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En réponse à :

Les troubles psychiatriques du sujet âgé

, par Michel

Bonjour, Aurélie.

Je comprends votre détresse. Et j’hésite à en rajouter. Si je n’étais pas en charge de ce maudit site je ne vous répondrais sans doute même pas, et je vous dirais que le plus simple est d’attendre le résultat des tests.

Mais vous m’écrivez ; Et je crois que j’ai raison de gérer ce site comme je le fais ; je crois que s’il est efficace (l’est-il ?) il doit son efficacité au fait que, précisément, je ne prends aucune des précautions qu’on a coutume de prendre dans le métier. Si je résume :
- Vous m’écrivez.
- Je n’ai aucun moyen de vérifier votre propos. Je le prends donc au pied de la lettre. Cela vous fait prendre un risque, mais c’est notre règle du jeu.
- Ce que vous écrivez, ce n’est pas à moi que vous l’écrivez : le site est public, et n’importe qui peut le lire. Autant dire qu’il ne s’agit en rien d’une consultation.
- Je pars du principe que vous êtes en état de lire la réponse à votre question.
- En aucun cas je ne vous mentirai.
- Je n’ai pas à considérer l’effet que notre dialogue pourrait avoir sur d’autres lecteurs.

Ceci rappelé, voyons.

Je ne sais pas ce que les tests vont donner. Il est prudent tout de même d’attendre, car on pourrait avoir une bonne surprise. Mais votre récit évoque au premier chef un diagnostic de démence, sans pouvoir en préciser le type, mais cela malheureusement n’a guère d’importance.

Je crois qu’en réalité vous le saviez.

Ce qui vous terrifie, évidemment, c’est l’écart entre l’image qu’elle vous donne maintenant et celle qu’elle donnait auparavant. On a souvent tendance à croire qu’un haut niveau intellectuel ou culturel protège contre la démence. Pour ma part je n’y ai jamais cru, pas beaucoup plus, d’ailleurs, qu’à la stimulation cognitive des malades, dont j’attends toujours qu’on me prouve les résultats. Les choses se passent autrement. Ce qui est probable c’est que les personnes qui ont un haut niveau intellectuel vont mettre un peu plus de temps que les autres à s’effondrer ; mais ceci est compensé par deux phénomènes :
- Le premier est que la perte des capacités se ressent tout autant : si ma perte de mémoire me rend incapable de lire correctement une partition de musique, cela ne se verra pas dans la vie quotidienne, mais j’en souffrirai beaucoup.
- Le second est que les personnes ayant vécu toute leur vie sans préoccupation intellectuelle importante pourraient bien s’avérer plus aptes que les autres à vivre avec un déclin cognitif.

Bref votre mère est en train de perdre ce qui la faisait ce qu’elle a été, dans son histoire, dans votre histoire, dans sa vie sociale. Et vous ne vous y attendiez pas. Tous les enfants de déments passent par là ; c’est seulement pire dans votre situation.

De même il vous est très difficile de vivre ce spectacle d’une mère qui tantôt se montre en possession de tous ses moyens et tantôt complètement perdue. Mais c’est là le lot commun de tous les proches de déments. Il faut garder en tête que ces malades ont longtemps l’obsession de sauver les apparences, et qu’ils y arrivent très bien.

Reste votre histoire personnelle. Je suis très sensible à ce que vous racontez ; mais je sais bien que ce qui me vient ne sont que des fantasmes. Tant pis, je vous les livre.

Une psychanalyste toxique, cela semble un oxymore : on n’imagine guère Françoise Dolto en mauvaise mère (même si pour ma part j’ai toujours été perplexe devant ses propos). Or quand on songe à ce qu’est un psychanalyste il y a une part de nous (de moi, en tout cas) qui voit remuer d’étranges images plus ou moins cauchemardesques, qui évoquent un pacte un peu obscur avec des forces occultes, voire diaboliques. Je crois que Freud a dû être confronté à ça, et ce n’est pas un hasard si l’image emblématique de la psychanalyse est Le cauchemar de Füssli, ni si dans le bureau de mon psychanalyste il y avait L’île des morts de Böcklin. Ajoutons qu’on perçoit chez le dément une inquiétante étrangeté qui ouvre sur d’étranges terreurs à thème de possession : le dément tire sur le zombie.

Mais ce sont des fantasmes.

Ce qui importe en tout cas c’est de vous protéger.

Vous avez le devoir de veiller sur votre mère. Cela n’induit pas le devoir de la prendre en charge. Votre devoir se limite à vérifier que les mesures adéquates sont prises pour son bien-être. On verra ce que donnent les tests, notamment parce qu’il existe des tableaux pseudo-démentiels, qui peuvent tromper l’observateur (alors, moi qui ne l’ai même pas observée… raison pour laquelle je me demandais si je faisais bien de vous répondre). Mais je ne serais pas étonné s’ils confirmaient l’hypothèse de démence, et s’ils ne concluaient pas que le moment de l’institution est arrivé ; ce qui me le fait dire c’est que vous décrivez très bien les éléments qui font suspecter que son aptitude à assumer la vie quotidienne se dégrade maintenant depuis longtemps. Cela les médecins ne vous le diront pas forcément, tenus qu’ils sont de respecter, eux, la volonté du malade. Je passe sur le fait qu’il devient probablement risqué de lui confier des malades.

S’il est conclu qu’elle peut rentrer chez elle avec un plan d’aide (a-t-elle les moyens de le financer ?), alors il faudra que la gestion de ce plan soit déléguée à un service adapté, tout simplement parce que vous ne pourriez guère le faire à distance. Mais il se pourrait bien que le projet de retour à domicile échoue : ces malades ont avant tout la terreur du regard des autres, et c’est ce qui explique qu’ils refusent les aides. Quoi qu’on fasse on le fait contre leur gré. C’est pour cette raison qu’il faut envisager l’institutionnalisation : elle n’en veut pas, mais elle ne veut pas davantage du reste.

Il faudra probablement prendre une mesure de protection judiciaire. C’est une sécurité pour ses biens. C’est aussi un moyen, même s’il n’est pas suffisant, d’imposer l’entrée en maison de retraite : ce n’est pas suffisant car la loi dispose que même sous tutelle c’est la personne qui décide de son lieu de résidence ; mais, outre que cette disposition est un monument d’hypocrisie, c’est le tuteur qui paie le loyer, et qui par là a la main sur la véritable décision. D’autre part il est fréquent que la personne institutionnalisée contre son gré soit en réalité soulagée par cette décision, qui lui permet d’enfin poser le sac, tout en continuant à pouvoir dire qu’elle a été lâchement abandonnée par sa famille, ce qui n’est pas un mince avantage.

Il vous faudrait y regarder à deux fois avant d’assumer vous-même le rôle de tutrice : devenir tutrice d’une mère avec qui le passé n’a pas été serein pourrait être source pour vous de problèmes et de souffrances. Il y a des tuteurs professionnels. À moins que vous ne puissiez l’envisager moyennant un soutien psychologique…

Mais prouvons d’abord qu’il s’agit bien d’une démence.

Bien à vous,

M.C.

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