Procès Bonnemaison : clap de fin

(actualisé le ) par Michel

Le second procès du docteur Bonnemaison est terminé. J’ai eu l’occasion de commenter longuement cette affaire lors du premier procès, je ne vais pas recommencer. Mais il y a cinq points sur lesquels j’ai envie d’insister.

1°) : Si j’étais encore en activité, c’est sans réticence que j’accueillerais le Dr Bonnemaison dans mon équipe.

2°) : Le verdict a été deux ans avec sursis. C’est bien ; cinq ans m’auraient fait beaucoup. Mais l’important est qu’il ait été reconnu coupable. Ce point acquis, une dispense de peine aurait tout aussi bien fait mon affaire.

3°) : Pour sa défense, le Dr Bonnemaison a soutenu qu’il n’avait pas eu l’intention de tuer. Sur les éléments que j’ai glanés dans la presse, cela ne me semble guère soutenable. Rappelons ici les termes du débat.

Il existe en médecine un principe essentiel : primum non nocere ; d’abord ne pas nuire ; le médecin n’est pas autorisé à utiliser des traitements dangereux pour son malade.

Bien entendu, si on applique ce principe strictement cela conduit à la paralysie du médecin, car il n’existe pas de traitement sans aucun danger. Le principe devient donc celui de la discussion bénéfice/risque : il faut que les risques du traitement soient justifiés par la gravité de la situation. La conséquence est que, par exemple, il n’est pas permis d’utiliser des traitements dangereux pour une simple question de confort du malade.

Mais ce principe non plus ne peut être tenu dans toute sa rigueur : l’anesthésie générale n’est jamais totalement anodine, alors que son but essentiel est le confort du malade. Il en va de même de la chirurgie esthétique.

La loi Léonetti (et, bien avant elle, la pratique constante des soins palliatifs) remet en cause radicalement le primum non nocere ; elle le fait en remarquant qu’en fin de vie les questions de rapport bénéfice/risque ne se posent pas dans les mêmes termes, ce qui autorise à prendre des risques importants pour assurer le confort du malade.

Mais cela ne constitue en rien un permis de tuer. Bien au contraire, cela impose au médecin une rigueur et une prudence accrues. La morphine, ou le midazolam qu’on utilise pour les sédations, sont des médicaments qui offrent une marge de sécurité, et qui permettent par exemple de mettre le malade en sédation sans pour autant accélérer sa mort, contrairement à ce qu’on voit écrit un peu partout. Encore faut-il connaître ces produits, savoir les manier, et le faire avec discernement.

Le docteur Bonnemaison a reconnu avoir, une fois au moins, utilisé du curare. Là, nous parlons d’autre chose, car le curare n’a aucune indication en fin de vie. Il agit en paralysant les muscles, notamment respiratoires, entraînant la mort par asphyxie. C’est pourquoi on ne l’emploie qu’en anesthésie ou en réanimation, et sous couvert d’une ventilation assistée. La seule raison pour laquelle on l’utiliserait en fin de vie, c’est l’intention de tuer ; il n’y en a pas d’autre.

Ajoutons deux détails :
- Il serait bien entendu particulièrement sadique de curariser un malade conscient. L’emploi du curare suppose donc que le malade soit endormi. Mais... s’il dort, du moins si son niveau de sédation est suffisamment profond, il ne souffre plus... Je sais toutes les niaiseries qu’on raconte : "mais vous ne savez pas ce qu’on ressent quand on est dans le coma" ; comme si nous n’avions pas pléthore de malades qui sont sortis de leur coma et on témoigné qu’ils ne se souvenaient de rien. Et ce ne sont pas les quelques récits atypiques qui changent quoi que ce soit ; d’ailleurs si on craint que le malade soit dans un coma trop léger, alors la dernière chose à faire est de lui infliger le supplice de la mort par paralysie respiratoire. Il suffisait donc de le laisser dormir.
- La grande majorité des partisans de la mort pour tous sont en même temps de farouches adversaires de la peine de mort. Moi aussi. Mais ce qu’ils considèrent comme la barbarie absolue, c’est l’exécution par injection létale. Soit. Il est temps que quelqu’un leur explique que les procédures utilisées pour assassiner les condamnés à mort sont exactement les mêmes que celles qu’ils préconisent pour les euthanasies.

4°) : Le docteur Bonnemaison a justifié ses actes solitaires en expliquant que ce sont des choses qui se passent dans le regard, dans les silences, dans le non-dit. Si la loi Léonetti a un intérêt (et, tout de même, elle en a), c’est précisément en ce qu’elle rappelle au contraire la grande obligation : les choses qui tournent autour de la mort ne se jouent pas dans le silence ou dans le regard. On va voir les gens, on les installe dans son bureau, on s’assoit, et on dit les choses.

5°) : On a vu l’ADMD rôder autour de ce procès, cherchant quelque eau à apporter à son petit moulin. Mais la loi, toujours la même, qu’elle s’obstine à proposer une fois l’an au Parlement, décrit une procédure très stricte (et totalement irréaliste, mais passons) reposant sur la demande expresse de l’intéressé. Si les indications qu’on a pu lire dans la presse sont exactes, la chose la plus certaine est que les malades tués par le docteur Bonnemaison n’avaient, et pour cause, rien demandé. Donc, même sous le régime de cette loi, il aurait été condamné. Mais sur ce point de détail l’ADMD semble frappée de mutisme. Dont acte.

