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L’alimentation en fin de vie : quelques réflexions

, par Michel

Bonsoir, Nicky.

Votre question est terrible.

Évidemment, la réaction immédiate de quiconque vous lit, c’est de se dire que les choses, ni pour votre mère ni pour vous, ne peuvent continuer ainsi. Et je suppose bien que si je vous rendais visite, je sortirais de la chambre de votre mère dans les mêmes dispositions. Il ne resterait plus qu’à débattre de savoir s’il faut une euthanasie ou si la loi Léonetti suffit.

Et ne voyez dans cette remarque aucun sarcasme déplacé ; car même cela dit je ne vois pas ce qu’on peut souhaiter d’autre qu’un épilogue à cette épouvantable situation.

Mais je crois que, au moins pour être clairs avec nous-mêmes, il nous faut poser l’ensemble du problème.

Et ce problème ne me semble pas très éloigné de celui de Vincent Lambert. Je maintiens intégralement ce que j’ai écrit l’an dernier à ce sujet ; toutefois la lecture, par exemple, de l’arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme}], alors même qu’elle valide l’idée de la cessation des soins, montre combien les choses sont délicates, et combien la réflexion doit être soigneuse, prudente, candide. Faisons donc l’effort.

Il y a au moins quatre choses à considérer.

La première est que la situation évolue depuis quinze ans. A lui seul ce point pose problème. Car c’est d’emblée que la situations était tragique : accident massif, hémiplégie complète, aphasie que je suppose totale, trouble de la déglutition… le tableau est le pire qu’on puisse imaginer.

Au début il n’y rien d’autre à faire que lutter ; allons plus loin : ne pas lutter serait une faute ; car la récupération peut être surprenante, et il n’y a guère de moyen de prévoir ce qu’il en sera. On n’a donc pas le choix : il faut tout tenter pour que la malade survive, et pour favoriser une évolution positive.

Le problème c’est que si on fait cela on se condamne à l’impasse, car on va avoir du mal à revenir sur cette option : comment va-t-on pouvoir dire : si dans six mois nous n’avons pas obtenu cette amélioration-ci, puis cette autre, alors nous abandonnons ? Spéculativement c’est possible, humainement ce ne l’est guère. C’est comme cela, et pas autrement, que se créent des situations sans issue ; c’est ce qui se passe en réanimation néonatale : quand le nouveau-né va mal, on n’a ni le temps ni les moyens de peser le pour et le contre : il faut réanimer, car si on ne le fait pas l’enfant va mourir, alors que si on le fait on peut tout espérer, tant les améliorations sont le plus souvent spectaculaires ; mais du coup il est inévitable que pour certains de ces enfants on ne soit pas fier du résultat obtenu.

Et c’est ce qui vous est arrivé : quand il est devenu clair qu’aucune amélioration ne pouvait être espérée de manière réaliste, il était trop tard pour qu’une décision d’abandon thérapeutique puisse être prise dans poser d’inextricables problèmes de conscience et d’éthique.

Cependant les choses ont tenu, et elles ont tenu longtemps. Il faut donc se demander ce qui fait que la question se pose maintenant, alors qu’elle aurait pu se poser plus tôt, ou ne pas se poser du tout. Ce peut être parce que la situation s’est aggravée jusqu’à poser des problèmes nouveaux. Ce peut être aussi parce que cette évolution interminable a fini de vous épuiser. Mais bien sûr ce n’est pas la même chose, et il en va de votre situation comme de toutes les situations d’euthanasie : si nous voulons penser de manière droite, il est indispensable que nous fassions l’horrible effort de penser séparément ce que nous souhaitons pour le malade et ce que nous souhaitons pour nous. J’insiste sur ce point, car je crois qu’en réalité ce n’est pas un malade que nous soignons mais une unité fonctionnelle constituée de tous les protagonistes ; mais pour pouvoir envisager ce qu’il faut faire pour cette unité fonctionnelle, il faut d’abord procéder à cette séparation. Bref il faut avant tout reconstituer l’histoire de ce qui a fait que la situation est devenue intenable. Vous avez donné certains éléments.

