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En réponse à :

La démence ou l’art du camouflage

, par Michel

Bonjour, Laure, et merci de ce message.

Ce qui me frappe, c’est le ressentiment que je crois trouver dans votre message. Je dois le lire avec prudence : d’un côté je n’oublie pas combien la colère, élément essentiel du deuil normal, se rencontre aussi et de la même manière dans toute situation de souffrance ; de l’autre je n’ai aucune illusion sur ma profession, et je la sais capable de tous les errements que vous décrivez.

Cela dit, explorons.

Le sens de mon propos ne vous a pas échappé : il s’agissait de dire que parmi les mécanismes de défense que le dément mobilise, il y a le camouflage. Ce mécanisme n’a aucun rapport avec les manques relationnels des professionnels de santé, qui obéissent à d’autres phénomènes. On peut les regrouper sous le même vocable, mais à condition de ne pas oublier que ce sont des choses différentes.

Je vais donc reprendre votre mail, pour essayer de préciser de quoi on parle.

après m’être pas mal documentée.

Je ne comprends pas ce que vous voulez dire. Quelle documentation avez-vous réunie ? Dois-je comprendre que vous ne parlez pas de choses que vous avez vécues ?

J’ai compris une chose, mon oncle atteint de démence vasculaire n’a jamais camouflé sa maladie.

Deux choses sur ce point.

Si je vous suis bien, après vous être documentée vous avez compris que votre oncle ne camouflait pas. Je suis déçu : car mon propos était de montrer que les mécanismes de camouflage mis en œuvre par le dément se constatent, du moins si on pense à les regarder. Ce n’est donc pas affaire de théorie ou de documentation, mais d’observation.

Mais je poursuivais un autre but : celui de montrer que dans son entreprise de camouflage le dément ne se livre pas à je ne sais quelle entreprise sournoise pour dissimuler la vérité, mais à une tentative désespérée pour sauver ce qui peut l’être. Il s’agit donc d’un processus radicalement différent de cette propension des médecins au mensonge, accusation dont je traiterai plus loin. Ajoutons que le mécanisme de camouflage que je décris n’a aucune raison d’être universel et systématique ; notamment la démence vasculaire, parce qu’elle a tendance à évoluer par à-coups, lui permet moins de se préparer et d’élaborer des stratégies de défense.

Seuls les médicaments psychotropes ont camouflé,

J’ai du mal à vous suivre.

Les psychotropes camouflent ? Bien sûr ! Et alors ?

Quand un patient a une douleur, je dois l’aider à en trouver la cause. Mais je ne vais tout de même pas le laisser avoir mal pendant que je cherche, n’est-ce pas ? Je vais donc traiter sa douleur. Tant qu’il prendra son traitement il n’aura pas mal, s’il arrête il aura mal ; mon traitement aura camouflé la douleur et vous trouverez cela très bien

De même, on peut être acculé à donner des psychotropes à un dément. J’ai assez écrit que je n’aime pas cela, mais j’ai aussi écrit que mon refus d’en prescrire avait été trop dogmatique. Quand on se trouve dans cette situation, on sait parfaitement qu’il n’y a aucun espoir d’inverser l’évolution. On utilise les psychotropes (bien, mal, à bon escient, c’est un autre débat) comme on utilise les antalgiques chez celui qui a mal : pour camoufler ; et c’est tout ce qu’on leur demande ; c’est ça ou laisser le malade souffrir de ses angoisses, de ses délires, etc.

Maintenant, il y a une autre manière de l’entendre : c’est qu’il a pu se produire que dans un premier temps on ait cru à une pathologie purement psychiatrique, avant de se rendre compte qu’on avait affaire à autre chose. Dans ce cas on peut effectivement dire que, masquant ce qu’il fallait voir, les psychotropes auront retardé la compréhension de ce qui se passait. Mais il se sera agi là, non d’une entreprise délibérée, mais d’une erreur de diagnostic. Il ne serait pas sérieux de croire qu’on peut éviter les erreurs.

ainsi que les psychiatres, et puis aussi les généralistes...

