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En réponse à :

> Le tutoiement

, par Michel

Bonsoir.

Je vais essayer de vous répondre au fil de la lecture ; mais votre commentaire est vraiment très riche, et mériterait mieux.

La question du tutoiement ou vouvoiement des résidents d’un futur foyer d’accueil médicalisé pour adultes épileptiques (des gens avec épilepsie pharmaco-résistante, nécessitant un établissement avec présence infirmiere permanente, et des handicaps associés, pour la plupart du handicap mental et/ou troubles du comportement) nous a été posée par la future directrice : elle est directrice d’EHPAD, ou elle impose le vouvoiement des personnes ägées par le personnel, avec des arguments semblables aux vôtres, et elle s’est posé la question pour le futur FAM en visitant d’autres établissements pour adultes épileptiques ou le tutoiement se pratique.

C’est une situation à double tranchant. Car d’un côté il faut évidemment beaucoup de prudence avant de chercher à transposer aux jeunes adultes la problématique qu’on a élaborée pour les personnes âgées. Ce qu’on doit aux personnes âgées c’est le respect absolu de leur dignité et de leurs droits de citoyens : vieillir ne fait rien perdre de ces droits ; de là à dénier la spécificité de l’avance en âge, il y a une marge : pour peu on se demanderait pourquoi il y a une gériatrie. Si nous parlons du tutoiement en gériatrie c’est parce que la manière dont nombre de soignants abordent les personnes âgées est fautive et maltraitante ; l’approche des épileptiques handicapés n’est pas la même. Mais d’un autre côté il est passionnant de voir l’impact sur votre pratique d’un regard neuf, différent, inattendu.

Nous en avons donc débattu au sein de l’assoc EPI à l’origine du projet de FAM, conseil d’administration d’assoc composé de parents d’enfants et de parents d’adultes épileptiques. Discussion fort intéressante à plusieurs titres :
Pour beaucoup le tutoiement était logique, en prolongement naturel de l’établissement pour enfants accueillant actuellement les jeunes. Surpris par la question.
Pas évident de considerer que son enfant grandit et n’est plus un enfant, devient adulte (ça remue beaucoup d’autres choses que la simple question du tutoiement).

Je ne sais pas s’il va de soi que les enfants puissent être tutoyés. Mais cette réaction me fait surtout penser à ce problème qui s’est posé à moi, comme à tous les médecins de famille, je suppose, quand il s’est agi de savoir comment on allait appeler un patient qu’on a connu tout gosse, et qui revient, adulte, après quelques années d’éloignement. Cela montre que nous avons un problème culturel avec le tutoiement, dont les règles sont devenues extrêmement floues. En particulier il ne sert plus à marquer une différence d’âge ou de génération. Nous vivons dans un monde où il existe une tyrannie du tutoiement (et de l’embrassade). Tutoyer, embrasser ne sont pas des actes automatiques, ils se concluent de gré à gré entre deux personnes en fonction de l’évolution de leur relation. Pourtant il devient difficile de tenir cette position de bon sens : ne pas répondre à un tutoiement devient une avanie.

Pas évident d’admettre que les professionnels ne sont pas des "parents-bis" : ça n’est pas parce que les résidents sont tout le temps là (c’est leur domicile), qu’il en est de même pour le personnel (qui fait son boulot puis rentre chez lui) (réaction de parents d’enfants "institutionnalisés" très jeunes).

Oui, je crois que c’est l’essentiel : je m’inquiète, à tort peut-être, de tout ce qui peut laisser entendre que la relation entre le malade et le soignant est symétrique. Car elle ne l’est pas : le soignant, lui, rentre à la maison.

Et avons-nous vraiment envie que les professionnels occupent notre place ? (réaction de parents d’enfants "institutionnalisés" à l’adolescence) Bref, ça nous a aidés, nous-parents, à remuer des questions sur le positionnement du trio résident-professionnels-famille, sur nos enfants handicapés adultes.

Je crois que vous avez trouvé le point le plus important. Les soignants ont toujours, et moi comme les autres, la tentation de se substituer à la famille, d’usurper une place qui n’est pas la leur. Et il faut lutter.

Des questions dans differénts établissements nous ont montré qu’à chaque fois que la question est réfléchie dans un établissement, le vouvoiement est imposé. Les endroits où le tutoiement est réfléchi sont les Arches Jean-Vanier ou il y a un projet totalement différent puisque les accompagnants vivent et résident avec les résidents handicapés, dans un mode de vie communautaire et dans une démarche d’engagement de vie. Sinon, c’est tu ou vous, selon la personne (sur des criteres non exprimés d’âge du résident par rapport a celui du soignant, de dépendance...etc) et les résidents s’adaptent, comme ils s’adaptent a beaucoup de choses d’ailleurs.

Il faut étudier la question du droit d’être tutoyé. On pourrait soutenir que les jeunes dont vous parlez, s’ils étaient dans le monde ordinaire, auraient comme nous le droit de tutoyer qui ils veulent, et d’être tutoyés de qui ils veulent. Certes. Mais ils ne sont pas dans le monde ordinaire, et rien ne peut faire qu’ils y soient. Cela dit il y a sans doute une marge d’appréciation.

