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En réponse à :

Médicaments et maladie d’Alzheimer

, par Michel

Bonsoir, Anthony.

Votre question, concise, mériterait une très longue réponse. Car elle pose un problème éthique majeur.

Rappelons d’abord ce qu’est le travail éthique.

Il s’agit d’abord de forger des outils permettant, face à un problème, de repérer les principes qui doivent guider sa solution. On ne peut pas se passer de principes, et la première chose à faire est de dire quels sont les principes en jeu.

Mais on ne peut se contenter de cela, car on voit assez vite qu’à s’en tenir aux principes on devient vite inefficace, quand on n’est pas dangereux. Un exemple classique suffira : il est un principe qui dit qu’il est mal de mentir. Sans doute. Mais si je suis dans un pays totalitaire, que je suis amené à cacher chez moi un résistant, et que la police arrive, comment vais-je appliquer le principe ?

Inversement, que se passe-t-il si je ne respecte pas les principes ? Je faisais remarquer à un ami cardiologue que ses malades sont très souvent d’anciens fumeurs qui ont cessé de fumer depuis longtemps, et je lui demandais s’il est vraiment assuré que le risque cardiaque diminue beaucoup quand on cesse de fumer. Il m’a répondu : « Si on dit autre chose les gens ne s’arrêteront pas de fumer ». Sans doute. Mais quel risque prend-on quand on accepte l’idée qu’un scientifique peut mentir ?

Du fait qu’on ne peut ni se passer des principes ni les appliquer à la lettre, il suit qu’il y a des problèmes qui n’ont pas de solution : soit on applique le principe et on fait des dégâts, soit on ne les applique pas et on fait des dégâts.

Alors se développe un autre débat éthique, qui vise à dire quels sont les principes, et à tâcher de trouver une solution, la moins mauvaise possible, en disant quels sont les principes qu’on va violer, et pourquoi. En gardant à l’esprit qu’en réalité le problème n’avait pas de solution.

C’est votre cas.

Je crois indispensable de rappeler en toutes circonstances que le dément est un humain comme un autre, qu’il a ses droits et sa liberté. J’ajoute qu’il est tout sauf idiot, et qu’avant de dire qu’il ne sait plus ce qu’il fait il faut se demander ce qu’il essaie de faire. Ou de dire.

Par exemple je crois qu’il est interdit de priver quelqu’un de sa liberté. Les unités Alzheimer sont fermées, il y a des digicodes, il faut se souvenir que ces digicodes n’ont aucune base légale, et que les seuls établissements dans lesquels on peut retenir quelqu’un contre son gré sont les prisons et les hôpitaux psychiatriques. L’EHPAD n’est ni une prison ni un hôpital psychiatrique, et les digicodes sont illégaux. Bon, on ne va pas les enlever (même si je me demande si on a bien évalué la réalité du risque et les solutions alternatives : j’ai animé pendant plusieurs années une unité Alzheimer qui n’était pas fermée ; on assumait), mais le moins qu’on puisse faire est de demander l’autorisation d’enfermer les gens, ce qui se fait par une mesure de tutelle : il faut que le juge dise que j’ai raison de le faire ; pas pour me couvrir, je m’en moque ; pour que je garde en tête que j’ai violé un droit fondamental.

Alors, les médicaments.

Votre malade ne veut pas de ses traitements. Quel est son niveau d’autonomie intellectuelle ? Est-il encore capable de discerner ce qui est bon pour lui et ce qui ne l’est pas ? Est-il capable de comprendre de quoi il s’agit ? Si oui, alors il faut écouter, et se demander ce qu’il est en train de nous dire, peut-être tout simplement qu’il n’a pas envie de voir se jours se prolonger. Attention : ce n’est pas parce qu’il est mutique qu’il ne sait pas ce qu’il veut.

Si par contre il est hors d’état de penser ce qui se passe, alors une autre question vient : à quoi servent les médicaments ?

Nous sommes devant un patient qui ne veut pas prendre ses traitements. Et nous, nous disons que nous voulons qu’il les prenne. Comment avons-nous démontré qu’il est bon pour lui de les prendre ?

Les anticholinestérasiques n’ont plus d’indication à ce stade ; la mémantine guère plus. A moins qu’on n’ait démontré que chez lui ils ont un effet positif sur les troubles du comportement. Il en va de même pour les neuroleptiques : il faut vraiment que sans eux le malade soit ingérable.

Quant aux traitements généraux, ils ont pour but de maintenir la santé physique et de prolonger la vie. Si nous voulons les lui donner, nous disons qu’il est bon pour ce patient que sa vie se prolonge ; sans doute. Mais quel est son point de vue ? Que disait-il, du temps où il disait quelque chose ? Est-il heureux ? Que pense son entourage ? Avons-nous quelque chose qui ressemble à des directives anticipées ?

Bref il faut commencer par débattre, car cela ne peut se faire qu’en équipe (une décision éthique suppose une discussion à plusieurs, c’est le groupe qui a autorité pour cela) : que voulons-nous ? Pourquoi le voulons-nous ? Sommes-nous assurés que le malade, lui, ne veut rien ? Comment réduire au strict nécessaire la violence que nous allons lui imposer ?

Si au terme de ce débat il apparaît que, décidément, certaines prises médicamenteuses sont indispensables, alors il faut se poser la question des moyens. Mais cette question passe après la précédente : il nous faut d’abord être sûrs de nos buts.

Pouvons-nous lui dissimuler ce que nous faisons ? En principe non. Mais il n’est pas éthiquement acceptable de poser à autrui un problème qu’il n’a pas les moyens de résoudre. Nous n’avons donc pas le droit de mettre le malade dans une situation qui lui ferait plus de mal que de bien, et s’il doit être moins perturbé par le fait qu’on lui cache ses traitements que par ce qu’il va falloir faire si on ne veut pas les lui cacher, alors il faut lui donner ses traitements en cachette.

Mais cela suppose qu’on ne donne que l’indispensable, et cela suppose qu’on ait loyalement essayé toutes les solutions. Si on fait cela, alors les cas où on devra donner le traitement en cachette seront très rares : dans toute ma carrière, je n’ai pas le souvenir de l’avoir fait.

Bien à vous,

M.C.

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