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En réponse à :

Que faire face à l’inconnue

, par Michel

Bonjour, Maxence.

Vous n’y comprenez rien ; les médecins non plus. Je vais vous rassurer : je ne comprends pas davantage.

Ce que vous me décrivez, c’est une histoire que j’ai malheureusement bien connue : celle de ces vieilles personnes qui sont entrées dans le service pour une broutille dont on vient facilement à bout, et qui, de fil en aiguille, sans explication, se mettent à aller de plus en plus mal, jusqu’à, bien souvent, une catastrophe que rien ne permet d’éviter. Ce sont des situations que j’ai toujours très mal vécues.

Autant dire que je suis très mal à l’aise à l’idée de vous répondre. Je vous dis ça parce que je ne suis pas sûr d’être très objectif, compte tenu de tous ces mauvais souvenirs.

En premier lieu je dois noter que nous avons affaire à quelqu’un qui peut être classé dans les très vieilles personnes. Cela ne doit pas nous inciter à la paresse dans le raisonnement, mais nous impose de garder en mémoire qu’à cet âge les situations sont toujours précaires, et qu’un rien suffit à décompenser, souvent très vite.

En second lieu j’ajouterais que l’entourage a toujours tendance à idéaliser un peu les situations. Ici vous écrivez : Ma mamy a 90 ans, et se portait jusqu’à il y a 2 semaines à merveille. Mais… est-ce aussi simple ? Nous savons qu’elle avait fait une chute à la fin de l’année dernière. Certes vous expliquez cette chute par des motifs purement mécaniques : une chaussure mal levée. Malheureusement un peu d’expérience conduit cite à se méfier de ce genre d’explication, car :
- Vous ne me dites pas pourquoi elle avait besoin de telles chaussures.
- Cette explication ne suffit pas : si cela vous était arrivé à vous vous ne seriez pas tombé.
- Enfin, et surtout, la cause en général n’est pas là : dans une grande majorité des cas le patient a fait un malaise. Ce malaise, il l’a oublié parce que beaucoup de malaises entraînent une amnésie fugace ; dès lors quand il s’agit d’expliquer la chute c’est en toute bonne foi que la victime construit une histoire qui en réalité ne correspond en rien à ce qui s’est réellement passé.

Bref, et jusqu’à preuve du contraire nous devons considérer que cette chute est un signe d’alerte. Ajoutons que dans les documents que vous m’avez transmis on lit qu’elle est porteuse d’une prothèse de genou, et qu’elle a eu un passé d’artériopathie suffisamment inquiétante pour nécessiter la pose d’un stent fémoral. Certes c’est banal, et le fait d’avoir une arthrose ne détruit pas la notion de bonne santé générale. À ceci près que si le genou droit porte une prothèse il serait bien étonnant que le gauche soit en parfait état ; de même si l’artériopathie a imposé un stent fémoral on a la quasi certitude que ses coronaires ne sont pas indemnes. Ajoutons qu’elle est hypertendue, qu’elle a une lésion d’une valvule cardiaque (vous écrivez : elle a toujours eu un petit souffle au cœur ; mais dans les documents que vous m’avez transmis, je vois qu’il s’agit d’un rétrécissement aortique. Cela, c’est une tout autre affaire, et cela expose notamment à des syncopes, voire à des morts subites). Enfin elle prend des anticoagulants, ce qu’on ne propose pas de gaieté de cœur à cet âge, surtout chez une patiente qui chute ; il y faut donc de solides raisons, que ce soit l’artériopathie (mais alors elle est grave) ou la pathologie valvulaire (mais ce n’est pas une indication formelle).

De même vous n’êtes pas totalement réaliste quand vous écrivez : Elle vivait seule dans sa maison, montait à l’étage pour se laver et s’habiller chaque jour, préparait ses repas, regardait la télé, et avait énormément de discussion. Car :
- Elle vivait seule, mais avec deux passages infirmiers par jour.
- Elle était autonome pour se toilette, mais cela ne prouve rien, car c’est une aptitude longtemps préservée.
- La préparation des repas se limitait à réchauffer ce que sa fille lui cuisinait.
Etc. Ce n’est certes pas mal du tout, mais on commence à voir s’installer un certain niveau de dépendance.

Nous avons une seconde alerte peu de temps après, avec cette étrange sensation de douleur et de troubles sensitifs de la jambe gauche. Il est bien difficile d’avoir un avis sur ce qui se passait. On peut évidemment évoquer un trouble neurologique, par exemple un « accident ischémique transitoire ». Sous ce vocable on désigne quelque chose de très précis : il s’agit d’authentiques accidents vasculaires cérébraux, mais qui ont la particularité d’être totalement réversibles, comme c’est le cas par exemple lors d’une occlusion intermittente d’une artère cérébrale. Dans un accident ischémique transitoire le médecin ne voit rien : rien sur le malade parce que quand il arrive les signes ont déjà disparu ; et rien à l’imagerie parce que la lésion n’a pas eu le temps de se développer. Si le médecin voit quelque chose, par définition on n’est plus dans l’accident ischémique transitoire. Ce point est souvent mal compris des médecins eux-mêmes, et les définitions sont discutées, mais j’y insiste : la notion même n’a de sens que si on l’interprète comme je viens de le faire.

