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En réponse à :

L’amélioration d’un patient DFT

, par Michel

Bonsoir, Carole.

Je ne me sens pas très en forme ce soir pour vous répondre, mais il le faut : j’ai déjà laissé passer trop de temps.

Au demeurant j’ai peur d’être plus à l’aise dans la théorie que dans l’aide concrète. Mais je vais tâcher de tenir mon rôle.

Je voudrais nuancer votre jugement sur les neuroleptiques. C’est plus compliqué que ça. En ce qui me concerne je n’ai jamais prescrit de neuroleptique à un dément. J’ai toujours refusé, et je l’ai fait pour les raisons mêmes qui vous portent à critiquer ce qu’on a administré à votre compagnon. Avec le recul j’ai le sentiment que cette attitude était dogmatique, et que j’ai ainsi laissé souffrir certains patients.

Ce premier point rappelé, essayons d’aller plus loin.

Si je me reproche d’avoir donné trop peu de neuroleptiques, je sais bien que dans la quasi-totalité des histoires on en donne trop, et trop souvent et trop longtemps, et à des gens qui n’en ont nul besoin. Mais pourquoi le fait-on ? C’est sans doute plus compliqué que vous ne pensez.

Une première raison est sans doute qu’il faut bien faire quelque chose. C’est là une manie très française qui est de croire qu’un acte médical qui ne comporte pas de prescription n’est pas un acte médical. Croyance partagée d’ailleurs par les médecins et les patients, chacun croyant que l’autre croit qu’une consultation doit déboucher sur une ordonnance. C’est d’autant plus contraignant que nous avons affaire à la démence, maladie contre laquelle nous sommes tragiquement démunis ; et on prescrit pour échapper à cette déréliction. C’est sans doute l’un des grands malentendus qui obscurcissent le débat sur les traitements de la maladie d’Alzheimer, alors que pourtant le raisonnement est simplissime :
- Dans la grande majorité des cas ces traitements n’ont aucun effet.
- Mais il semble exister de rares cas, que nous ne savons pas prévoir, où le traitement est efficace, et parfois spectaculairement.
- Il est donc indispensable de tenter, chez tout malade souffrant d’une forme légère ou modérée, un essai de traitement sur trois à quatre mois. Passé ce délai on évalue, et si le résultat n’est pas probant on abandonne sans pitié.
Mais pour tenir une ligne aussi austère, il faut avoir pris son indépendance vis-à-vis de la nécessité de prescrire.

Une seconde raison est l’horreur que nous inspirent les troubles du comportement. Y compris des nôtres, d’ailleurs. L’une des dernières consultations de mon activité libérale, je l’ai donnée à un type d’une trentaine d’années qui était venu me voir en disant : « J’enterre mon père cet après-midi, il me faut un tranquillisant sinon je risque de me mettre à pleurer ». Ce qui explique en grande partie la performance française en gaspillage de psychotropes. Ceci pour vous dire que si les professionnels neuroleptisent les malades, ce n’est pas, ou pas seulement pour avoir la paix ; c’est plus complexe : il y a pêle-mêle l’envie de bien faire, la peur de la souffrance de l’autre, la peur de l’autre, le besoin une fois de plus de pouvoir se dire qu’on a fait quelque chose, et nettement plus loin le désir d’être tranquille.

Et le problème est encore plus compliqué lorsque les troubles du comportement sont, comme cela se produit souvent, difficiles à prendre en charge ; je sais de reste combien le côtoiement d’un malade fronto-temporal peut être épuisant, et je bénis le ciel de m’avoir épargné en ne me confiant aucun de ces malades sur le long terme, je crois que j’aurais été particulièrement nul.

Après je ne peux que vous donner raison : toute prescription de neuroleptique nécessite d’être personnalisée, déterminée avec précision et dans le souci constant de respecter le plus possible l’autonomie et les potentialités du malade. C’est rarement fait, et c’est inacceptable. Mais cela ne suffit pas à me dire si c’est cela que votre ami a subi : il est des cas où on a beau faire, on ne trouve pas d’équilibre convenable entre l’efficacité et la tolérance, et il est des fronto-temporaux qui ont de tels troubles du comportement qu’on ne peut les maintenir dans l’unité de soins qu’en les assommant. J’ai bien compris que ce n’est pas le cas ici.

