclare que si je suis dans un état de démence telle qu’on a dû me conduire en institution je ne veux pas qu’en cas d’urgence vitale on me réanime.

« III. – Si le médecin en charge du patient juge les directives anticipées manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale, le refus de les appliquer ne peut être décidé qu’à l’issue de la procédure collégiale prévue à l’article L. 1111-11. Pour ce faire, le médecin recueille l’avis des membres présents de l’équipe de soins, si elle existe, et celui d’au moins un médecin, appelé en qualité de consultant, avec lequel il n’existe aucun lien de nature hiérarchique. Il peut recueillir auprès de la personne de confiance ou, à défaut, de la famille ou de l’un des proches le témoignage de la volonté exprimée par le patient.

Tout est dit : le malade aura beau faire, c’est le médecin qui décide de la valeur de directives qu’il est tenu, mais tout de même pas tenu, de respecter (certes on peut espérer quelques progrès par l’application de la procédure collégiale, mais il manque ici encore les détails et les sanctions). Et la supercherie éclate dans ce détail : le médecin recueille l’avis des membres présents de l’équipe de soins (on ne va tout de même pas prendre le temps de les réunir tous), et celui d’au moins un médecin ; il peut recueillir auprès de la personne de confiance, etc.

Suit une série de dispositions qui tombe sous le sens, et que je ne recopie que pour être complet.

« IV. – En cas de refus d’application des directives anticipées, la décision est motivée. Les témoignages et avis recueillis ainsi que les motifs de la décision sont inscrits dans le dossier du patient.

« La personne de confiance, ou, à défaut, la famille ou l’un des proches du patient est informée de la décision de refus d’application des directives anticipées.

« Art. R. 4127-37-2. – I. – La décision de limitation ou d’arrêt de traitement respecte la volonté du patient antérieurement exprimée dans des directives anticipées. Lorsque le patient est hors d’état d’exprimer sa volonté et en l’absence de directives anticipées, la décision de limiter ou d’arrêter les traitements dispensés, au titre du refus d’une obstination déraisonnable, ne peut être prise qu’à l’issue de la procédure collégiale prévue à l’article L. 1110-5-1 et après qu’a été recueilli auprès de la personne de confiance ou, à défaut, auprès de la famille ou de l’un des proches le témoignage de la volonté exprimée par le patient.

« II. – Le médecin en charge du patient peut engager la procédure collégiale de sa propre initiative. Il est tenu de le faire à la demande de la personne de confiance, ou, à défaut, de la famille ou de l’un des proches. La personne de confiance ou, à défaut, la famille ou l’un des proches est informée, dès qu’elle a été prise, de la décision de mettre en œuvre la procédure collégiale.

« III. – La décision de limitation ou d’arrêt de traitement est prise par le médecin en charge du patient à l’issue de la procédure collégiale. Cette procédure collégiale prend la forme d’une concertation avec les membres présents de l’équipe de soins, si elle existe, et de l’avis motivé d’au moins un médecin, appelé en qualité de consultant. Il ne doit exister aucun lien de nature hiérarchique entre le médecin en charge du patient et le consultant. L’avis motivé d’un deuxième consultant est recueilli par ces médecins si l’un d’eux l’estime utile.

« Lorsque la décision de limitation ou d’arrêt de traitement concerne un mineur ou un majeur protégé, le médecin recueille en outre l’avis des titulaires de l’autorité parentale ou du tuteur, selon les cas, hormis les situations où l’urgence rend impossible cette consultation.

« IV. – La décision de limitation ou d’arrêt de traitement est motivée. La personne de confiance, ou, à défaut, la famille, ou l’un des proches du patient est informé de la nature et des motifs de la décision de limitation ou d’arrêt de traitement. La volonté de limitation ou d’arrêt de traitement exprimée dans les directives anticipées ou, à défaut, le témoignage de la personne de confiance, ou de la famille ou de l’un des proches de la volonté exprimée par le patient, les avis recueillis et les motifs de la décision sont inscrits dans le dossier du patient.

Mais voici autre chose :

« Art. R. 4127-37-3. – I. – A la demande du patient, dans les situations prévues aux 1o et 2o de l’article L. 1110-5-2, il est recouru à une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu’au décès, associée à une analgésie et à l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie, à l’issue d’une procédure collégiale, telle que définie au III de l’article R. 4127-37-2, dont l’objet est de vérifier que les conditions prévues par la loi sont remplies.

La sédation profonde et continue est un traitement. Comme tous les traitements elle a ses indications, ses non-indications, ses contre-indications. Comme tous les traitements elle est discutée avec le malade, comme l’exigeait déjà la loi Kouchner : Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé. Soit le texte présenté ici n’est qu’une redite, et il y a escroquerie intellectuelle à le prétendre innovant, soit il s’agit vraiment de réglementer une thérapeutique et cela pose question. On le voit d’ailleurs bien aux précisions qu’il se targue d’apporter : associée à une analgésie et à l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie. C’est inacceptable. On sait combien fréquente est l’erreur de ne pas donner d’analgésique à un patient sédaté ; mais les non-indications existent ; de même l’arrêt des « traitements de maintien en vie » tombe sous le sens ; le plus souvent. Ce que le texte dispose c’est qu’il s’agit de se donner les moyens de garantir que le malade va crever fissa sans déranger son monde.

Précisons un point : les « situations prévues aux 1o et 2o de l’article L. 1110-5-2 » sont :

1° Lorsque le patient atteint d’une affection grave et incurable et dont le pronostic vital est engagé à court terme présente une souffrance réfractaire aux traitements ;
2° Lorsque la décision du patient atteint d’une affection grave et incurable d’arrêter un traitement engage son pronostic vital à court terme et est susceptible d’entraîner une souffrance insupportable
.

