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En réponse à :

attention TW suicide, lecteurs sensibles au sujet s’abstenir

, par Michel

Bonjour, Frédérique.

Je veux d’abord vous remercier : vous n’auriez pas posté ce message si vous ne me faisiez pas confiance. C’est pour moi un honneur, et je vais tâcher de le mériter.

J’ai hésité cependant à vous répondre, car votre message est si beau, si émouvant, que je me suis demandé si je ne devais pas le laisser tel quel au lieu de le commenter. Mais je dois, me semble-t-il, poursuivre la tâche que je me suis assignée sur ce site, et cela me commande de vous dire ce que je pense de votre texte. Je vais donc le commenter.

** attention TW suicide, lecteurs sensibles au sujet s’abstenir **

Je comprends cette précaution. Mais je la crois superflue : le pari de ce site est que ses lecteurs prennent leurs risques, et qu’ils doivent assumer les conséquences de ce qu’ils lisent.

je n’ai pas lu l’intégralité de cet article, ayant été stoppée net par l’histoire de cet homme pendu à 41 ans. Il est dit qu’il souffrait de dépression et vous affirmez qu’une personne dépressive ne voudrait jamais recourir au suicide assisté.

Je ne vous suis pas : il me semble que je dis exactement le contraire. L’une des absurdités des propositions des tenants du prétendu « droit de mourir dans la dignité » est précisément de soumettre les candidats à un examen médical, en vue d’éliminer les déprimés. Ces gens-là n’ont jamais vu un déprimé, ils ne savent pas ce qu’il souffre, et je tiens au contraire que les situations les plus difficiles sont celles de ces dépressions chroniques, rebelles à tout traitement. Tout au plus je crois que ces déprimés parviennent à leurs fins sans recourir à une aide particulière. Mais nous y reviendrons sans doute.

Je souffre d’un trouble de personnalité borderline tardivement diagnostiqué - longtemps on a refusé de me coller une étiquette prétendument stigmatisante alors même que je la réclamais... j’étais alors comptée parmi les dépressifs !

Je ne peux rien dire sur ce point, sinon que le diagnostic de personnalité borderline n’exclut pas celui de dépression : une personnalité n’est pas une maladie mais un facteur de risque. Et vous êtes à risque de dépression.

Or j’ai fait appel à l’organisme suisse Dignitas pour leur demander la procédure à suivre pour mettre fin à une souffrance que j’endure depuis une vingtaine d’années. J’ai eu cette énergie et celle de réclamer mon dossier médical. Mais je me heurte à des retards et flous administratifs cela fait maintenant un an que j’attends et relance.

De quels retards parlez-vous ? S’il s’agit de retards dans la communication de votre dossier médical, il y a des moyens. Nous pouvons en parler.

Toujours est-il que je me suis constitué ce que j’appelle mon exit avec des boites de médicaments, mais n’étant pas médecin, après avoir fait plusieurs TS où j’avais sous-estimé la dose létale, maintenant je crains de faire l’erreur de Napoléon (si ce que j’en sais est juste), d’en ingurgiter trop, de tout vomir et de me rater aussi de cette façon.

Vous avez bien fait. Mais vous me comprenez mal. Ce à quoi je m’oppose, ce n’est pas au suicide (comment le pourrais-je ?), c’est à une loi qui le faciliterait. Je le redis : une loi doit servir plus de gens qu’elle n’en dessert. Et vous voyez tout de suite que si on facilite l’accès au suicide il ne pourra pas ne pas se produire que ce dispositif soit utilisé par des gens qui auraient pu bénéficier d’autre chose. Je sais fort bien qu’il y a des cas où notre pensée est démunie. C’est le cas par exemple de ces très vieilles personnes, qui ne sont nullement déprimées, mais qui en ont tout simplement assez de la vie. Le mythe est que toute demande de mort est nécessairement un indice de dépression. C’est faux, et c’est là la liberté de chacun. Mais cela ne suffit pas à écrire une loi.

Ce qui m’obligerait, si la souffrance persiste et si je ne me retrouve pas enfermée, à recourir à un procédé plus violent.

Non. Les informations nécessaires se trouvent en quelques minutes sur le net. Je préfère une situation où le recours au suicide se heurte à cet obstacle, réel mais non insurmontable.

Or plusieurs raisons m’en empêchent, la première étant la crainte de la souffrance, la deuxième la peur de me rater mais de finir tétraplégique à la charge de mes proches, et la troisième et non la moindre, le trauma que j’imagine plus important pour mes proches. J’ai en effet dans mon entourage deux amies qui ont chacune perdu quelqu’un de proche par suicide violent.

Je vous comprends. Mais je crois que le suicidant (les exemples ne manquent pas) finit par assumer ce risque, quand la vie lui est vraiment trop lourde. Je vois bien quel service rendrait une loi qui supprimerait ce problème. Ma crainte est, je le redis, dans le risque qu’il y aurait à rendre ainsi le suicide accessible des gens qui y recourraient de manière inconsidérée : souvenez-vous de ce prisonnier belge qui avait demandé une euthanasie parce que dans sa prison il ne pouvait pas être soigné correctement. Cela lui avait été refusé, mais on n’aurait pas de mal à trouver des exemples plus fâcheux. Ce qui est en cause, ce n’est pas votre liberté de mourir, qui et entière. C’est le pour et le contre d’une loi.

