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En réponse à :

Les soignants et les familles

, par Michel

Bonjour, Paulette.

J’ouvre un nouveau fil de discussion car, comme vous pouvez le constater, quand les échanges sont trop longs ils se décalent vers la droite et finissent par devenir illisibles. C’est un des défauts de ce forum, dont la technique n’a pas été conçue pour cela. Ce que je pourrai faire, c’est synthétiser tous ces passionnants échanges en un seul article.

J’ai lu, bien sûr, toutes vos contributions ; et j’ai lu ce mémoire.

Il m’est difficile d’en parler, parce que j’ai le sentiment de vous avoir tout dit : pour le résumer, je crois que les conditions d’une action efficace ne sont pas réunies, et elles ne le seront pas tant que durera la confusion en vous entre ce qui relève de l’angoisse et ce qui relève d’un regard objectif et d’un engagement à faire évoluer la vision de la prise en soins. Et vous ne pouvez faire l’économie de cette réflexion car l’enjeu est le bien-être de votre mère.

Ce que vous mettez en avant me semble caractéristique : vous avez le légitime besoin que votre parole soit entendue. C’est là une question majeure (et je sais quelles auront été mes propres lacunes dans ce domaine). Mais du coup on en vient à se demander ce qu’il en est des suites de votre parole. Ainsi vous écrivez : A la suite de mon courrier à la médecine gériatrique, j’avais été convoquée pour un entretien avec toute l’équipe, sur RV quelques jours après. L’entretien s’était bien déroulé. Formulation surprenante : que signifie ce « bien déroulé » ? Comme si la suite donnée n’était pas, au fond, la seule chose importante.

Cette description de l’hospitalisation met d’ailleurs très clairement en lumière la confusion dans laquelle vous êtes. Ainsi vous écrivez :

1/ Le traitement pour le cœur a été diminué de moitié, sans qu’on en soit informé. Or le samedi 6, j’avais pourtant communiqué à une infirmière le traitement habituel à suivre. Du Cardensiel à 5 mg prescrit par le cardiologue, en avril 2009, on est passé au Cardensiel à 2,5 mg en médecine gériatrique en février 2010. Pourquoi ?
Lors de l’hospitalisation, vu que mon père allait de + en + mal, nous avons demandé quel était le traitement donné pour le cœur le matin. Personne n’a voulu ou daigné nous répondre. L’ordonnance de sortie établie par le Dr P. spécifiait du Cardensiel à 2,5 mg. !!! (la prescription du cardiologue Dr T. est accessible par l’intranet du CH avec du Cardensiel à 5 mg)
.

Ce que vous méconnaissez, c’est que cette situation est parfaitement normale.

Il y a des cardiologues, et il y a des gériatres. Et ce que nous constatons en gériatrie c’est que 50 % des patients hospitalisés présentent des situations de surdosage médicamenteux. Le rôle du gériatre est donc de réévaluer systématiquement l’organisation du traitement, et c’est notre activité quotidienne que de, profitant du fait que le malade est en sécurité à l’hôpital, remettre en cause les prescriptions antérieures. Ne se posent donc que deux questions :
- La première serait de savoir si le gériatre s’est concerté avec le cardiologue. C’est ce que nous faisons quand la décision à prendre est importante ; ce n’est pas le cas ici, où l’essai de diminution de dose aura fait rapidement la preuve de sa pertinence.
- La seconde serait de savoir s’il faut en informer l’entourage. Et la réponse ici est claire : certainement pas : non seulement parce qu’il s’agit d’une décision purement technique sur laquelle l’entourage n’a aucune compétence (soutiendrait-on qu’il faut aussi négocier le choix de l’antibiotique ?), mais encore parce que, comme vous l’avez rappelé, votre père « a présenté une pathologie organique pure sans troubles cognitifs ou troubles psycho-comportementaux » ; dans ces conditions il est le seul interlocuteur des médecins (ce qui pose la question de savoir ce qui a été fait dans ce domaine, mais c’est une autre question, et elle est complexe), et ce qui relève de sa prise en soins relève des dispositions relatives au secret professionnel (je m’empresse d’ajouter que, dans la pratique, nous savons nuancer tout cela).

En d’autres termes, c’est bien l’angoisse qui vous met en mouvement, et qui vous conduit à commettre ces erreurs d’interprétation et de stratégie. Et c’est cela qui vous rend inefficace, en premier lieu parce que votre parole du coup se trouve disqualifiée, en second lieu parce qu’elle induit dans la relation une tension, une suspicion contre-productives.

Bien sûr il reviendrait aux professionnels de s’en apercevoir, de travailler sur ce point et de prendre les dispositions nécessaires. Comme je vous l’ai dit, on ne peut tout de même pas demander aux familles de soigner les soignants. Mais la réalité est que c’est ainsi. Soit donc on renonce à être efficace, et on se contente de dire, à juste titre, que la situation n’est pas normale, soit on cherche l’efficacité et on s’y prend autrement.

Et ce que je déplore, mais je me répète, c’est que du coup la question de fond que vous posez perd de sa puissance.

Il en va de même du lien que vous publiez. Certes vous pouvez porter ce travail à la connaissance de la Direction de l’EHPAD. Mais voici quelle sera sa réponse :
- C’est un document disqualifié d’emblée (car nous sommes très habiles dans ce genre de manœuvre) : il s’agit d’un simple travail de fin d’études, exercice scolaire auquel se soumettent toutes les infirmières, et qui n’a guère de valeur scientifique (pour ma part je vous dirais qu’il est plutôt bien fait, mais qu’il n’apporte pas de nouveauté par rapport à ce que nous disions déjà couramment depuis le début des années 2000).
- Plus sérieusement, ce travail ne concerne que les situations d’hospitalisation, non celles de la vie en EHPAD ; l’extension à l’EHPAD, c’est vous qui l’ajoutez. Quelle importance ? Elle est majeure, car elle interroge, disons pour faire vite, la distinction (sur laquelle on n’a pas fini de transpirer) entre curing et caring. Et la proportion relative de l’un et de l’autre n’est pas la même en hospitalisation et en EHPAD, ce qui fait que la place des proches n’est absolument pas la même dans l’une et l’autre situation.
- L’auteur insiste avec grande raison sur les limites de cet exercice. Et une limite essentielle est certainement l’anxiété des proches ; nous savons bien que c’est elle qui va compromettre l’équilibre de la prise en charge, et il y aurait une grande imprudence à ne pas la prendre en compte.
- Elle insiste également sur la nécessité d’une formation des proches (ce qui, pour être nécessaire, n’en constitue pas moins une très belle manière de dénier le savoir de ces proches).

Voilà comment on se débarrassera de votre question. Vous auriez sans doute plus de chances en trouvant (mais ce n’est pas facile) le livre, que je signale depuis longtemps, de Marguerite Mérette : Pour la liberté d’être (Québec : Éditions Logiques, 2004).

Bien à vous,

M.C.

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