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En réponse à :

L’ADMD et le ridicule

, par Michel

Bonsoir, Lydie, et merci de votre courrier. Doublement merci ; d’abord parce qu’il n’a pas dû être facile à écrire ; ensuite parce que je le prends comme une marque de confiance.

Mais vous imaginez bien que la réponse n’est pas facile à donner, notamment parce qu’il va me falloir parler d’une situation que je ne connais pas. Et cela, c’est toujours une chose très dangereuse, c’est ce qui demande le plus de prudence ; on ne parle que de ce qu’on connaît.

J’ai essayé, dans un texte qui me laisse très insatisfait, d’aborder cette question dans http://michel.cavey-lemoine.net/spip.php?article85. C’est très difficile parce qu’il existe une dissymétrie irréductible entre le savoir des familles et celui des professionnels. Vous êtes en train de perdre votre proche, et à cause de cela vous savez sur cette situation des choses que je ne sais pas : non seulement je n’ai jamais perdu mon père, mais de toute manière il s’agirait du mien, non du vôtre. Mais il demeure que j’ai vu tellement de gens perdre leur père que j’ai appris sur ces situations des choses que vous ne savez pas.

Parmi tout ce que l’ADMD fait d’inacceptable, il y a ce déni de la compétence des professionnels. Vous savez j’ai eu à accompagner la fin de vie d’un bon millier de personnes. On y apprend des choses. Et si à l’ADMD il y a de nombreuses personnes qui ont vécu le cauchemar de perdre un ou plusieurs proches, très proches, ils ne sont pas légion les militants de l’ADMD qui ont consacré tout ou partie de leur vie à l’accompagnement des mourants. Et parmi les insinuations les plus absurdes de l’ADMD il y a cette idée que les professionnels de santé protégeraient leur fonds de commerce. Quand on sait que les praticiens des soins palliatifs croulent sous le travail, c’est ignoble.

Bref, je vais essayer de vous répondre, de vous donner des pistes, tout en sachant que je suis dans le brouillard. Tout en sachant que vous vivez une situation très dure, et qu’il est toujours très difficile, impossible d’ailleurs, de prendre le recul indispensable à une prise en soins optimale. C’est pourquoi rien de ce que je vais vous dire ne saurait dispenser d’un point avec les professionnels en charge de votre père. Allons plus loin : cette mise au point avec les professionnels, elle est possible ou elle ne l’est pas. Si elle ne l’est pas, alors rien ne servira à rien ; mais vous seriez alors dans une situation totalement anormale, et qui justifierait une plainte. Or l’expérience m’a montré que les professionnels sont bien plus qu’on ne pense ouverts à la discussion (disons même le mot : ils sont souvent très soulagés que les familles les aident à partager la prise des décisions difficile).

Je vois plusieurs choses dans ce que vous écrivez. Je vais essayer de vous suivre ligne à ligne.

Mon père souffre depuis le 3 novembre 2008

C’est malheureusement un très bon résumé de la situation. J’aurais préféré avoir davantage d’éléments sur son état avant la chute. Il est bien difficile et dangereux de reconstituer le passé ; ce serait pourtant nécessaire : les chutes du sujet âgé ne se produisent pas si souvent par hasard, et il serait utile de connaître son état de santé préexistant, seule manière de dire s’il est réaliste de lutter ; et il est indispensable, avant de décider ce qu’on va faire de ses propos et de son comportement, d’avoir une idée de ses fonctions intellectuelles préexistantes. Les décisions à prendre sont lourdes, il faut les argumenter.

broncho-pneumopathie-chronique obstructive (oxygène devant arriver à la maison début décembre)

Je crois comprendre ici qu’il s’agit d’un malade en insuffisance respiratoire évoluée. Cela ne dit pas tout, mais suggère que son état de santé était précaire ; dans ces conditions la mise sous oxygène est une nécessité vitale, mais ceci doit être mis en parallèle avec le handicap qui en résulte en matière de déplacements. Cette mise sous oxygène, j’espère que les médecins lui en ont parlé, qu’ils ont négocié son accord ; je présume qu’il en a dit quelque chose, qu’il a dit ce qu’il en pensait. Ceci peut nous donner des indications fiables sur ce qu’il pense à présent de sa situation. D’ailleurs il a pu en parler dans l’absolu, disant ce qu’il pense de la vie et de la mort.

il se casse le col du fémur...

