Bonsoir, Un autre.
Je crois que nous avons déjà parlé de cela, mais je vois qu’il me faut y revenir.
La première chose à rappeler, c’est que nous décidons, et que nous décidons pour l’autre. Nous décidons de nourrir le malade, et nous décidons de ne pas le nourrir. Et nous le faisons alors que nous ne savons pas ce qu’il en pense, ni si même il en pense quelque chose. Agir est une décision positive, ne pas agir en est une aussi. C’est ainsi, il n’est pas possible de se soustraire à cette obligation de décider pour l’autre.
La seconde chose est que les proches ne décident rien. C’est le médecin qui prend sa décision. La loi lui fait obligation de consulter un certain nombre de personnes, mais ensuite il fait son choix. Parmi ces personnes, il y a les proches, et il me semble évident que l’avis du conjoint l’emporte sur celui des autres. Quand il y a une personne de confiance, son avis l’emporte sur celui des autres intéressés (et dans mes directives anticipées j’ai délibérément désigné des personnes de confiance qui ne sont pas membres de ma famille). Quand il y a un tuteur il est réputé personne de confiance. Mais tous ces avis ne sont que des avis, et le médecin reste maître de sa décision.
La personne de confiance n’est pas le porte-parole de la volonté du malade. Il va de soi qu’elle ne fait que dire ce qu’elle croit que le malade voudrait.
Ce qui aurait pu être discuté dans le cas de Vincent Lambert, c’est le transfert du malade. Mais la réglementation est formelle : l’admission ou la sortie du malade est prononcée par le Directeur de l’établissement. C’est d’ailleurs la seule chose que la Cour d’Appel aurait pu ordonner : elle a dit que l’État devait imposer la poursuite des soins ; saut que l’État n’en avait nullement les moyens : personne ne peut tenir le stylo du médecin. Tout ce qu’il pouvait faire, l’État, c’était imposer le transfert du malade, ou peut-être imposer à l’Agence Régionale de Santé de suspendre le médecin. Ces options n’ont pas été retenues, je n’en sais pas plus. Il va de soi que dans une décision de transfert l’avis des proches aurait dû être recueilli dans les mêmes conditions que pour la décision médicale, mais avec les mêmes limites.
Oui, "sur le plan médical, le seul aspect qui aurait pu être déterminant est la souffrance du malade". Oui, "il est contradictoire d’avancer l’absence de vie neurologique et l’absence de souffrance qui ont conditionné la nature des soins durant plusieurs années, simultanément à la manifestation d’un refus des soins et à la nécessité de prendre une décision définitive". Mais je crois que la réponse est assez simple : il est aventureux de prétendre qu’un malade en état végétatif chronique n’a même plus les moyens de souffrir. Tout ce que nous savons c’est que trois médecins de soins palliatifs successifs sont arrivés à la même conclusion : qu’il fallait cesser l’alimentation et l’hydratation. Il se peut que ce soit là une terrible erreur d’appréciation. Mais nous n’avons pas vu le malade.
Que le malade soit en fin de vie importe peu. Le problème est que parents, épouse, tuteur, médecins, voudraient incarner le malade et que cela n’existe pas.
Pas le moins du monde. Les médecins ont fait leur travail : ils ont évalué et pris leur décision. C’est le job. Ajoutons que tous les professionnels des soins palliatifs sont conscients du risque que vous soulignez de prétendre incarner le malade. Qu’ils parviennent toujours à l’éviter est une autre question.
Il n’y a pas de solution. Ou alors, la seule solution est de trouver une solution collégiale dans des conditions qui excluent la possibilité d’un crime (pénal) collectif : c’est-à-dire une décision collégiale de mort sans contestation d’une des personnes ayant capacité pour agir. Dire que pour une décision de vie, l’avis d’une seule personne l’emporte, mais que pour une décision de mort, l’unanimité est requise.
J’y ai pensé. Une règle du débat éthique est que la décision qui est prise doit pouvoir être appliquée y compris par ceux qui la désapprouvent. La limite est qu’en agissant ainsi on fait l’impasse sur les innombrables situations de deuil pathologique, et on se tient prêt à justifier tous les acharnements thérapeutiques…
Bien à vous,
M.C.