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En réponse à :

Le syndrome de Korsakoff / institution en difficulté

, par Michel

Bonsoir, Laurence.

Je comprends votre questionnement ; mais je vais avoir du mal à vous répondre. Quand vous me parlez d’un patient souffrant d’un syndrome de Korsakoff, je me trouve déjà en difficulté, tant j’ai toujours eu du mal à m’occuper d’alcoolisme ; ce sont des situations qui m’ont toujours provoqué des réactions inadaptées. Je vous dis ça parce que je ne suis probablement pas le seul. Essayons, toutefois.

Tout de même il y a quelque chose qui m’intrigue. Votre patient n’est pas éligible à une entrée en EHPAD, il a donc moins de 60 ans. S’il a un syndrome de Korsakoff depuis 30 ans, c’est qu’il l’a débuté à moins de 30 ans. Cela suppose un alcoolisme précoce et massif (les autres causes de Korsakoff sont anecdotiques) ; mais s’il y a eu un alcoolisme massif, alors il est fort douteux que les autres organes (foie, cœur…) soient indemnes ; et dans ce cas on comprend assez mal que le patient ait survécu trente ans. Mais cela se peut.

Ceci remarqué, la question que vous posez me semble être de savoir comment aider les professionnels à trouver une stratégie (est-ce la seule ?).

Je note que vous arrivez à établir un échange convenable avec lui, mais vous ne le pouvez que dans un contexte singulier : celui de votre qualification professionnelle, dans une relation duelle, dans un bureau, avec des possibilités d’échappement quand les choses se gâtent, notamment en termes d’agressivité. Aucune de ces conditions n’est présente dans le contexte de la vie ordinaire de l’unité de soins. Tout le problème est donc de savoir comment on peut tirer parti de votre expérience dans un contexte qui ne permet pas de la reproduire.

Or il est évident que son comportement dans la vie ordinaire n’a pas de rapport avec celui qu’il peut arriver à adopter dans l’environnement très sécurisant de votre bureau. Il est d’autant plus différent que j’ai cru observer chez eux une tendance à la provocation, enfin je ne sais pas très bien comment le décrire ; peut-être s’agit-il plutôt de cette espèce d’euphorie décalée, associée à un besoin d’occuper l’espace, qui me les rendait rapidement insupportables. Mais j’ai vu très peu de patients atteints de Korsakoff, et je redoute de généraliser. Toujours est-il que je comprends que les soignants se sentent débordés au bout de quelques heures ; pour ma part je ne tenais pas aussi longtemps.

Que penser de leurs craintes ?

J’ai cru voir que ces patients ont une capacité particulière à aspirer leur entourage : tout se passe comme s’ils jouaient (je dis ça parce que je ne crois pas qu’ils jouent vraiment) de manière très convaincante, et alors que je n’ai jamais vu un malade atteint de Korsakoff poser un acte violent j’ai souvent entendu des soignants redouter de telles violences. Il en va de même pour le risque suicidaire ; et j’ajoute qu’il ne faudrait pas aller trop vite avant de tenir pour un geste suicidaire ce qui n’a peut-être été qu’une tentative d’évasion. Je le dis d’autant plus que je ne vois pas bien comment on peut élaborer un geste aussi complexe qu’une tentative de suicide quand on n’a plus de possibilité de mémorisation, ce qui me semble interdire d’avoir, précisément, de la suite dans les idées. Mais je n’en sais rien.

Par contre il me semble que leur crainte, précisément parce qu’elle a quelque chose d’injustifié, est ambivalente. Pour faire court, si l’équipe manifeste sa crainte qu’il ne se tue, c’est largement pour éviter de se confronter à son propre désir de le tuer.

La démobilisation de l’équipe est classique. Le seul projet est qu’il débarrasse le plancher, même si cela se résume à celui de refiler le mistigri aux copains. En fait, comme souvent, l’équipe déteste ce malade, ce qui est d’autant plus difficile à admettre que tout le monde sait que dans le soin on ne fait jamais acception de personne et qu’on aime tout le monde (raison pour laquelle je commençais en vous confessant que je n’ai jamais aimé les alcooliques). Mais je suis frappé par le message qu’elle semble envoyer, sans que je puisse savoir à qui (et même pas, d’ailleurs, si j’ai raison) :
- Elle a dernièrement abandonné leur implication dans l’initiation à l’utilisation d’un cahier mémoire : probablement parce qu’elle juge l’entreprise trop décalée, trop dérisoire par rapport à la situation qu’elle vit. Je garde pour moi la crainte que, dans une affection comme le Korsakoff, il n’y ait guère à attendre d’un cahier mémoire ; mais je n’ai aucune idée de ce que donnent les expériences qui ont été tentées dans ce domaine, il faudrait voir la littérature.
- Elle a placardé dans sa chambre des photos actuelles de son fils. Je lis un tel acte, mais ce sont mes fantasmes, comme une volonté de dénier le trouble mnésique en imposant, d’une manière, assez violente, une confrontation à la réalité.
Je vous dis ça, je n’en sais rien. Mais nous sommes dans une opération de brainstorming.