C’est malheureusement assez classique. Et on sait que l’association d’une fracture du col du fémur et d’une insuffisance respiratoire n’est pas de bon pronostic, avec un taux de mortalité à moyen terme très important.

il est opéré et depuis après 7 semaines à Beaujon où on l’a laissé faire un fécalome (d’où sonde urinaire...)

Ici les choses deviennent difficiles.

D’un côté, il est notoire que la surveillance du transit laisse fortement à désirer dans nombre de services hospitaliers. Mais de l’autre il est tout aussi notoire que dans les meilleurs services de gériatrie les fécalomes peuvent se produire. Même si, donc vous avez malheureusement des chances d’avoir raison, il n’est pas possible d’accuser trop vite un service qui peut-être a bien travaillé. Il en va de même pour la sonde urinaire : les fécalomes entraînent souvent des rétentions d’urine qui imposent le sondage ; mais un fois le fécalome évacué il faut enlever la sonde ; ici rien ne permet de décider si votre père a gardé sa sonde parce qu’il y a une autre raison ou si c’est simplement parce qu’on a oublié de l’enlever.

il est depuis 4 semaines dans un hôpital de moyen séjour où la rééducation est impossible. Il a maigri de 15 kgs, il est sous oxygène en permanence, je dois ajouter qu’il a 87 ans, qu’il est aveugle, qu’il entend mal et maintenant puisqu’on met des couches systématiquement il est incontinent et ne remarchera plus.

Et il est légitime de penser qu’effectivement il ne fera aucun progrès.

Les antibiotiques ne font plus d’effet sur sa bronchite. Il s’étouffe et vomit aliments et glaires.

Là, par contre, je suis gêné.

Car si la situation est celle que vous décrivez (ne vous formalisez pas de cette restriction : je ne connais pas la situation, et j’ai appris très rapidement, comme je vous l’ai dit plus haut, qu’il n’est pas du tout facile de garder toute son objectivité quand on vit un tel enfer), alors nous nous trouvons face à une problématique typique de soins palliatifs. Or nous ne manquons pas de moyens, dans une telle situation, pour éviter à un malade de s’étouffer dans ses sécrétions. Ces moyens ne sont pas toujours commodes à utiliser, mais là n’est pas le propos. Je voudrais être sûr qu’on s’est posé toutes les questions, et que votre père bénéficie de tous les soins nécessaires. Cela a-t-il été évoqué par l’équipe ? A-t-on songé à recourir à une équipe mobile de soins palliatifs ? Y en a-t-il une ? Ce n’est pas toujours le cas, on le sait bien. Mais à Beaujon il y en a une excellente.

Mais il ne faut pas se tromper de combat. Il est notoire que les moyens en termes de soins palliatifs sont insuffisants. Il est notoire que la formation des médecins en la matière laisse à désirer. Reste que la loi du 4 mars 2002 stipule que tout malade a le droit de recevoir de tels soins. Et que la plus absurde des réponses serait de dire : puisque la loi n’est pas appliquée, il faut libéraliser l’euthanasie. Non : on sait faire en sorte que votre père ne s’étouffe pas dans ses glaires, il faut le faire. Quitte à envisager une application de la règle du double effet si on estime que la réponse thérapeutique comporte des risques ; et c’est le cas.

Il demande à mourir, où est le respect du malade, où est l’écoute de la famille,

Et vous avez parfaitement raison de poser cette question.

Je ne sais absolument pas quelle réponse je donnerais à votre question. Car ici aussi il faut être prudent, et ne pas se précipiter sur telle ou telle parole, surtout si on n’a pas d’élément pour juger des fonctions intellectuelles préexistantes. Et je ne déciderais rien sans m’être donné les moyens de faire un pronostic un peu fiable (même si, en la matière, les pronostics sont toujours un peu hasardeux, il y a tout de même quelques moyens de faire de bonnes approximations).

Mais une chose est sûre : nous avons affaire à un malade en fin de vie, la seule question est le délai ; question importante, car quinze jours de vie ne sont pas six mois. Une autre chose est sûre : un malade qui demande à mourir doit voir sa demande prise au sérieux jusqu’à nouvel élément. Et la famille doit être écoutée.

Attention : ces situations sont tellement piégeuses que le moindre mal est de laisser l’ultime décision au médecin. Mais la loi du 22 avril 2005 lui fait obligation de respecter le choix du malade dès lors qu’il n’y a pas de raison de suspecter sa lucidité, et dans le cas contraire de tenir le plus grand compte de ce que dit la famille. Et ici encore, si la loi n’est pas appliquée il faut non point la remplacer mais lutter pour qu’elle le soit.