Ces malades requièrent souvent une sédation ; qu’elle soit profonde et continue est affaire de médecine, non de Code de la Santé Publique. Il est fascinant d’autre part de lire que la sédation serait de droit dès lors que la situation est susceptible d’entraîner une souffrance insupportable ; on ne saurait mieux dire que le projet est de se débarrasser du problème. C’est si clair qu’on lit à la fin de cet article 1110-5-2 :

A la demande du patient, la sédation profonde et continue peut être mise en œuvre à son domicile, dans un établissement de santé ou un établissement mentionné au 6° du I de l’article L. 312-1 du code de l’action sociale et des familles.

Autrement dit, on peut procéder à des sédations profondes à domicile ou en maison de retraite. Et certes c’est une bonne chose ; à titre personnel j’en ai pratiqué, et je l’ai fait à une époque où on ne parlait même pas encore de la loi Kouchner ; il fallait se procurer clandestinement les drogues nécessaires auprès de copains réanimateurs complaisants. Mais je n’ai pas oublié ce que cela m’a coûté en termes de surveillance et de lourdeur de prise en charge. Pratiquer une sédation suppose une compétence technique, cela suppose un investissement humain, une disponibilité. Mais de cela le texte n’a cure : visiblement peu importe la casse, d’ailleurs le plus tôt sera le mieux.

« Le recours, à la demande du patient, à une sédation profonde et continue telle que définie au premier alinéa, ou son refus, est motivé. Les motifs du recours ou non à cette sédation sont inscrits dans le dossier du patient, qui en est informé.

Voilà qui, là encore, tombe sous le sens. Si on voulait innover il fallait dire ce qui se passe quand on ne le fait pas.

« II. – Lorsque le patient est hors d’état d’exprimer sa volonté et qu’un arrêt de traitement de maintien en vie a été décidé au titre du refus de l’obstination déraisonnable, en application des articles L. 1110-5-1, L. 1110-5-2 et L. 1111-4 et dans les conditions prévues au présent article, le médecin en charge du patient, même si la souffrance de celui-ci ne peut pas être évaluée du fait de son état cérébral, met en œuvre une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu’au décès, associée à une analgésie, excepté si le patient s’y était opposé dans ses directives anticipées.

Ce qui est dit ici c’est que dans ces situations la sédation profonde et continue est la norme ; on suppose d’ailleurs que l’alinéa III reste de mise et que Si le médecin en charge du patient juge les directives anticipées manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale il pourra passer outre, assurant ainsi la paix des cimetières. On ne relève même pas que le texte oublie de se demander s’il n’existerait pas, par hasard, des malades qui, hors d’état d’exprimer leur volonté, ne restent pas cependant tout à fait capables de vivre une situation dont le caractère confortable ou non reste à évaluer ; comme si nous ne savions pas évaluer la souffrance du malade non communiquant.

Le reste se passe de commentaires, et n’est cité que par souci d’information.

« Le recours à une sédation profonde et continue, ainsi définie, doit, en l’absence de volonté contraire exprimée par le patient dans ses directives anticipées, être décidé dans le cadre de la procédure collégiale prévue à l’article R. 4127-37-2.

« En l’absence de directives anticipées, le médecin en charge du patient recueille auprès de la personne de confiance ou, à défaut, auprès de la famille ou de l’un des proches, le témoignage de la volonté exprimée par le patient.

« Le recours à une sédation profonde et continue est motivé. La volonté du patient exprimée dans les directives anticipées ou, en l’absence de celles-ci, le témoignage de la personne de confiance, ou, à défaut, de la famille ou de l’un des proches de la volonté exprimée par le patient, les avis recueillis et les motifs de la décision sont inscrits dans le dossier du patient. « La personne de confiance, ou, à défaut, la famille, ou l’un des proches du patient est informé des motifs du recours à la sédation profonde et continue.

« Art. R. 4127-37-4. – Le médecin accompagne la personne selon les principes et dans les conditions énoncés à l’article R. 4127-38. Il veille également à ce que l’entourage du patient soit informé de la situation et reçoive le soutien nécessaire. »

Art. 4. – Au titre IV du livre IV de la quatrième partie du code de la santé publique, il est inséré un chapitre Ier ainsi rédigé :

« CHAPITRE Ier
« Professions médicales
« Art. R. 4441-1. – Les articles R. 4127-36, R. 4127-37, R. 4127-37-1, R. 4127-37-2, R. 4127-37-3 et R. 4127-37-4 sont applicables en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française dans leur rédaction résultant du décret no 2016-1066 du 3 août 2016. »

Art. 5. – La ministre des affaires sociales et de la santé, le garde des sceaux, ministre de la justice et la ministre des outre-mer sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l’exécution du présent décret, qui sera publié au Journal officiel de la République française.

Fait le 3 août 2016.

Bien sûr, j’exagère.

Bien sûr, un texte ne pouvait pas tout prévoir, et les objections dont je parle relève de cas particuliers dont il tombe sous le sens qu’ils constitueront autant d’exceptions admises. Mais je reste sur ma position :
- C’est parce que ce texte était loin de prétendre tout prévoir qu’il ne fallait pas de texte du tout.
- Si on voulait innover, il fallait des sanctions, qui font cruellement défaut depuis quinze ans.
- Et je n’ai pas rêvé : sous couleur d’améliorer les choses nous voici face à une série de dérapages qui ouvrent toutes grandes les vannes. La légalisation de l’euthanasie n’est vraiment plus nécessaire.