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La souffrance en fin de vie

, par Michel

Bonjour, Alice, et merci de ce témoignage émouvant. Vous avez passé une période terrible.

Tout commence par une situation incroyablement classique d’une démence profonde passée inaperçue (voyezLa démence ou l’art du camouflage) ; l’agressivité n’est pas une manifestation directe de la démence : devenir dément ne change pas le caractère ; mais elle signe une tentative désespérée de cacher le trouble. Et c’est à l’occasion d’un problème physique que fortuitement on découvre le désastre. Il est fréquent que ces malades passent directement de l’hôpital à la maison de retraite. Je rappelle sur ce point que tout le monde cherche une "maison médicalisée", alors que je continue à chercher (c’est faux : j’ai arrêté) une définition claire de ce qu’on entend par là.

Les déments délirent souvent. Délires et hallucinations sont particulièrement fréquents dans la démence de type Alzheimer, et j’ai tendance à penser qu’il s’agit là d’une réaction de protection, un peu comme si le malade préférait ne pas voir le monde comme il est. Il ne faut donc pas s’en mêler, d’ailleurs cela demanderait un recours aux neuroleptiques, toujours dommageables dans la démence ; mais il y a une limite : il faut que ce soit tenable, c’est-à-dire que le malade n’en souffre pas trop, et que l’entourage puisse le supporter.

Puis vient un autre incident physique. Et nous entrons dans une autre problématique, qui est celle des soins palliatifs.

Je n’y étais pas, mais votre description est compatible avec un infarctus mésentérique, lié à une embolie dans une des artères qui irriguent l’intestin ; c’est effectivement très grave, la seule solution est d’opérer, et je comprends aisément qu’on y ait renoncé ; tout au plus je voudrais être sûr que la décision a été prise de manière collégiale, après vous avoir consultée. Car on ne peut pas dire "pas d’opération envisageable" : si on opère la probabilité de mort est, disons de 95%, mais si on n’opère pas elle est de 100% ; laissons cela, pour ma part j’aurais sans doute fortement déconseillé d’opérer, parce que j’aurais craint que les suites opératoires soient trop pénibles pour cette malade.

La suite est malheureusement assez banale : cela se passe aux Urgences, et le week-end. Il y a un terrible problème d’organisation, et les compétences nécessaires à une bonne prise en charge de la douleur ne sont pas disponibles. Je crois qu’on se trompe quand on se figure que la solution à la prise en charge de la fin de vie passe par le développement d’unités spécialisées. Il en manque encore (allez donc trouver une unité de soins palliatifs dans l’Aube ou dans le Loiret), mais l’effort est à faire dans la formation des équipes, et surtout dans l’obligation de disposer d’un médecin compétent dans la prise en charge de la douleur 24 h sur 24 et 7 jours sur 7. J’en suis à me dire que si on veut que cela se fasse un jour, il va falloir passer par le judiciaire : nul besoin pour cela d’en vouloir à quelqu’un.

Car l’infarctus mésentérique fait très mal, et il faut se donner les moyens de calmer cette douleur. On peut y arriver avec de la morphine ordinaire, mais cela suppose des doses impressionnantes, dont la tolérance n’est pas forcément idéale. Franchement, si la situation l’exige, je n’ai que faire de la tolérance, et je calme la douleur, quelle que soit la dose, c’est la règle du double effet. Au besoin on peut s’aider d’une sédation, encore faut-il savoir le faire. Mais surtout il existe des morphiniques de synthèse, dont la puissance est, disons mille fois supérieure à celle de la morphine, pour une tolérance bien meilleure ; mais là aussi il faut connaître.

Je crains que ce problème d’organisation n’ait été présent là où vous étiez. En témoigne ce que les infirmières vous disaient : « elles ne pouvaient pas faire plus et qu’elle devait attendre 4 heures entre deux doses supplémentaires de morphine (en plus de celle qu’on lui administrait en continu »). C’est caractéristique : l’équipe a manifestement réfléchi à la prise en charge de la douleur, elle s’est donné des moyens, elle s’est formée, elle a mis au point des protocoles de prise en charge, et ces protocoles sont bons : on doit effectivement donner de la morphine en continu, et ajouter des doses supplémentaires toutes les quatre heures. Mais ça, c’est ce qu’on fait quand ça marche à peu près. Et l’équipe n’était pas préparée à gérer des situations exceptionnelles, des situations qui échappent, dans lesquelles il faut augmenter les doses beaucoup plus vite, et en prenant tous les risques. Mais pour faire cela il faut avoir sous la main un médecin compétent en soins palliatifs, CQFD.

Me reste à vous dire, piètre consolation, que si les familles ont raison de reprocher aux médecins de ne pas tenir assez compte de la douleur, les médecins ont raison de penser que la souffrance des familles les pousse à surestimer la douleur du malade. Il y a donc bon espoir pour que, heureusement, votre grand-mère n’ait pas souffert autant que vous l’avez cru.

Bien à vous,

M.C.

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