Le directeur préconise de le laisser sortir lorsqu’il le souhaite. Difficile d’en penser quelque chose. Au fait, parlons droit : juridiquement le fait de maintenir quelqu’un dans un lieu où il ne souhaite pas être constitue le crime de séquestration, visé par l’article 224-1 du Code Pénal : Le fait, sans ordre des autorités constituées et hors les cas prévus par la loi, d’arrêter, d’enlever, de détenir ou de séquestrer une personne, est puni de vingt ans de réclusion criminelle. Les seuls endroits où on puisse retenir quelqu’un contre son gré sont les prisons et les hôpitaux psychiatriques, encore sont-ils sous la tutelle d’un magistrat. Toutes les unités Alzheimer sont des zones de non-droit, d’autant plus que la loi précise bien que, même sous tutelle, la personne protégée choisit librement son lieu de résidence ; que cette disposition n’ait aucun sens est une autre question. En tout cas le Directeur tient manifestement à dédramatiser, à tort ou à raison, la situation, ce qui peut être un forme de déni. Mais cela permet à l’équipe de trouver un comportement somme toute rassurant pour elle : en accentuant ses angoisses elle neutralise sa propre agressivité, l’angoisse est ce qui lui permet de se renarcissiser en se redisant qu’elle est une bonne équipe qui aime son malade. Quel est le risque ? Je ne sais pas. Il faudrait être plus compétent en ce domaine que je ne suis, et je ne sais pas exactement ce qu’il en est des troubles cognitifs des Korsakoff ; je crois savoir que quand il est pur le syndrome d Korsakoff ne comporte pas de troubles cognitifs, en dehors du trouble mnésique et de la désorientation ; le problème c’est qu’il faudrait être sûr qu’il n’y a pas une démence alcoolique associée.

Le psychiatre propose un séjour de répit. Au moins c’est une proposition, assurément bien pauvre, mais qui a le mérite d’exister, et de laisser l’équipe devant sa réalité : il suffit de comparer à la préconisation des autres médecins de laisser faire le temps, ce qui n’a absolument aucun sens.

Alors, vous parlez de sentiment d’impuissance… j’aurais sans doute le même, car je ne vois pas très bien ce qu’on peut proposer. Et je suppose que je réagirais de la manière la plus simple, en fuyant. Ou en déniant, ce qui revient au même.

Il y a des situations ingérables, il y a des situations où la seule solution est le sauve-qui-peut. Je crois qu’on fait, et qu’on se fait, beaucoup de mal en entretenant ce mythe selon lequel il y a toujours une solution. Car cela conduit à aggraver la culpabilité de ceux qui n’y arrivent pas.

Je n’ai pas le souvenir d’avoir trouvé des solutions brillantes à ce type de problème. Mais je me demande si vous avez raison de chercher à dédramatiser la situation. Vous êtes nouvelle dans la maison, le risque si vous allez trop loin dans cette voie est de vous faire accuser de ne pas comprendre, de ne pas vous partager la détresse de l’équipe, bref d’être dans le camp irréalistement lénifiant de la hiérarchie ; vous pourriez le payer. Je me demande si vous ne seriez pas plus efficace en prenant acte de l’impasse, et en aidant l’équipe à prendre conscience de sa propre agressivité. Cela fait comme un préalable, il serait peut-être possible de concevoir une attitude totalement pragmatique, permettant à l’équipe de tenir, par exemple en fragmentant les temps d’implication de chacun. Car en entretenant le mythe de son amour pour ce malade, l’équipe se prive des moyens de comprendre ce qui lui arrive, et donc d’élaborer une stratégie de sortie.

Mais je dis ça… je n’aime pas les alcooliques.

Bien à vous,

M.C.

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