Et si les choses sont comme vous dites, il y aurait de fortes chances (mais je vous supplie de me laisser être prudent) pour que je consente à ce désir si j’étais en charge de ce patient.

Ce qui ne veut pas dire que je lui ferais une injection mortelle. Car cela n’est jamais nécessaire. J’utiliserais tous les moyens dont je dispose pour le mettre dans le confort ; non point un confort relatif, mais un confort parfait. Nous savons le faire.

ma mère a 84 ans elle l’a soigné et maintenant est séparée de lui et va le voir tous les jours. Elle s’épuise (61 ans de mariage).

Et cet épuisement est un très gros problème. Mais deux choses à ce propos.
- Si notre société ne sait pas donner à votre mère les moyens de ne pas s’épuiser (ne serait-ce qu’une chambre pour accompagnants), il faut que notre société les trouve.
- Il serait éthiquement catastrophique de dire qu’on doit procéder à un acte sur A au motif que B en souffre trop. Je n’aime pas beaucoup les gens qui luttent contre l’euthanasie en argumentant sur le risque de dérive : à ce compte il faut interdire l’automobile. Mais sur ce point précis, oui, j’aurais peur. Vous savez, les eugénistes allemands (plutôt autrichiens, d’ailleurs) des années vingt n’étaient pas des fascistes, c’étaient des gens de gauche. Et ils justifiaient leur thèse en faisant remarquer que dans l’état où se trouvait la société austro-allemande de l’époque l’urgence était de dégager des fonds pour secourir les chômeurs, plutôt que de faire vivre des handicapés.

Hier nous l’avons retrouvé dans sa merde, il avait déchiré sa couche, et ne savait plus où il était. Il oublie où est la sonnette, et de plus il ne la voit pas. Certains jours il nous reconnait et d’autres pas, ne se souvient pas toujours si on est venu ou pas. Sa maladie est incurable et mortelle.

La question se pose ici du service qui l’a en charge. Nous savons qu’il y a des contraintes de personnel, surtout l’après-midi ; nous savons aussi que cela n’excuse pas tout ; nous savons qu’il y a des lacunes de formation, voire de négligences ou des maltraitances. Mais nous savons aussi qu’il n’est pas possible d’éviter certaines situations, et que le malade qu’on vient de changer, d’habiller, de mettre le plus beau possible peut en un quart d’heure se retrouver avec un aspect épouvantable. La part des choses est difficile à faire. Mais ici encore, ne confondons pas : il y a des situations où la dignité des personnes n’est pas respectée, et c’est un scandale ; il n’y en a pas où une personne perde sa dignité.

Dans quelque temps cet hôpital de moyen séjour va nous dire qu’il ne peut plus rester là, où va-t-il aller ?

C’est cela qui presque me sidère le plus : vous évoquez cette perspective comme si personne ne vous en avait parlé. Mais j’espère bien que l’équipe soignante s’en préoccupe, j’espère bien qu’elle cherche des solutions, j’espère bien qu’elle vous en propose. Pas forcément extraordinaires, mais elle doit le faire. C’est son rôle. Si elle ne dit rien, prenez les devants, exigez qu’on réfléchisse. Ah, au fait : contrairement à tout ce qu’on vous dira, il n’y a pas de durée de séjour maximale en soins de suite. J’ai été chef de service en soins de suite, et je n’ai jamais laissé un malade sans solution ; c’était bien assez, déjà, que je sois amené, quand j’avais trouvé une solution, toujours décente mais souvent imparfaite, à l’imposer.

une hospitalisation à domicile est inenvisageable car maman n’a plus la force (elle a maigri de 5 kg).

C’est probable, en effet. Mais pour le principe je nuancerais.

Car il y a l’hospitalisation à domicile, il y a des réseaux de soins palliatifs à domicile, et surtout il y a des financements ; et pour une fois ces financements ne sont pas ridicules. Pour vous donner une idée, il est possible d’obtenir l’APA en extrême urgence, il y a un mécanisme appelé fonds FNASS, il y a d’autres sources encore, et tout ceci permet, quand on s’organise bien, de financer 8 à 10 h de présence qualifiée par jour.

QUE NOUS REPONDEZ NOUS ? OU EST LA DIGNITE DE LA VIE ?

Voilà ce que je vous réponds.

