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En réponse à :

L’agonie

, par Michel

nsoir, Mélanie.

Il faudrait une réponse bien plus complète que celle que je vais vous faire. Mais je vais me borner à commenter votre message ; je ne sais pas pourquoi je le fais ainsi, peut-être parce que le temps ne me semble pas venu d’agir autrement, tant votre souffrance est vive.

Cela fera 2 mois aujourd’hui que mon père est parti... et je n’arrive toujours pas à faire mon deuil

Oh, si, vous êtes en train de le faire ; et j’ajoute que sur certains indices je suis tenté de penser que votre deuil progresse normalement ; mais j’y reviendrai. Ce qui vous fait parler ainsi c’est que nous n’avons plus aucune culture du deuil , et que nous ne savons même plus qu’il s’agit d’une mécanique très fiable, mais assez stéréotypée ; jadis on le marquait en prenant des vêtements de deuil, puis de demi-deuil ; ce rite social était normé, et on s’abstenait de porter des vêtements ordinaires pendant un an et demi : ce n’est pas pour rien, car c’est la durée habituelle d’un deuil. Autant dire que si vous me disiez : au bout de deux mois mon deuil est fait, c’est là que je m’inquiéterais. Vous êtes dans la phase aiguë du deuil, dans l plus violente, la plus pénible, et c’est normal.

tout d’abord à cause des remords qui me poursuivent :

Pourquoi je ne suis pas restée la nuit avec lui alors que j’avais 3 heures de transport il devait être effrayé tout seul ?

Je n’adhère pas forcément à tout ce qui se raconte sur les malades qui attendent d’être seuls pour décéder ; mais s’il est une chose que je crois très fort c’est que la mort est un processus de séparation, et que ce processus implique non seulement celui qui décède mais ceux qui l’entourent. Or ce soir-là vous êtes partie. Si vous l’avez fait c’est qu’il y avait des raisons. Notamment que rien ne permettait de prévoir ce qui allait se passer cette nuit-là. Mais aussi parce que, d’un mystérieux et commun accord, quelque chose s’est passé entre votre père et vous, quelque chose de non dit, de non perçu, qui a fait que lui et vous avez conclu que votre départ était la solution adaptée. Pourquoi ? Je ne peux en savoir plus, ni personne, d’ailleurs ; mais c’est ce qui s’est passé.

Quant à savoir s’il a été effrayé, c’est peu probable : s’il avait été pris d’une angoisse de mort vous l’auriez perçue ; ensuite il est entrée en agonie, et il a, plus ou moins profondément, perdu connaissance. Le risque est donc très limité.

Et puis est-il vraiment décédé à l’heure dite ?
Je m’explique : un œil était ouvert, impossible de le refermer bon cela je veux bien mais sa bouche était ouverte également mais elle, elle s’est refermée au bout d’une heure environ lorsque je suis restée près de son corps inerte et j’ai vraiment trouvé cela bizarre...

Non, ce n’est pas bizarre. Ce sont des manifestations fréquentes après le décès. Contrairement à ce qu’on pense il n’y a pas besoin de fermer les yeux des morts parce qu’on meut les yeux fermés. Quand pour une raison ou pour une autre un œil reste ouvert, ou les deux, il est souvent très difficile d’en obtenir la fermeture. Dans un second temps le tonus musculaire se modifie, et on peut voir se fermer une bouche qui était ouverte. Cela ne dit absolument rien sur l’heure du décès. Mais il est normal, dans un deuil débutant, que ces images vous hantent et qu’elles représentent autant de questions.

