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En réponse à :

La personne âgée opposante

, par Dom

Bonjour

La vieille dame que j’aime, rencontrée dans l’EHPAD où réside ma mère, celle qui a un si beau vieux prénom, fut mathématicienne, professeure d’université. Il y a quelques mois encore, elle se battait pour compter jusqu’à quatre quand je lui proposais qu’on mette la table ensemble. Sur chaque table, quatre assiettes, quatre bols, quatre cuillers, quatre fourchettes, quatre couteaux - ça n’allait pas tout seul.

Aujourd’hui, elle ne sait plus à quoi sert une cuiller ou une fourchette. Mais son regard s’illumine chaque fois que j’arrive, et tandis que je salue ma mère, elle s’approche derrière moi, et attend qu’à son tour je l’embrasse. Du fin fond de sa démence, elle sait qu’elle passe après (parlons, peut-être, d’une survivance de "bonne éducation", qui commanderait cette réserve), mais elle sait aussi (j’en suis sûre) que nous avons, notamment, partagé un challenge intellectuel - compter jusqu’à quatre -, et que ça nous lie.

C’est une très belle vieille dame, et les photos qui sont dans sa chambre témoignent qu’elle a toujours été très belle - jeune fille autant que femme mûre. Parfois, je pense que mon affection pour elle provient de mes propres fantasmes (voir en elle la mère que j’aurais aimé avoir ; on pourrait probablement explorer cette piste lorsqu’on s’intéresse au sentiment de culpabilité des proches : ce n’est que quand ils ne sont plus eux-mêmes qu’on peut tenter de racheter, par excès de zèle et de sollicitude, le "péché originel" de n’avoir pas aimé ses parents... Je suis frappée de voir combien de commentateurs de votre site revendiquent l’amour fusionnel qu’ils ressentent pour leur vieille mère, et, par contraste, combien peu écrivent ce qu’il leur en coûte de devoir prendre en charge cette vieille carne qui a empoisonné toute leur vie... Quelle perspective abyssale !), et parfois je me dis que non : ce qui se passe entre elle et moi est juste aussi mystérieux que l’amour - parce que c’était elle, parce que c’était moi. Et pourquoi pas ?

A contrario, et pointillisme encore.

Comment un amateur de musique sérielle, ou un fan de Jimy Hendrix, pourrait-il, du fin fond de sa démence, échapper à la colère et au désespoir tandis qu’il gît, prisonnier de son fauteuil médicalisé, et que se déverse, pour le "stimuler", du J.J. Goldman ? Je me souviens du cri d’un des colocs de ma mère, parkinsonien en phase terminale et décédé depuis, qui ne pouvait quasiment plus bouger ni parler : "Arrêtez ce tintouin !" - une des AS avait mis un CD de Be Bop, c’était terriblement gentil et attentionné de sa part, elle s’était dit que "ça leur rappellerait de bons souvenirs" (et il faut ici rappeler que pour elle, sa génération, ses origines et sa culture, ça n’évoquait absolument rien, elle était donc dans une démarche strictement altruiste, et peut-être thérapeutique....), mais pour ce résident, c’était l’ultime humiliation...

Franchement, je comprends qu’on ait envie de mourir quand on en est à ce point d’incommunicabilité. C’est un peu comme si, sachant que vous aimiez la lecture (car je suppose que vous aimez lire), une âme charitable s’asseyait à votre chevet pour vous lire du Musso. Ou du Lévy.

Ce qui me ramène à mon interrogation sur les aspects socio-culturels de la prise en charge des vieux déments, soigneusement occultés au nom de l’égalité républicaine. Je trouve pourtant que c’est un aspect qui mériterait un peu plus de lucidité - spécialement quand on parle de dignité.

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