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En réponse à :

râle agonique

, par Michel

Bonsoir, Fabienne, et merci de ce message.

Je serais bien imprudent de vous faire une réponse catégorique à propos d’une situation que je n’ai pas vue. Mais tout de même il me vient quelques idées, quelques pistes que je peux vous donner.

Un soir, il a été pris de ce que j’ai appris être (longtemps, très longtemps après) le râle agonique. Lorsque, effrayée, j’ai appelé les soignants, ils m’ont dit : "ne vous inquiétez pas, c’est une respiration neurologique’.

Alors ce n’était pas un râle agonique.

Le râle agonique n’est pas, au fond, un trouble respiratoire. C’est un bruit, plus ou moins spectaculaire, qui est provoqué par la présence de sécrétions, souvent minimes, dans l’arrière-gorge, chez un patient qui ne peut plus se la racler, encore moins tousser. Autant dire que le râle ne se voit que peu d’heures avant la mort, car la disparition du réflexe de toux signe un coma déjà assez profond.

Les soignants vous ont parlé de respiration neurologique. Cela se voit communément dans les jours qui précèdent le décès. Il en est de plusieurs sortes, peu importe ; ce qui compte c’est de comprendre qu’elles sont liées à la défaillance du centre respiratoire.

Comme je l’écrivais la semaine dernière, la respiration est un phénomène bizarre : je respire sans y penser, mais je peux parfaitement décider d’arrêter ma respiration, d’en modifier le rythme ou l’amplitude (essayez donc de contrôler votre rythme cardiaque…). C’est un mécanisme automatique, mais pas tant que cela. C’est qu’il existe un centre respiratoire, sensible à la teneur du sang en oxygène et en gaz carbonique ; quand cette teneur se modifie le centre envoie les ordres nécessaires, et c’est cela qui déclenche la respiration ; il faut pour chaque respiration un ordre spécifique. Dans les cas d’overdose, le centre est paralysé, et le sujet, au sens propre, oublie de respirer. De sorte que si on n’a aucun autre moyen à sa disposition, on peut sauver le drogué en restant près de lui et en lui rappelant qu’il doit respirer.

Par définition les troubles liés aux défaillances du centre respiratoire ne sont pas ressentis par le sujet. S’asphyxier n’est pas douloureux ; la souffrance est liée au fait que c’est une situation épouvantablement angoissante ; un sujet dont le centre respiratoire est paralysé en mourra sans éprouver la moindre souffrance (nous le savons parce que les rescapés d’overdose le disent).

Bien entendu je comprends ce que vous écrivez ensuite :

Ce râle s’est produit plusieurs jours avant la mort de mon mari et alors qu’il était conscient. Comment ai je su qu’il était conscient ? Le râle s’est produit un jour ou deux avant que le chef du service et des membres de l’équipe viennent nous voir, mes filles et moi un vendredi soir pour nous faire comprendre que la fin était proche, peut être pendant le WE. (…) Ensuite, mon neveu m’a dit qu’il avait vu des larmes couler sur les joues de mon mari.

Il faut toujours prendre ces manifestations avec un peu de prudence, car il existe, notamment en fin de vie, de nombreuses raisons pour que la sécrétion de larmes soit modifiée. Mais là n’est pas mon propos, j’y viens dans un instant.

Le mardi suivant, à midi, j’étais au chevet de mon mari, un des médecins est venu me voir en me recommandant de parler à mon mari. Et j’ai vu mon mari réagir à ce que je disais. Il était donc conscient.

Et je ne serais pas surpris que vous ayez raison. Mais je n’y étais pas.

C’est pourquoi, je me demande sur quoi vous vous basez pour dire, dans votre article sur l’agonie, que la personne en phase terminale « ne sait pas » donc « ne sent pas » de douleurs.

C’est que, tout simplement, vous avez oublié l’essentiel.

L’agonie, c’est la fin de la fin de la fin. Elle commence quand les mécanismes essentiels de maintien de la vie tombent en panne les uns après les autres. Cela dure quelques heures, une journée, un jour et demi. Je n’ai jamais vu une agonie durer plus de trente-six heures. C’est le point capital pour savoir de quoi on parle. J’ajoute que ce malentendu est fréquent, y compris chez les médecins. J’observe que dans votre récit les médecins sont venus le vendredi pour vous annoncer un pronostic à trois jours, mais qu’ils ne vous ont pas parlé d’agonie, précisément parce qu’on n’y était pas encore. Mais j’insiste : mon propos n’est exact que moyennant cette définition restrictive : l’agonie, c’est moins de trente-six heures (ce qui fait que, comme ce n’est jamais aussi simple qu’on le pense, on peut aussi se tromper en l’annonçant).

De la même façon, à propos de la soif des personnes en phase terminale. Les soignants nous avaient laissé des bâtonnets et une solution hydratante pour badigeonner l’intérieur de la bouche. Mon mari ne parlait plus depuis longtemps, ne donnait plus de signes extérieurs de conscience et pourtant je me souviendrai toujours de la force avec laquelle il a claqué ses mâchoires sur ce bâtonnet alors que je m’apprêtais à le retirer. Ce n’était pas un problème de mauvaise haleine : il avait certainement très soif.

Je vous en dirai la même chose que pour les larmes : il existe des réactions réflexes qu’on a tendance à surinterpréter. D’ailleurs le fait qu’il serre le bâtonnet vous fait penser qu’il avait très soif, et c’est très possible ; mais il est tout aussi possible qu’il ait serré les mâchoires parce que le bâtonnet le dérangeait et qu’il « voulait » éviter que vous continuiez. Je n’ai jamais été très amateur de ces bâtonnets (et j’ai toujours trouvé que les soins de bouche étaient particulièrement difficiles à réaliser tout en respectant le confort du malade) à cause justement de leur caractère agressif.

Mais surtout votre mari, tout proche de la fin qu’il était, n’était pas encore en agonie. C’est cela qui explique l’écart entre ce que vous avez vu et ce que j’ai écrit.

Bien à vous,

M.C.

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