La seconde chose à considérer est que vous ne parlez pas des volontés de votre mère ; et c’est une fois de plus la question posée par le cas Vincent Lambert. Car sur quoi porte le débat ? Une partie des proches rapporte que Vincent Lambert avait exprimé l’idée qu’il ne voudrait pas vivre ce qu’on lui fait vivre, et c’est probable. Une autre partie des proches considère que cela ne suffit pas, et c’est vrai. Mais le problème c’est qu’on en est réduit aux supputations, et que ce que les uns et les autres supputent n’est rien d’autre que ce qu’ils ont envie de supputer. L’amour qu’ils portent à la victime est le ressort essentiel de leur mauvaise foi mutuelle ; le plus probable est que nous ne savons rien de solide quant aux volontés de Vincent Lambert (et que ceux qui pensent qu’il ne voudrait pas vivre cela sont aussi ceux qui pensent que, précisément, il n’est plus en état de le vivre, raison pour laquelle ils veulent que la vie se termine. Non-sens. C’est autrement qu’il faut poser le problème : il y a des situations où il faut que des humains décident pour un autre humain ; parfois ils ont des indications, parfois ils n’en ont pas ; et quand ils n’en ont pas ils n’ont que la ressource de leur droiture ; ajoutons que dans le cas de Vincent Lambert il me semble aller de soi que l’opinion de l’épouse a le pas sur celle de la mère, notamment dans une famille chrétienne. Cet pour cela, et pour rien d’autre que, si je m’en tiens à ce que je crois savoir du cas Vincent Lambert, je crois légitime d’arrêter es soins.

Mais pour ce qui vous concerne, avez-vous des indications sur ce que votre mère aurait pu penser de la situation ? Non qu’on puisse s’y fier : il y a ce qu’on dit et il y a ce qu’on pense ; il y a ce qu’on dit quand on est en bonne santé, et il y a ce qu’on dit quand on est malade. Mais enfin ce qu’on dit on l’a dit, et quand on n’a rien d’autre c’est beaucoup mieux que rien. Le tout, si j’ose dire, est de considérer ces propos avec discernement et en pureté de cœur. Le tout est aussi de ne pas méconnaître que, de manière toujours incompréhensible, il arrive souvent que des malades, placés dans des situations pourtant atroces, s’y adaptent et, même, en soient heureux ; et ce n’est pas par peur de la mort, c’est par réelle évolution personnelle, voyez, entre tant d’autres, Alexandre Jollien.

Bref il me semble que vous avez une réflexion éthique à mener. Cette réflexion, vous êtes trop en souffrance pour la mener en certitude ; mais vous pouvez créer les conditions éthiques pour que cette réflexion soit droite. Et si vous faites cela, je ne sais pas si votre décision sera bonne mais je sais qu’elle sera pure, et que, garantissant la pureté de la réflexion, vous aurez rempli un devoir essentiel. Parmi ces conditions, je citerai :
- L’obligation de refaire un point médical sur la situation.
- L’obligation de réfléchir à plusieurs.
- L’obligation de ne pas avoir de leader d’opinion.
- L’obligation de convoquer à la réflexion au moins une personne totalement étrangère à la problématique.
- L’obligation de ne pas se quitter sans avoir pris une décision, même partielle ou provisoire.
- L’obligation de parvenir à une décision qui soit applicable par tous les participants, y compris ceux qui la désapprouvent.

Mais il vous faut donc commencer par faire le point de la situation.

Son état se dégrade. Soit. Cette dégradation est-elle liée à son avancée en âge, est-elle liée à une maladie chronique surajoutée, ou est-elle liée à une série de petits accidents qui, pris un par un, sont améliorables ? Bref, y a-t-il des arguments pour dire que la dégradation est irréversible ?

Vous imaginez bien que je ne parierais pas gros sur les possibilités d’amélioration. Mais ce dont vous voulez parler, c’est de vie et de mort. Vous ne pouvez donc pas faire l’économie d’une réflexion renouvelée sur cette question. C’est d’autant plus nécessaire que vous n’êtes pas (mais c’était déjà le cas pour Vincent Humbert et Vincent Lambert) dans une situation à proprement parler de fin de vie. Il est donc indispensable que vous puissiez au moins décider que si vous n’êtes pas face à une fin de vie vous êtes face à une situation qui ne va pas tarder à s’en rapprocher. Cela suppose un bilan de la situation, et idéalement une hospitalisation pour affirmer que rien ne peut améliorer la situation. Reste à savoir si vous allez trouver un interlocuteur qui accepte d’entrer dans ce raisonnement.