Dans un établissement, le personnel du groupe de résidents les tutoie mais le personnel administratif, médical et celui des autres groupes les vouvoie (qu’est-ce qui se passe quand on change de gpe ?).

Cela montre qu’il existe des règles précises. Mais s’il y a des règles précises, alors il faut d’une part dire comment et pourquoi on les a créées, d’autre part se demander pourquoi on ne respecterait pas les règles normales du tutoiement social, qui sont celles que j’ai dites : c’est une démarche de gré à gré.

Dans les CAT le vouvoiement est fréquent, lié à la notion de travail.

Serait-ce à dire que le vouvoiement est le signe d’une reconnaissance sociale ? Etrange image, en effet, qui se donne là.

Dans les foyers, le tutoiement est fréquent lié a l’idée de pseudo milieu familial, laissant supposer que professionnels et residents vivent en collectivité.

Il y a cet aspect. Mais après ce que vous avez découvert plus haut (on ne tutoie pas en CAT), on est tenté de dire que le tutoiement de ceux qui n’ont pas les moyens de travailler est surtout la marque de leur dévalorisation.

Les jeunes adultes interrogés disent bien aimer le tutoiement car il les valorise, il crée de la connivence.

Voilà qui est également essentiel. Le tutoiement valorise, alors que, je le maintiens, il est la marque d’une dévalorisation, parce qu’il tend à scotomiser les inégalités sociales. Les hommes politiques les plus imbus d’eux-mêmes adorent appeler le chaland par son prénom. Et le chaland s’y laisse prendre, et se figure que parce que l’homme politique l’a appelé par son prénom ils sont quasi potes.

Le vouvoiement n’est pas une évidence pour eux. Nous n’avons pas eu l’opportunité d’interroger des adultes handicapés habituellement vouvoyés.
Un faux-fuyant pour ne pas se poser la question : Mais est-ce que la personne handicapée comprendra ? Elle a du mal avec le langage et ne sera pas capable de vouvoyer elle-meme....

C’est là une question, et elle ouvre sur le tutoiement thérapeutique. Il y a des déments qui sont à un niveau de régression psychique où ils vivent des émotions de leur petite enfance ; si vous appelez le vieille dame par son nom d’épouse, elle ne saura pas de qui vous parlez. Et si vous la vouvoyez, elle ne comprendra pas. Mais comme vous dites, cela peut aussi être un faux-fuyant. C’est pourquoi je tiens à ma règle : il y a des tutoiements thérapeutiques. Mais ils doivent être motivés, et discutés en équipe.

Comparerais-je à certains blancs qui parlaient "petit-nègre" aux africains ? Et nous avons fait une recherche sur internet et aupres de membres du GERSE (groupe d’étude et de reflexion de professionnels travaillant avec des personnes handicapées mentales)... voila comment nous sommes arrivés sur votre article. Notre conclusion a finalement été la suivante : Le choix devra être unique pour tous les résidents.

Oui, si c’est un choix de principe. Et je crois que ce principe doit aussi être appliqué aux résidents qui veulent être tutoyés, et qu’il doit l’être par tous les soignants (pour certains personnels, techniques par exemple, il faudrait voir). Cela dit, une fois ce choix de principe respecté, il faut voir des cas particuliers. Mais d’un autre côté si vous optez pour le tutoiement thérapeutique de tel résident, vous aurez du mal à refuser le tutoiement de convenance que souhaite tel autre...

Le vous peut marquer l’entrée dans la vie adulte, instaure la distance entre professionnels et résidents. Dans la vie hors établissement, ces adultes sont vouvoyés par les professionnels (à l’hôpital, dans les magasins) et ils comprennent. ... donc on admet implicitement que le vouvoiement est bon et on laisse la directrice décider. Mais appeler les résidents Mr xxx ou Melle yyy (comme en EHPAD ou c’est une évidence puisque les personnes agées ont l’habitude d’être appelées ainsi) on n’a pas fait le pas, il nous semble équilibré et agréable pour eux de les vouvoyer et de les appeler par leur prénom.

Je ne sais pas. Tutoyer et prénommer ne sont pas des actes si différents. Mais comme vous dites ce peut être un bon équilibre. Je vois bien que dans le service je ne tutoie personne (sauf mon confrère, encore est-ce lui qui en a pris l’initiative), mais que j’appelle tout le monde par son prénom, avec une préférence pour les diminutifs. Et qu’au grand scandale de ma femme, quand j’en parle je parle « des filles ».

Peut être que c’est difficile pour nous parents de dire aux professionels ce qu’ils doivent faire pour que nos enfants deviennent des adultes épanouis...

Non, je ne crois pas que vous le puissiez. Le professionnel est le professionnel, et il connaît son travail. Mais vous, parents, vous êtes les parents, et vous avez des choses à dire. En somme il ne s’agit pas de leur dire ce qu’ils doivent faire, mais de leur dire ce que vous ne souhaitez pas qu’ils fassent. C’est différent, c’est essentiel.

Si vous avez d’autres lectures à nous conseiller, ça pourra nous aider à enrichir la réflexion.

Hélas ! Je suis nul en recherche bibliographique. Mais à voir le retentissement de mon article, il me semble qu’il ne doit pas y avoir beaucoup de littérature sur le sujet...

Votre démarche est passionnante.

Bien à vous,

M.C.

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