Je n’ai aucune illusion sur ce point. Mais les choses ont tout de même un peu changé. Il fut un temps (pas si ancien : c’est ainsi qu’on m’avait formé) où on apprenait au médecin à ne pas dire la vérité, car il fallait protéger le malade. Les choses ont changé. Cependant, non seulement elles n’ont pas changé dans toutes les têtes de tous les médecins, mais encore on ne s’est guère préoccupé de leur apprendre comment on s’y prend pour dire les choses. D’où des réticences, des erreurs, des maladresses.

Toutefois je dois attirer votre attention sur le phénomène du déni.

Il y a un déni chez le médecin. Je me souviens d’avoir dû lutter, dans la première partie de ma carrière de médecin de campagne, contre une erreur à laquelle je n’étais pas préparé : c’est que quand j’ai commencé ma carrière, mes patients étaient souvent jeunes ; et je ne les ai pas vus vieillir. Cela fait qu’au bout de vingt ans j’avais mis du temps à comprendre qu’ils étaient arrivés à l’âge du cancer, ou de la démence. Comme j’avais une histoire avec eux, j’ai raté un certain nombre de diagnostics parce que je n’ai pas pris conscience de ce simple phénomène ; je n’ai pas vu ce cancer parce que je ne voulais pas que ce malade en ait un, je n’ai pas vu cette démence parce que je ne voulais pas que cette malade soit démente. Quand je suis devenu hospitalier, cette erreur a disparu : quelque part, ce n’étaient pas « mes » malades.

Mais plus encore il y a un déni chez les malades et les proches. Je ne compte plus les situations où j’ai dit clairement les choses à tel ou tel patient, à telle ou telle famille, et je n’ai pas été entendu, parce que mon interlocuteur n’était pas prêt. Je ne compte plus les situations où on m’a reproché de ne pas avoir dit des choses que pourtant j’avais clairement annoncées. Certes il y a des techniques pour dire les choses, et rien ne me dit que je les possédais correctement. Mais je sais aussi que, quoi qu’on fasse, il y aura toujours des cas où ce qu’on dit ne sera pas entendu. Je ne sais absolument pas, et pour cause, ce qu’il en a été pour vous, mais je serais plus prudent avant de dire qu’on vous a menti ; notamment parce qu’on n’avait aucune raison de le faire.

Ajoutons que le plus souvent, si le médecin ne dit pas la vérité, c’est tout simplement parce qu’il ne la connaît pas.

On en a rajouté par-dessus pour camoufler les effets secondaires des médicaments précédents. Pour arriver à une liste de médocs longue comme le bras.

Pardon, mais vous mélangez tout.

Les médicaments ont des effets secondaires. Il ne sert à rien de se gendarmer sur ce point, la réalité est qu’un médicament qui n’aurait aucun effet secondaire aurait toute chance d’être un placebo. La question est de savoir si ce médicament doit ou non être prescrit. Je redis mes réticences devant la prescription de psychotropes, mais je sais qu’il y a des cas où ils sont inévitables. Et quand ils le sont il faut bien en assumer les inconvénients ; ce qui passe par la prescription de médicaments correcteurs. On peut se trouver alors enfermé dans un cercle vicieux. Ce que je dis, c’est que quand on s’en aperçoit il est impératif de s’asseoir, et de se demander si vraiment on n’a aucune autre solution. Je disais pour ma part que quand mon ordonnance comportait plus de quatre médicaments, c’est qu’elle était plus nuisible qu’utile. Mais je sais parfaitement que dans certains cas on n’a pas le choix.

Aujourd’hui qu’il a son diagnostic, on continue à camoufler.

Je pense vous avoir déjà répondu : on ne « camoufle » pas, on corrige les symptômes parce qu’on ne peut rien faire d’autre. C’est une bonne chose, et c’est d’ailleurs la base de la médecine palliative, où on se donne pour but de redonner au malade la vie la plus normale possible, en mettant entre parenthèses, bien obligé, le fait qu’il va mourir.

Un patient entre à l hôpital avec une démence vasculaire, et il en ressort avec les symptômes de Parkinson... mais officiellement il "va mieux". Et il aurait "le bon traitement"... ? Mais de quel point de vue au juste ? Peut être pas celui de la HAS.