D’abord, la dignité de sa vie. La dignité de sa vie n’est nulle part ailleurs que dans votre regard. Votre père est digne parce que vous le regardez comme quelqu’un de digne. Les nazis l’avaient bien compris, qui regardaient les déportés comme des animaux.

Ensuite, sur le fond.

Il est nécessaire de revoir l’équipe soignante. Il est nécessaire de poser le problème de fond, et de faire valoir que quand votre père demande que sa vie se termine cela doit être écouté. Il est nécessaire d’obtenir un regard posé par un praticien de soins palliatifs. Il est nécessaire d’envisager (encore une fois, je ne dis pas : décider, je ne connais pas le cas) une limitation des soins et de fixer ces limites. En toute hypothèse il est nécessaire que votre père soit soulagé, même s’il y a un risque.

Ceci posé, si j’étais en charge de ce malade, ce serait pour moi de deux choses l’une :
- Ou bien nous tombons d’accord sur une stratégie, et nous l’appliquons.
- Ou bien nous ne tombons pas d’accord, et alors mon devoir serait de considérer que je ne suis plus en mesure de le soigner. Je devrais alors chercher et trouver une structure qui l’accueille.

C’est d’ailleurs dans cette perspective qu’on pourrait considérer le retour à domicile : si on arrivait à la conclusion que votre père est au bout de sa vie, qu’il y a lieu de limiter les soins, que les choses en réalité vont évoluer très vite, alors il peut être adapté de décider un retour à domicile avec tout ce qu’on sait mettre en place d’aides, avec pour vous un congé pour accompagnement de fin de vie. Et sur une période point trop longue, il est fort possible que ce soit la solution la plus confortable pour tout le monde. Je ne dis pas qu’il faut le faire, je dis que cela doit s’étudier.

"Il peut encore avoir un échange social" nous a-t-on dit :

Oui, et là est le problème pour moi : l’équipe qui vous répond cela est une équipe qui a réfléchi, qui s’est posé des questions. C’est une bonne équipe. Cela ne signifie pas qu’elle a raison ; mais cela impose d’écouter aussi ce qu’elle dit. C’est à cause de cela que je n’aime pas écrire au sujet d’un malade que je n’ai pas vu.

L’équipe est dans son rôle en plaidant que votre père a encore de bons moments. Le professionnel de santé ne doit pas être arc-bouté en défenseur de la vie à tout prix ; le professionnel de santé a pour devoir d’être du côté de la vie, ce qui est différent. Cela signifie qu’il et celui qui, quand c’est 50/50, fait pencher la balance. Mais quand c’est 50/50.

leurs amis sont décédés ou sont malades et ne se déplacent plus, je suis fille unique. J’accompagne ma mère le plus souvent possible mais j’ai un travail, des enfants et un mari.

Bien sûr, tout cela est vrai. Mais vous sentez maintenant, au bout de ce long message, que ce qui s’exprime là est votre souffrance. Cette souffrance est une composante majeure de la situation, elle doit être prise en compte et en soins, notamment par l’équipe. Mais au moment de décider le devoir de cette même équipe serait de penser avant tout au malade ; il arrive que ce qui est bon pour le malade ne soit pas ce qui est bon pour son entourage. Mais je dis cela en ayant parfaitement à l’esprit que la souffrance de votre père apparaît majeure.

J’ATTENDS VOTRE REPONSE ?

Vous l’avez. Il vous faut à présent déchirer ce message. Car la chose urgente est de faire un point de la situation. Vous écrivez :

Il y a un an d’attente pour une maison de retraite qui ne le prendra pas (trop médicalisé) sur LEVALLOIS (92).

Est-ce à dire que le pronostic des médecins n’est absolument pas désespéré, que votre appréciation de la situation n’est pas la bonne, qu’on pense qu’en réalité il a encore une espérance de vie de plus d’un an, et qu’il n’est pas du tout en train de mourir ? Alors il faut considérer que vous êtes dans une souffrance insondable et qu’il vous faut une aide pour reprendre pied. Mais il se peut aussi que ce pronostic soit irréaliste.

Maman et moi sommes désespérées et épuisées et lui souffre, veut mourir quand il a sa tête et rentrer chez lui quand il délire (il est déjà tombé de son lit).

Avant son accident, que disait-il de la vie et de la mort ? Que dit son médecin traitant ? Que dit le gériatre ? Que dit l’équipe de soins palliatifs ?

Je reste près de vous, même avec si peu de moyens.

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