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En réponse à :

La perfusion sous-cutanée

, par Michel

Bonsoir, et merci de votre message.

Il y a une façon simple de vous répondre : dans le milieu des soins palliatifs il existe un consensus très fort pour confirmer que, comme vous l’écrivez "Un certain degré de déshydratation entraîne une antalgie"

Mais il reste deux questions très délicates :
- En premier lieu celle que vous soulevez : qu’en est-il des déshydratations intenses ? Et comment peut-on expliquer qu’il y ait à ce point une différence entre la terrible torture que représente la privation de boissons et la déshydratation en fin de vie ?
- En second lieu, la question plus générale : qu’en savons-nous ? Comment pouvons-nous juger à la place du malade de ce qu’il ressent ?

Je souhaite de tout cœur que, libre de la parole qui s’y dit, ce site soit le lieu où on aborde ces questions dangereuses. Mais il faut d’abord noter que les zélateurs de l’euthanasie sont aux aguets de ces questions ; et qu’ils brandissent allègrement les qu’en savez-vous et les on le sait jamais. Alors rappelons tout de suite qu’il s’agit là d’une double escroquerie intellectuelle.

Car on ne peut pas à la fois prétendre que les médecins ne savent pas de quoi ils parlent et leur demander d’être experts quand il s’agit de donner la mort. Si nous ne savons rien, alors qu’on ne nous demande pas d’agir, et si on ne sait jamais, alors il n’y a plus de connaissance scientifique possible. La nature même de l’activité médicale est de prendre le risque de juger pour autrui. Et tout de même, à défaut de savoir nous avons des repères.

D’autre part il se peut que nous ne soyons pas bons juges de la souffrance du patient ; mais quand il faudra donner un avis sur la licéité d’une demande d’euthanasie, ne faudra-t-il pas porter un jugement encore plus téméraire sur ce que le malade ressent ? Le plus sinistrement comique de cette affaire est que généralement les gens qui militent pour l’euthanasie sont contre la peine de mort ; et rien ne leur fait plus horreur que les exécutions par injections létales. Ces bonnes âmes ne se sont pas avisées que les techniques utilisées par les bourreaux texans sont à peu près les mêmes que celles utilisées par les médecins hollandais.

Ceci rappelé, reprenons votre question.

On peut se demander si une déshydratation intense pourrait être une source d’inconfort.
- Au niveau de la sécheresse des muqueuses, on sait qu’une bonne humidification est suffisante. Tout le problème est de l’assurer, et il faut pour cela être très assidu auprès du malade, encore faut-il que ce soit possible.
- Au niveau encéphalique, on sait que la déshydratation intense entraîne une diminution du volume cérébral, avec risque de ruptures vasculaires qui n’ont aucune raison d’être agréables.
- Au niveau du métabolisme général, il se peut que la déshydratation intense engendre des troubles inconfortables.

Mais que constatons-nous ?
- D’abord nous devons maintenir que, contrairement à ce qui est souvent dit, nous avons des moyens d’apprécier la douleur et l’inconfort chez le malade qui communique peu ou pas. Les outils existent, ils sont validés, et ils donnent des résultats. Personne ne se demande comment on juge de l’absence de douleur pendant une anesthésie générale ; pourtant les anesthésistes le font parfaitement. Et quand nous appliquons aux situations de fin de vie les techniques d’évaluation dont nous disposons, nous trouvons que les malades déshydratés sont plutôt confortables.
- Ensuite il existe des situations où non seulement nous pouvons juger de l’inconfort du malade, mais où, comme elles sont réversibles, le malade peut nous en parler. C’est le cas par exemple de l’acidocétose diabétique. Je n’ai jamais constaté que le coma diabétique soit particulièrement inconfortable, et je n’ai pas le souvenir que les malades qui en ont réchappé évoquent autre chose que leur fatigue. Mais sans doute cela mériterait-il une revue de la littérature, voire une étude clinique.
- Mais en troisième lieu, il nous faut nous souvenir que toute cette histoire est largement symbolique. Symbolique est la question posée par le fait que nous n’avons plus accès à la parole du malade, et que nous sommes, de fait, contraints de juger pour lui. Ce n’est pas un abus de pouvoir, c’est la seule solution, et l’une des énormes difficultés est que personne n’est légitime pour le faire : les proches sont délégitimés parce qu’ils ne peuvent porter un jugement objectif ; mais les professionnels sont délégitimés parce qu’ils n’ont pas la connaissance intime du malade. Et les deux parties se combattent parce qu’elles ne parlent pas du même lieu, et n’ont radicalement aucun moyen de le faire. Mais tout aussi symbolique est le combat pour arrêter les perfusions. Car nous savons bien que ce n’est pas un litre d’eau par jour qui va arrêter la marche de la défaillance multiviscérale : l’acharnement thérapeutique, c’est autre chose.

Personnellement je persiste à vouloir arrêter les perfusions en fin de vie. Mais je ne suis pas sûr que ce ne soit pas là une position dogmatique. Je le fais parce qu’il me semble important de manifester que nous consentons à ce qui se passe.

Mais au fond, la seule question que je poserais est : qu’est-ce qui est paisible ?
- Qu’est-ce qui est paisible pour le malade ?
- Qu’est-ce qui est paisible pour l’entourage ?
- Qu’est-ce qui est paisible pour l’équipe ?

Et si tout le monde est mieux avec un peu d’eau...

Maintenant, votre dernière question est terrible.

Beaucoup de cas, notamment des cas de démence sévère nous montrent des fluctuations importantes de leur état de santé et que déterminer la fin de vie n’est pas si évidente que cela.

En effet. Et je garde des souvenirs très durs de ces situations où il n’y avait aucun moyen de savoir si en jetant l’éponge on frisait l’euthanasie ou si en essayant de lutter on tombait dans l’acharnement thérapeutique. J’ai fini par me dire que, spécialement dans les démences évoluées, il fallait accepter que les choses soient indécidables, de sorte que notre seul devoir est de faire un point argumenté, loyal, honnête, j’ai envie d’écrire : pur. Après, la décision qu’on prend, c’est une autre affaire, mais la seule manière de s’en tirer est de dire qu’en fait il n’y a pas de bonne réponse, et que ce n’est pas le problème. Supposez que vous soyez dans une forêt, sans aucun repère ; il y a deux chemins, et vous ne savez pas quel est le bon. Vous n’allez pas considérer comme une faute éthique le fait d’avoir choisi un chemin sans savoir où il mène, n’est-ce pas ? Bien au contraire, vous direz que la faute est de ne pas choisir, car en ne choisissant pas vous êtes assurée de mourir. Descartes dit quelque chose de cet ordre quand il dit que la seule chose à faire est de marcher, parce qu’au moins on est assuré d’arriver quelque part.

C’est pourquoi nous avons, dans ces situations de fin de fin de vie, que le devoir d’être parfaits dans notre analyse clinique et totalement purs dans notre désir. Ce qui n’est déjà pas si mal !

Bien à vous,

M.C.

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