Si vous y arrivez, il y a gros à parier que la réponse sera qu’aucune amélioration ne peut être espérée. Dans ces conditions, et même si le pronostic vital n’est pas engagé à court terme, je pense que nous avons le droit (le devoir) de dire que la vie de votre mère ne peut se dérouler que si un minimum de confort lui est garanti ; je crois que les soins palliatifs doivent être prodigués y compris aux patients qui ne sont pas menacés de mort ; ce sont alors les raisonnements qui doivent être adaptés, mais pas le principe. Vous allez donc avoir besoin d’une aide dans ce domaine, et il vous faut faire l’inventaire des ressources locales dans ce domaine : il y en a, y compris à domicile.

Par exemple, il y a le problème de la sonde gastrique. Sur le principe, je crois que, chaque fois que c’est possible, il faut privilégier les gastrostomies, c’est-à-dire un tuyau qu’on passe dans l’estomac à travers la peau. Ce n’est pas difficile, c’est beaucoup plus confortable, et j’irais jusqu’à dire que, même chez une dame très dégradée, même chez une dame dont l’espérance de vie est faible, je pourrais militer pour une telle solution. Reste là encore à trouver un médecin qui partage ce point de vue. Reste à prouver aussi que votre mère souffre réellement de cette situation, ce qui ne peut être affirmé que par un examen, et un examen réalisé par un médecin rompu à ce genre d’exercice, ce qui nous ramène aux soins palliatifs.

Si je comprends bien, le souci qui vous importe le plus est l’encombrement. Il est fréquent en pareil cas, et il faut savoir s’il est lié à des reflux gastriques (par définition la sonde gastrique laisse l’estomac ouvert ; il n’est donc pas adéquat de poser une sonde gastrique pour éviter les fausses routes, car la sonde en crée autant qu’elle en évite ; d’où la gastrostomie (et encore, cette dernière ne les évite pas toutes). Mais si c’est un reflux gastrique, alors le Scopoderm ne sert à rien. Je pense que votre médecin l’a prescrit parce qu’il attribue l’encombrement à un excès de salive ; dans ce cas il m’est arrivé d’utiliser plutôt un banal collyre à l’atropine dont je faisais déposer quelques gouttes dans la bouche du malade. C’est souvent très efficace, et incomparablement moins cher.

Ensuite il y a la question : peut-on arrêter l’alimentation ?

On ne peut l’imaginer que si on considère que de toute manière la fin est proche, ce qui suppose effectuées toutes les étapes précédentes et qu’on soit arrivée à des conclusions notamment sur le degré de souffrance de votre mère. Mais il y a deux autres problèmes :
- Le premier est de savoir si c’est légitime, c’est-à-dire si l’alimentation est assimilable à un acharnement thérapeutique. Difficile à dire : certes l’alimentation dans ce cas est ce qui permet de « prolonger artificiellement la vie". Mais qu’est-ce qui est artificiel ? La sonde gastrique ? Certes. Mais pouvons-nous dire si aisément qu’une alimentation à la cuillère ne serait pas artificielle ? Quelle est la limite entre ce qui est artificiel et ce qui ne l’est pas ? Et si nous disons que l’alimentation à la cuillère est artificielle, nous disons du même coup que le biberon des bébés est une alimentation artificielle… Bref les limites conceptuelles sont floues, et on ne peut s’en sortir qu’en considérant l’ensemble de la situation : ce qui est licite chez un bébé qui commence sa vie peut ne pas l’être chez une vieille personne qui la termine. D’où la nécessité du débat éthique.
- Le second est de savoir si elle aura faim. Franchement je n’y crois guère, ces malades n’ont pas faim. Mais il faudra y veiller, et au besoin prendre les mesures nécessaires, il y en a.

Voilà. Je vous dis ça pour essayer de vous fixer un cadre de raisonnement. Mais il va de soi que vous n’avez aucun moyen d’assumer cela toute seule. Il vous faut :
- Un gériatre, pour faire le point de la situation. Vous le trouverez à l’hôpital voisin.
- Un médecin de soins palliatifs, pour vous aider dans la prise en charge. Vous le trouverez sans doute là aussi, sinon je peux vous y aider.
- Un médecin compétent en éthique médicale ; la plupart des hôpitaux disposent d’un comité d’éthique, ou sont capables de trouver la ressource nécessaire.

Je reste à votre disposition.

Bien à vous

M.C.

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