Et puis je suis en colère après tout le monde :

Voici un point très difficile. Car il est très possible que vous ayez de vraies raisons d’être en colère, mais il ne faut pas perdre de vue que la colère est un sentiment presque obligatoire du deuil normal. Elle permet un premier apprivoisement de la situation : le deuil se termine quand on a accepté l’idée que l’être cher est mort, qu’il n’est plus là, et que c’était dans l’ordre des choses. Mais au début il est normal de passer par une phase où on n’arrive pas à croire au décès ; ensuite vient une période où on se dit que l’être cher est mort, en effet, mais que ce n’était pas obligatoire, ce qui se traduit par la culpabilité (je n’ai pas fait ce qu’il fallait) ou la colère (on n’a pas fait ce qu’il fallait). Passage inévitable qu’il faut accueillir en tâchant de ne pas en être dupe. C’est ce qui me préoccupe dans le traitement, par exemple, des catastrophes : je ne suis pas du tout sûr qu’on facilite le travail de deuil des proches en les entretenant dans la recherche de responsables là où il n’y en a pas forcément ; mais bien entendu cela ne doit pas dispenser de vérifier qu’il n’y a pas eu de faute.

pourquoi ne l’a-t-on pas dialysé immédiatement ? On l’a mis sous dialyse 4 jours avant la fin... alors que son urine était couleur coca-cola depuis 3 mois...

Précisément, nous y voici. Y a-t-il eu une faute, une erreur, une inexactitude ? Je ne vais pas vous dire que non, car je n’en sais rien, et si je crois fermement que les médecins travaillent beaucoup mieux qu’on ne pense j’ai trop en mémoire la longue liste de mes propres erreurs pour ne pas savoir que cela existe.

Les amyloses, quelles qu’elles soient, sont des maladies graves ; le plus souvent elles constituent une forme évolutive terminale d’autres maladies ; l’amylose AL est une forme sans cause, rare, difficile à diagnostiquer, et souvent on y arrive trop tard. Quand on a la chance de la dépister à temps elle reste dangereuse, même si on a ces dernières années enregistré d’indiscutables progrès.

Tout ce que je peux dire (mais mes connaissances dans ce domaine sont très limitées) c’est qu’une fois le diagnostic posé le risque de l’insuffisance rénale est le premier qui vient à l’esprit. Il est donc peu probable que ce soit par méconnaissance qu’on ne l’a pas dialysé d’emblée : il y a eu une raison, et je ne sais pas laquelle. Intuitivement je penserais que la question était plutôt de savoir s’il était utile de le dialyser, compte tenu d’un pronostic très compromis. Mais je m’arrête là car je ne peux rien savoir de plus : il faudrait connaître le cas précis.

De même, je ne peux pas vous expliquer les propos de son médecin. Qu’il ait dit ne jamais avoir entendu parler de cette maladie ne me surprend pas, car c’est une rareté. Qu’il ait dit dans un second temps qu’il la connaissait ne me surprend pas davantage, non seulement parce qu’il a pu penser qu’il serait plus rassurant en n’insistant pas sur ses lacunes, mais parce que tout simplement il s’est documenté ; c’est ce dont témoigne sa remarque sur l’ancienneté des troubles.

Quant à son erreur de pronostic, elle s’explique aisément.

Dans ce type de maladie, la moindre affection intercurrente, par exemple une petite infection urinaire, peut déclencher des décompensations imprévisibles et catastrophiques. On se trouve ainsi devant un malade qui somme toute ne va pas si mal, et qui s’effondre brutalement à l’occasion d’un épisode banal. C’est ce qui a pu se passer. Et cela peut expliquer cette histoire de dialyse : certes votre père avait de longue date une insuffisance rénale, mais qui n’imposait pas nécessairement une dialyse ; il se peut que les choses se soient brutalement aggravées à l’occasion par exemple d’une prostatite, et qu’on se soit décidé à pratiquer une dialyse de sauvetage pour essayer de passer le cap.

Mais ce ne sont là que des hypothèses. N’oubliez pas que je ne sais rien de cette situation, et que mon but est seulement de vous montrer que les choses sont peut-être beaucoup plus simples et normales que ce que les apparences peuvent vous suggérer. En réalité je n’en peux rien savoir, bien sûr. Comme vous dites il s’agit de comprendre l’incompréhensible. Ce besoin lui aussi fait partie du deuil. Mais il y a des moyens ; tout le problème est de savoir que cette quête de sens est tout à la fois essentielle et… un peu illusoire.

Bien à vous,

M.C.

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