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En réponse à :

L’agonie

, par Michel

Bonjour, Valérie.

Vous arrivez à une conclusion pessimiste. Je n’ai malheureusement pas beaucoup d’éléments pour vous contredire.

Sur la situation cancérologique, c’est assez clair : la tumeur a été considérée comme agressive, elle n’a pas pu être opérée rapidement, la chimiothérapie a été mise en place difficilement et n’a donné que des résultats temporaires, je ne vais pas vous dire que ce sont de bonnes nouvelles. On en est maintenant à l’immunothérapie, traitement certes prometteur mais qui ne doit pas provoquer trop d’illusions.

Mais la question qui se pose est de savoir pourquoi il ne mange plus. Et il y a quatre hypothèses.

Pour de multiples raisons le cancer est anorexigène. Ce sont des malades qui n’ont pas faim. C’est bien ce qui rend délicate la lutte contre l’anorexie, car on se trouve immédiatement tiraillé entre deux nécessités
- Celle de combattre la dénutrition.
- Celle de ne pas harceler le malade, qui souffre bien moins de son anorexie que de l’insistance de ses proches.

Les traitements sont volontiers anorexigènes. Je ne sais rien de ceux qui sont actuellement utilisés en immunothérapie, mais je me souviens que c’est l’un des problèmes posés par le BCG, qu’on utilisait dans ce but. Je dirais simplement que, au bout d’une semaine seulement, je trouve un peu rapide d’attribuer l’anorexie au traitement. Encore faudrait-il vérifier aussi que dans les médicaments que votre père prend il n’y en a pas un qui ne serait pas indispensable et qui pourrait être incriminé. Toujours est-il qu’il n’a pas forcément tort de se plaindre du traitement. Il existe des stimulants de l’appétit, ou du moins des produits qui, prévus pour d’autres usages, ont la propriété d’être, à tire d’effet secondaire souvent jugé indésirable, des orexigènes ; c’est le cas par exemple des neuroleptiques, ou de certaines hormones. Autant dire que leur emploi est délicat, et que je comprends qu’on ne les propose pas. Vous pouvez toujours poser la question.

Mais le tableau que vous dressez est tout autre : pour vous il s’agit essentiellement d’une dépression, réactionnelle à l’annonce de l’échec de la chimiothérapie, chez un sujet qui a déjà présenté des épisodes dépressifs. Je ne vous cacherai pas que vous avez probablement raison. Mais j’insiste : même si c’est l’hypothèse la plus probable il est capital de vérifier qu’il n’y en a pas d’autre. Car si on s’arrête sur le diagnostic de dépression il est nécessaire de traiter. Et le problème est que le traitement antidépresseur agit lentement, sur plusieurs semaines, de sorte que la dénutrition a toute chance de s’installer avant que le traitement ne soit efficace. D’autre part j’ai toujours trouvé que la dépression réactionnelle (celle qui survient chez un sujet qui est réellement confronté à de réelles difficultés) répond assez mal au traitement ; ce qui est normal : quand on a des ennuis la solution est de supprimer les ennuis, pas de les peindre en rose. Bref, on peut essayer ; il y a des antidépresseurs qui donnent faim, là aussi posez la question.

La quatrième hypothèse ne doit pas être négligée : il y a des patients qui décident tout simplement de s’arrêter parce que la suite ne les intéresse plus. Cela n’empêche pas qu’ils soient déprimés, cela n’empêche pas qu’ils soient gênés par un traitement, mais c’est tout de même une autre situation, car l’expérience montre que quand on se trouve face à une telle décision, alors rien n’inverse le cours des choses. Et après tout si, le moment venu, je décide que je ne veux plus continuer, j’espère bien qu’on respectera mon choix.

De toute manière le problème se pose aussi autrement : que pouvez-vous faire ?

Adapter le traitement. Oui, bien sûr. Mais renoncer à l’immunothérapie me semblerait prématuré. Il faut voir ce que les médecins proposent. S’il y a quelque chose à proposer.

Les compléments alimentaires n’ont aucun intérêt. Non seulement parce qu’ils ne complètent pas grand-chose (un flacon de complément n’apporte qu’un tiers de calories de plus qu’une vulgaire Danette), mais parce que les compléments servent à compléter : ils permettent à un patient qui ne mange pas tout à fait assez d’arriver à un apport calorique normal ; chez celui qui ne mange rien ils ne servent à rien, sauf à en manger une dizaine par jour.

Par contre l’idéal serait que votre mère ne s’arrête pas de cuisiner. Même si c’est pour rien. Car en cuisinant elle montre à son mari que la question est importante pour elle. Si elle s’arrêtait elle lui signifierait qu’au fond elle se désintéresse du problème.

Cela bien sûr ne résout rien. Mais le problème est de savoir ce que vous pouvez faire. Or vous habitez loin ce qui vous place hors jeu. Je comprends que vous en éprouvez de la culpabilité, mais… cette culpabilité ne vous fournit aucun moyen d’action. Si on pouvait espérer raisonnablement qu’une vigoureuse action ponctuelle vous permettrait d’inverser le cours des choses, alors je pourrais vous conseiller de vous rendre sur place ; malheureusement c’est sans doute illusoire.

Devez-vous envisager que votre père est en fin de vie ?

Oui, probablement. Il y a un cancer agressif, possiblement métastasé, chez un patient dont l’âge commence à poser problème, et dont le désir de vivre n’est pas fermement assuré. Cela fait beaucoup. Toutefois même en fin de vie il faut jouer toutes les cartes dont on dispose, réserve faite de celles qui ouvriraient sur l’acharnement thérapeutique. Il est trop tôt pour dire que l’immunothérapie doit être abandonnée. Il vous faut donc tenir ce difficile équilibre entre l’espoir légitime et les illusions. Et, redisons-le, la question est plutôt de savoir ce que vous pouvez faire. Peu de chose. Soutenir votre mère…

Bien à vous,

M.C.

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