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En réponse à :

La loi Claeys-Léonetti

, par Dom

... et moi j’en ajouterais une septième, si vous me permettez de vous raconter brièvement la "progression" de mes idées sur la question :

- comme à peu près tout le monde qui a (eu) un proche dont les neurones se décomposent, ou qui meurt d’une mort "sale" (défigurante, puante, douloureuse, etc.), j’ai pensé "je ne veux pas ça pour moi" ;

- moi aussi, j’ai dit et clamé "je ne veux pas ça pour moi", et j’ai dit à mes enfants "surtout, le moment venu, ne me laissez pas finir comme ça" ;

- j’ai posé la question à mon père vieillissant (i.e. en fin de vie, beaucoup plus diminué que je ne le pensais, devenu un vieillard acariâtre, misanthrope, dépressif, et las de vivre) : "Mais si tu en as tellement marre, pourquoi ne te suicides-tu pas ?" Il m’a répondu (et je ne cesse de me remémorer ses paroles) : "Tu as parfaitement raison. Le problème, c’est quand ? Comme je ne suis pas parvenu à trouver la réponse, j’en suis arrivé à la conclusion que Dieu, ou quoi que ce soit qui en tient lieu, décidera de l’heure, comme il a décidé de l’heure de ma naissance, que je n’ai pas d’avantage choisie que celle de ma mort".

- peu après la mort (d’un coup d’un seul) de mon père, j’ai posé la question à ma mère, qui n’était plus très loin de la démence profonde, et qui ne cessait de pleurer qu’elle voulait mourir : "Tu veux mourir, OK. Je prends deux billets d’avion pour Zürich, on part ensemble demain, et je rentre samedi seule. Est-ce cela que tu veux ?" Elle a cessé net de pleurer et m’a dit, très fermement : non. Elle vit maintenant depuis plus de trois ans en EHPAD, elle ne parle plus, ne se lève plus, ne voit plus, n’entend plus, ne me reconnaît plus, les escarres sont apparues. Tout le monde, moi comprise, pensait ces derniers temps que ses derniers moments étaient proches, et puis la semaine passée je l’ai trouvée adossée à ses oreillers, escarres en voie de guérison, œil vif, quasi-sourire aux lèvres, pression de la main ferme, bon appétit (du mouliné, certes, mais avalé jusqu’à la dernière cuillère). Ma mère ne veut juste pas mourir. Oserai-je le dire ? Aussi profondément démente soit-elle, aussi "vide de sens" que soit objectivement devenue sa "vie" (c’est à dessein que je mets des guillemets), sa récupération (tellement, tellement relative) a fait un bien fou à toutes les équipes, y compris l’HAD qui a pris en main les soins de ses escarres sans illusion aucune (et je voudrais saluer ici l’extraordinaire force morale de ceux qui soignent, jusqu’au bout, sur le mode "tant qu’un patient est vivant, il vit, et malgré tout ce que la science et les statistiques nous disent, la décision de vivre ou de mourir n’est pas entre nos mains") et... à moi. Certes, on sait tous qu’elle VA mourir, mais... d’une certaine façon, je crois qu’on est tous fiers d’elle, et de sa volonté de vivre coûte que coûte.

- enfin, j’ai lu il y a quelques années dans un "quotidien de référence", lors d’un énième "sujet" sur le suicide assisté, le témoignage d’un fils racontant l’enfer qu’il a vécu pour aider sa mère à se suicider, à sa demande. Bon, la relation mère/fils était manifestement complexe, mère dominante, extrême dépendance psychologique (et financière...) du fils, mais le récit (du point de vue du fils) était un vrai cauchemar - je me demande comment il a pu y survivre. De façon non surprenante, ce récit était présenté comme un plaidoyer pour l’ "assistance au suicide", comme si une loi avait le pouvoir magique de "disculper" les proches de la terrifiante obligation éventuellement posée par leurs proches.

C’est ce dernier élément qui m’a fait basculer, si je puis dire. Alors que j’avais toujours considéré jusqu’alors comme "normal" que mes fils, mes proches, les médecins etc. s’appliquent à respecter mes volontés (en supposant que je les ai exprimées en un temps où j’étais capable de les exprimer en pleine possession de mes moyens mentaux), il m’est apparu tout à coup que c’était d’un formidable égoïsme que de me défausser ainsi de la responsabilité de ma mort sur quelqu’un d’autre que moi-même - sur mes enfants, surtout.

Car le "suicide assisté", ce n’est rien d’autre que cela : faire faire par d’autres ce qu’on n’a pas su, voulu ou pu faire soi-même. Et je tremble encore de penser que j’ai pu, à un moment de ma vie, considérer comme "normal" d’attendre de mes fils qu’ils assument toute leur vie durant la responsabilité d’avoir "débranché" leur mère (débrancher étant ici un euphémisme pour tuer), même si elle l’avait demandé xx années plus tôt, mais dans le doute terrifiant qu’elle ait changé d’avis sans plus pouvoir l’exprimer...

En ce qui me concerne, je sais gré à ma mère de me l’avoir aussi clairement épargné, et j’admire mon père d’avoir été capable de s’en remettre à son destin plutôt qu’aux lois humaines.

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