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En réponse à :

Le tutoiement auprès de patients déments

, par Michel

Bonjour, Marion.

Je suppose que vous avez lu l’article que j’ai consacré à ce sujet. Du coup je ne sais pas si je peux faire autre chose que le paraphraser.

Je dirais que la démence par elle-même n’a pas lieu de constituer une situation qui dispenserait d’appliquer les règles communes : le dément doit être respecté, et il faut proscrire le tutoiement, disons habituel, comme pour tout le monde.

Mais ce principe posé, il faut se poser quelques questions.

Je ne veux pas qu’un soignant se permette de tutoyer. Mais je sais bien qu’il y a des exceptions. La conséquence est qu’il faut considérer le tutoiement comme un acte de soin, ce qui suppose qu’il soit décidé en équipe, appliqué en équipe, évalué en équipe. Et que cette démarche doit être systématique, car c’est la seule manière d’éviter les dérives.

Et il y a plusieurs choses à considérer.

Par exemple, il y a des considérations culturelles :
- Aux Antilles, le fait de vouvoyer quelqu’un est un signe de mépris ou de colère.
- Il y a des tutoiements sociaux : marque de reconnaissance dans la classe ouvrière ; tutoiement culturel, obligé, dans l’Éducation Nationale, ou dans la santé ; tutoiement intergénérationnel, etc. Cela doit faire s’interroger sur ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas, ce qui est légitime, voire nécessaire. En somme, une fois que l’équipe est arrivée au zéro tutoiement, elle va s’apercevoir qu’il faut qu’elle nuance sa position. Mais je ne suis pas sûr de ce point, et personnellement je n’ai jamais tutoyé personne ; il est vrai que la position du médecin est particulière.
- etc.

Il y a des considérations de personnes : certains résidents autorisent certains soignants à les tutoyer, voire le demandent, mais choisissent celui ou celle qui aura cette liberté. Que fait-on ? Personnellement je refuserais, mais c’est à voir. Mais il y a aussi des résidents qui, voyant tel ou tel se faire tutoyer, vont demander à l’être.

Je sens bien que la position du zéro tutoiement demande à être adaptée. Mais :
- Si on le fait, c’est après être passé par la case zéro tutoiement.
- Si on le fait, c’est en équipe.
- La limite, c’est que le soignant doit rester soignant. Nous avons tous, résidents comme soignants, la tentation de déguiser la réalité, et de faire que la maison de retraite devienne un lieu de vie comme les autres, habité par de gens comme les autres. Et il y a là du grain à moudre. À condition de ne pas oublier que dans les faits la maison de retraite n’est pas un lieu comme les autres, et qu’elle est habitée par des gens qui sont là parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement, servis par des gens qui sont là parce qu’on les paie, et qui rentrent chez eux le soir. On ne triche pas avec ça.

Maintenant, le dément.

Nous avons les mêmes devoirs envers lui. Mais ces devoirs sont évidemment modulés par les capacités du malade. Il ne sert à rien de lui parler normalement si sa compréhension ne lui permet pas de recevoir ce que nous lui disons : la première chose que fait le Président du tribunal, c’est de demander au prévenu s’il comprend le français.

Or il existe des situations dans lesquelles le trouble cognitif induit un trouble de la représentation du monde.

Par exemple on voit des déments qui opèrent ce que Geneau et Taillefer ont décrit sous le nom de plongeon rétrograde : le malade se met à parcourir sa vie à l’envers, et se retrouve à des périodes de sa vie où il était plus jeune, voire très jeune. Attention, ce n’est ni systématique ni métronomique (en particulier l’échelle dite de Reisberg ne correspond à rien dans ma pratique. Mais cela se voit. Du coup si Madame Dupont est revenue à une période de sa vie où elle a quatre ans, vous faites une erreur si vous lui dites : « Madame Dupont, votre fille va venir ». Une enfant de quatre ans n’a pas de fille, et on ne vouvoie pas une petite fille de quatre ans. Si vous faites cela elle va tout bonnement ne rien comprendre à ce que vous lui dites.

Pour les mêmes raisons, si le dément vous prend pour un collègue de travail, vous n’entrerez pas en relation avec lui si vous enfreignez les règles sociales du monde du travail. Et si on se tutoyait à l’atelier, vous risquez de devoir le faire.

Mais vous sentez bien que pour déterminer la meilleure manière de se comporter, il faut un travail en équipe…

Je vous laisse le soin de trouver d’autres exemples.

Bien à vous,

M.C.

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