P.-S.

Le docteur Bonnemaison a tenté de se suicider. Le mieux sans doute serait de se taire, et j’ai suffisamment dit en quelle estime je tiens cet homme pour éviter tout commentaire déplacé.

Mais ce site n’a pas d’autre raison d’être que de tenter d’éclairer le lecteur. Et je n’ai pas lieu d’y renoncer.

Ce qui me frappe, c’est simplement ceci : le docteur Bonnemaison a tenté de se suicider, et il a échoué.

Il est grand temps qu’on en finisse avec ce refrain stupide qui énonce que les tentatives de suicides qui échouent ne sont pas sérieuses, que ce sont des appels, etc. C’est faux, cela ne rend absolument pas compte de la complexité des choses. Et c’est de cela dont il nous faut parler ; le cas du docteur Bonnemaison n’est emblématique ici que parce qu’il s’agit d’un médecin. Et que, contrairement là aussi à ce qu’on raconte, il existe des techniques de suicide médicamenteux qui sont imparables, indolores, avec des médicaments en vente libre, et dont la recette se trouve sur Internet en quelques minutes sans aucun besoin de compétence médicale ; autant dire que l’échec ici a de quoi questionner.

Il faudrait revenir à ce que j’écrivais dans http://michel.cavey-lemoine.net/spip.php?article6. Si on observe la manière dont les humains tentent de se suicider (que cette tentative aboutisse ou non), on est frappé de tout ce qui, dans le geste, est inattendu, inadéquat, inutile. Il est des suicides implacables, où la personne a fait ce qu’il fallait, tout ce qu’il fallait, rien que ce qu’il fallait. Il en est d’autres où les choses sont plus complexes, et qui même comportent éventuellement une souffrance évitable (encore faut-il être prudent dans nos jugements, car les morts pénibles ou douloureuses ne sont pas celles que nous croyons : l’image de Bettelheim se donnant la mort avec un sac plastique nous semble atroce, mais si nous en jugeons ainsi, c’est à cause des Khmers Rouges ; la réalité de la physiologie aboutit à d’autres conclusions). La question posée est donc de savoir comment il peut se faire que certains suicides ne sont pas minutieusement préparés, et méthodiquement mis en œuvre.

Je ne crois pas que ce soit lié à un quelconque désir de "laisser une chance à la vie" : ces suicidants veulent absolument mourir. Je ne crois pas davantage qu’il s’agisse d’un "appel", c’est-à-dire d’une sorte de chantage affectif : Des suicides d’appel, il y en a, certes, mais ce n’est pas le fond du problème. L’essentiel est ailleurs.

Je l’ai dit, donc : nous ne savons pas penser la mort. Et, particulièrement, nous ne savons pas penser le fait que le monde va nous survivre. S’il est un fantasme banal, c’est celui par lequel nous nous représentons nos propres funérailles. C’est la seule manière dont nous savons penser notre mort, et nous voyons bien que cette mort est alors quelque chose à quoi nous assistons, ce qui n’a évidemment aucun sens. Au reste c’est bien ce que nous disons quand nous attachons une telle importance aux dernières volontés du mourant : j’ai pour ma part décidé que je n’aurais pas de dernières volontés, considérant que les funérailles sont l’affaire des vivants, non du mort, et que celui-ci n’a rien à en dire ; il suffit que chacun sache que pour ma part je considère la crémation comme une pratique rationnelle.

Je crois que quand nous repérons, dans ces tentatives (réussies ou non) de suicide, des éléments irrationnels, il nous faut nous demander dans quelle mesure il pourrait s’agir d’un langage. La tentative de suicide n’est pas un appel, c’est une parole. C’est quelque chose qui tente de se dire, c’est ainsi que s’expliquent les aspects spectaculaires de certains passages à l’acte.

Il faut se méfier, bien sûr : car c’est nous qui jugeons de ce qui est spectaculaire et de ce qui ne l’est pas. Mais cet élément existe, et il nous faut l’étudier.

C’est parce que les choses sont plus complexes qu’on ne voudrait que la légalisation d’un prétendu droit au suicide pose question. Je le redis : la question du ’"droit au suicide" ne se pose pas, tout simplement parce qu’on serait bien en peine de s’y opposer ; d’autre part je pense qu’il s’agit d’une réelle liberté. Mais je maintiens :
- En premier lieu que toute loi qu’on écrirait sur le sujet aurait plus d’inconvénients que d’avantages.
- En second lieu qu’on n’a aucun besoin des professionnels de santé pour s’en occuper.
- En troisième lieu que la la tentative de suicide est par nature ambiguë, qu’elle est toujours une parole, un discours, et qu’il en va ainsi non parce que le suicidant hésite mais parce que c’est dans la nature même de notre relation à la mort. Raison suffisante pour ne pas réduire la question du suicide assisté à des simplismes.