Les neuroleptiques sont de maniement délicat. Notamment ils provoquent des syndromes parkinsoniens. La question qui se pose là est celle du rapport bénéfice/risque. J’ai connu des cas où on ne pouvait pas faire autrement. Par exemple si un malade a de tels troubles du comportement qu’il ne peut être géré en maison de retraite, il lui est profitable de voir ses troubles traités ; il peut se faire que le seul moyen d’y arriver soit de lui administrer un neuroleptique. Et si la rançon est l’émergence d’un trouble parkinsonien, alors on peut dire qu’il est mieux pour lui d’être un parkinsonien en maison de retraite qu’un dément agité à la porte de l’institution. Mais quant à dire ce que j’aurais fait pour votre oncle, je n’en sais rien : je ne l’ai pas vu.

Qui camoufle, et quoi dans le fond ???

Là vous entrez dans une tout autre dimension, qui serait de comprendre, disons pour faire vite, à quoi sert l’entreprise sanitaire. La France dépense entre 10 et 11% de ce qu’elle produit pour se soigner, ce qui est de toute manière monstrueux. C’est monstrueux parce que c’est plus que nos voisins, qui pourtant ne se portent pas plus mal. C’est monstrueux parce que cela pèsera sur nos enfants. Mais c’est monstrueux parce que quand on va répétant que la vie n’a pas de prix on croit dire une évidence alors qu’il y aurait à nuancer. Bref je ne suis pas loin de penser que notre obsession de la santé (ou plutôt, d’ailleurs, du soin) procède d’un délire collectif. Pour en revenir au livre d’Olivier Saint Jean, je ne sais pas si on peut réduire la démence de type Alzheimer à « une construction sociale », mais je sais que la manière dont nous abordons ce problème en est une. Et sur ce point, sur ce que vous désignez par votre Qui camoufle, et quoi dans le fond ???, il y a à creuser ; cela nous emmènerait sans doute bien loin de ce à quoi vous pensez ; en particulier on verrait vite que le camouflage est généralisé, et que les patients et leurs proches y ont leur part.

Les médecins ne parlent pas vrai, ni au patient, ni a sa famille...

Après ce que je vous ai expliqué, je ne crois pas que vous mainteniez cette affirmation ; d’ailleurs sur ce point comme sur bien d’autres une généralisation de cette nature ne fait que décrédibiliser le propos. Il est déjà bien suffisant de pointer :
- Qu’il y a (de moins en moins) des médecins qui ne parlent pas vrai parce qu’ils mentent (redisons-le : on se demande dans quel but ils mentiraient à la famille).
- Qu’il y a (beaucoup plus) des médecins qui ne parlent pas vrai parce qu’ils ne connaissent pas la vérité.
- Qu’il y a (encore plus) des médecins qui ne parlent pas vrai parce qu’ils ne savent pas s’y prendre.
- Et qu’il ne faut pas oublier la multitude de cas où ils ont dit une vérité qu’on n’a pas entendue.

J’ai plus confiance en une simple aide-soignante attentionnée qu’à un médecin armé de diplômes et de sa trousse à pharmacie.

Pour ma part je suis très à l’aise sur ce point : j’ai toujours dit que la vie de l’hôpital repose sur les aides-soignantes, j’ai lutté (sans trop de succès) pour qu’on reconnaisse et valorise leur rôle spécifique. Et je suis prêt à vous suivre si vous dites que chez le dément son rôle est plus utile que celui du médecin. Mais nous abordons là un autre sujet, qui est celui de la prise en charge non médicamenteuse de la démence. Je dis pour ma part que cette prise en charge non médicamenteuse est essentielle, bien plus importante que le reste. Mais je dis aussi que j’ai cru qu’on pouvait se passer de prise en charge médicamenteuse, et que j’en suis revenu.

Par ailleurs là non plus il ne faut pas tout mélanger. Ce dont vous parliez plus haut, c’est de la confiance qu’il faut accorder à ce qu’on vous dit. Et si vous demandez à l’aide-soignante les mêmes informations qu’au médecin, vous risquez d’être déçue ; d’ailleurs sa réponse serait de vous renvoyer au médecin, et elle aurait raison.

Bien a vous et a cette profession.

Je serais donc très curieux de savoir ce qui, dans les faits, a motivé votre acrimonie. Si ce sont des erreurs, je ne suis pas surpris, mais les erreurs sont inévitables. Si ce sont des manquements à la communication, je ne suis pas surpris non plus. Ce qui ne me semble pas avoir grand sens, c’est d’en tirer des conclusions générales…

Bien à vous,

M.C.

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