Même si j’ai lu en diagonale et pas entièrement, il me semble que vous vous positionnez contre le suicide assisté.

En effet.

Je voudrais vous dire que dans mon cas - et j’ai bien conscience que chaque cas est unique - si j’obtenais le feu vert de Dignitas, je penserais beaucoup moins au suicide, en fait je serais rassurée par la POSSIBILITÉ de mourir dignement et au moment où les choses deviennent trop dures.

Là encore, je souscris. Mais comme vous le dites, chaque cas est unique. Et on ne peut légiférer sur des cas particuliers. C’est pourquoi la situation actuelle a beau être taxée d’hypocrisie, c’est pour moi la seule possible.

A l’âge de 12 ans, je répétais cette phrase « j’aime pas la vie et j’ai peur de la mort ». Phrase avec laquelle je suis toujours en accord si ce n’est que je remplacerais le mot mort par celui de souffrance, perte d’indépendance, de dignité... J’y pense tous les jours de manière obsessionnelle, et là où je vous remercie, c’est pour votre article sur l’agonie. Car comme vous le dites si bien, ces choses ne sont expliquées nulle part, vous dites « cela n’intéresse personne » eh bien... mon nom est sûrement « Personne ».

Voilà : vous écrivez comme quelqu’un qui ne demanderait pas nécessairement le suicide si quelqu’un essayait seulement de le comprendre, et de le considérer dans ce qu’il dit. Je ne sais pas si c’est possible, mais si on n’y parvient pas ce sera une gifle pour tous ceux qui vous auront côtoyée et auraient pu vous aider, moi inclus.

Pour résumer simplement, si je pouvais être vraiment rassurée sur la fin du film, je crois qu’au lieu de penser à aller voir le projectionniste, je pourrais rester un peu plus posément dans la salle.

Si j’étais en charge de vous dans la vraie vie, je vous proposerais probablement une sédation, qui vous permettrait de ne pas voir la fin du film. Je la ferais réversible, de manière à pouvoir la lever de temps en temps, car dans votre cas le plus probable est que les grandes crises de souffrance ne sont que temporaires ; il serait donc justifié de vous réveiller de temps à autre pour vérifier que vous en avez toujours besoin, et ne vous rendormir que si vous le décidez.

Mon leitmotiv privé de la peur panique de la fin que j’imagine comme une torture insoutenable, deviendrait « la vie est très dure pour moi, je ne l’aime pas toujours, mais dans les moments de répit j’arrive à l’apprécier parce que ce n’est pas gâché par l’angoisse existentielle ». J’ai remarqué que souvent, les gens préfèrent ne pas savoir à l’avance ce qui les attend de négatif, mais moi je ne fonctionne pas comme ça. Je fais partie des gens qui souffrent moins d’une piqûre anesthésiante chez le dentiste si ce dernier prévient et que je suis ainsi préparée psychiquement. Ainsi, plus j’en saurai sur les plus difficiles des morts qu’on peut subir, plus paradoxalement, je serai rassurée.

Mais… s’il ne s’agit que de cela, il n’est nul besoin de recourir au suicide.

Ma phobie - comme celle de beaucoup j’imagine - est de mourir d’asphyxie. Les reportages sur les camps de concentration m’ont traumatisée : je sais qu’on n’est plus à cette époque mais j’ai peur du désordre, de la guerre, des soignants débordés... et des morts affreuses qui peuvent s’ensuivre. J’ai peur d’être prisonnière sous des décombres, de me noyer, toute situation où il est impossible de respirer.

Si vous saviez à quel point j’ai les mêmes… Mais je sais aussi que ce sont là des fantômes. Je sais aussi que quand mon tour viendra il faudra bien que je m’en remette à l’intelligence et à l’honnêteté d’un autre, et cela m’inquiète. Mais nous passons notre vie à cela ; le moyen de faire autrement ?

Il est tout à fait exceptionnel que je commente des choses sur Internet, la lecture me suffit généralement, mais ici je n’ai trouvé aucun témoignage qui relèverait d’une problématique similaire à la mienne.

Je ne peux vous dire qu’une chose : il y en a. Et l’un des rêves de ce site serait de permettre à ceux qui sont, par exemple, dans votre cas de se rencontrer et de se soutenir mutuellement. J’essaie.

à la fin je ne tiendrai pas, et si je craque, soit je vais partir comme cet homme de 41 ans - moi j’en ai 35, c’est jeune mais c’est vieux si on pense à des années de souffrance et pas spécialement de lumière au bout du tunnel, juste une bougie vacillante pour avancer... Soit je vais me rater mais m’abîmer fortement.

Oui, vous avez raison. Mais mon travail, à moi, c’est de vous dire que je ne peux me résoudre à désespérer de vous. Et d’ajouter qu’à défaut de solution définitive (mais qui peut dire ce qu’on pourra faire pour vous dans un, deux, trois, dix ans ?), nous avons parfaitement les moyens de vous aider à surmonter les crises plus confortablement.

Merci de m’avoir lue jusqu’au bout.

Merci à vous, au contraire.

Bien à vous,

M.C.

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