Malheureusement cette manière fautive de prendre en charge les troubles du comportement, surtout du dément, est très répandue ; je la crois même quasi systématique. Il y a heureusement fort peu d’énergumènes dans mon genre, qui réduisent l’usage des psychotropes à leur plus simple expression ; mais à l’inverse la quasi-totalité des médecins prescrivent un peu trop, ou beaucoup trop ; je ne sais pas si j’ai rencontré un seul confrère dont j’admire les choix thérapeutiques dans ce domaine.

Et dans votre situation les choses sont d’autant plus difficiles que cela se passe dans un établissement non spécialisé, et qui, ni en matériel ni en personnel, n’est équipé pour gérer ce type de malade, dont il ne faut pas se cacher qu’au quotidien ce sont les plus difficiles.

Alors évidemment on peut songer comme vous le faites à le changer d’établissement. Je reviendrai sur les modalités pratiques de ce projet. Pour l’heure ce que je craindrais c’est que vous soyez déçue. Je connais votre réalisme, votre lucidité ; mais dans ce que vous observez il y a, je le parie, des anomalies que vous attribuez au traitement alors qu’elles sont dues à la maladie, et il y en a d’autres dont vous ne ferez pas l’économie parce que l’évolution de la maladie imposera le recours à des traitements mal supportés. C’est pourquoi je ne suis pas sûr que vous ayez raison de poser le problème en termes d’alternative. Malheureusement ce n’est pas un choix entre le sauver et l’abandonner (oui, je caricature) ; je ne crois pas que vous allez le sauver, et je ne crois pas davantage que vous allez l’abandonner. D’ailleurs vous posez la question en termes très différents :

soit je peux le faire sortir de là et l’aider à être traité tel un être humain et non un objet débilisé (…), soit je l’abandonne (… car je sais être radicale avec moi même lorsqu’il le faut…). On dirait que le choix est entre le sauver et vous sauver. Mais j’espère bien que la question n’est pas là et qu’il y a place pour un compromis qui vous permette de faire l’un et l’autre.

Ce qu’on fait de ces patients en France en 2016 ? Je ne sais pas très bien, j’ai perdu le fil. Mais pour autant que je sache la prise en charge n’a pas fait beaucoup de progrès, non seulement parce que cela demanderait énormément de moyens mais bien plus parce que nous ne savons pas comment nous y prendre. Cela fait que je ne sais pas répondre à votre question : je n’ai rien à proposer pour la prise en charge de ces malades. Rien de précis, rien de sérieux : je ne les comprends pas.

Mais que faire alors ? L’ADMD ? Cela ne sert à rien, bien sûr ; car leur seule revendication est de permettre de donner la mort à qui le demande (du moins est-ce là ce qu’ils clament ; je les crois plus hypocrites) ; cela exclut l’idée de pouvoir tuer un dément qui n’a rien demandé ; mais cela exclut aussi d’appliquer une directive écrite des années avant, alors que le sujet n’est plus en état de la réitérer. Il n’est donc pas possible de régler de cette manière la question de la démence ; c’est un problème qui n’a pas de solution, il est temps que les humains admettent qu’il y a des problèmes qui n’ont pas de solution.

Quant à savoir s’il souffre… je ne sais pas très bien quoi vous dire. Il est imprudent en tout cas de s’en sortir par un oui, mais il ne souffre pas, car nous n’en savons rien. Nous ne savons pas s’il souffre, et nous savons encore moins si la neuroleptisation a un quelconque effet sur sa souffrance éventuelle, dont elle peut aussi empêcher l’expression.

J’en viens maintenant au transfert.

Je sais qu’il existe des institutions plus adaptées que d’autres à ce type de malade. J’ai toujours une appréhension, tant j’ai vu de centres de tous ordres se prévaloir de qualités qu’ils n’ont pas, et je craindrais que vous ne soyez déçue. Mais supposons que votre prévision soit exacte. La solution la moins risquée est celle que je vous ai dite : passer par la tutrice. Car c’est elle qui a la main, et que si vous vous en faites une ennemie vous allez avoir à lutter contre elle et contre l’hôpital, avec des chances de succès bien minces. Il vous faut donc tout faire pour avoir son soutien. Ce n’est que si rien n’est possible que nous envisagerons d’autres moyens mais je ne suis pas très optimiste.

Bien à vous,

M.C.

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