Le médecin, lui, a plutôt pensé à une infection, probablement cutanée ; je n’en discuterai pas, d’abord parce que je n’y étais pas, ensuite parce que s’il a posé un tel diagnostic c’est qu’il y avait des signes cutanés : on ne peut guère s’y tromper.

Toujours est-il qu’il prescrit des antibiotiques (a-t-il vu quelque chose d’autre ? Cela se peut).

Ces antibiotiques l’ont fort fatiguée : je n’ai jamais compris comment les antibiotiques pourraient fatiguer quelqu’un. Ce que je sais par contre c’est qu’on les donne en cas d’infection, et que les maladies infectieuses, elles, sont bien assez épuisantes pour qu’on n’aille pas chercher une autre explication. Tout au plus peut-on se demande s’ils n’ont pas eu une influence (mais la maladie aussi) sur l’appétit. On note par contre un trouble de parole qui peut avoir une explication neurologique.

Troisième alerte un peu après avec cet épisode de chute avec de troubles visuels. Cela renforce le soupçon qui pèse sur le premier incident : dans celui-ci nous voyons le malaise, qui cette fois a été suffisamment précoce et inquiétant pour que la malade ait le temps de s’en défendre en se laissant glisser au lieu de tomber.

Bref (oh, comme il est facile de prédire le passé…) nous avons le sentiment que quelque chose couvait, à bas bruit, au-dessous des radars.

Elle a été vaccinée contre le Covid 19. Soit. Était-ce le bon moment ? je vous répondrais que je l’aurais probablement vaccinée moi aussi : l’épisode en cours ne justifiait aucune précaution particulière, et en cette matière on est tenté de dire qu’il vaut mieux vacciner les gens avant qu’ils ne tombent malades. Par contre nous lisons que son hypertension n’était pas très stable, ce qui permet de prévoir des malaises, soit par hausse, soit par baisse, de la tension.

Voilà le cadre. Lisons maintenant votre récit.

Quelques jours après ce vaccin, elle s’est réveillée paniquée car elle ne voyait plus très bien, sa vision était trouble mais elle a tout de même réussi à se lever de son lit pour prendre le téléphone et appeler ma maman.

Je n’ai bien entendu aucune pratique de la vaccination contre le Covid. Mais il est très possible que c’en soit un effet secondaire, car tout est possible, surtout à cet âge. Cependant ce sont surtout des troubles visuels, qui se mettent mieux en relation avec ceux qu’elle a présentés antérieurement. Bien entendu l’ophtalmologiste n’a rien vu parce que de son côté il n’y avait rien à voir.

Le quatrième épisode ne se fait pas attendre (on a vraiment l’impression que les choses se précipitent).

Le lendemain matin, ma maman a eu ma mamy au téléphone vers 8h30 et tout allait bien en apparence. Elle s’était préparé son petit déjeuner et était à table à la cuisine. Deux heures plus tard, ma maman a été appelée par le service de secours car ma mamy avait activé le boîtier autour de son cou : elle était en panique car ne se souvenait plus du numéro de ma maman qu’elle faisait pourtant plusieurs fois par jour.

Difficile de se faire une idée. Mais cela peut ressembler à une confusion mentale. Le problème est que dire cela impose de répondre à une foule de questions, tant les causes peuvent être multiples. Tout ce que je peux dire c’est que ce n’est guère surprenant dans le contexte de ces épisodes qui mine de rien dessinent une trajectoire, qu’elle soit ou non neurologique.

Mon frère, kiné, a fait les premiers tests pour vérifier s’il ne s’agissait pas d’un AVC, mais elle réagissait positivement.

Ce qui ne prouve rien : s’il s’agissait d’un accident ischémique transitoire il n’avait aucune chance de voir quoi que ce soit.

Étant donné ce nouvel épisode, nous avons cependant décidé de nous rendre aux urgences, où elle est arrivée en marchant et complètement lucide.

Il n’y avait rien d’autre à faire. Quant à savoir si elle avait retrouvé toute sa lucidité, c’est un pari que je ne ferais pas.

Les nouvelles reçues le lendemain de son admission était plutôt rassurantes : pas de signe d’accident vasculaire cérébral ni d’accident ischémique transitoire. Des examens complémentaires étaient cependant nécessaires.

On a donc fait ce que probablement j’aurais fait. Redisons simplement que pour moi l’expression : pas de signe d’accident ischémique transitoire n’a pas de sens : par définition quand j’examine un patient ayant fait un accident ischémique transitoire il n’y a plus rien à voir ; on a grand tort de s’éloigner de ce principe.

Elle a été placée dans le service gériatrie, sans aucun suivi par rapport à un possible futur d’accident vasculaire cérébral.

Parce qu’il n’y avait aucun suivi envisageable, en dehors de la mise en observation.

Elle a été trimbalée (excusez-moi du terme) d’un service à l’autre pour réaliser toute une série d’examens : thorax, abdomen, genou (dont elle s’est fait opérer il ya 15 ans), ...
Ma maman pouvait aller voir ma mamy une heure par jour, et elle s’est rapidement inquiétée de son état. Ma mamy se plaignait de tous les tests qu’on lui faisait, elle expliquait avoir des anxiétés et expliquait qu’elle criait après ma maman (sa fille) la nuit. Les jours passaient, et son état était de pire en pire.

C’est bien la raison pour laquelle il faut toujours être très inquiet quand on hospitalise une vieille personne. je ne peux pas savoir si le service qui la prenait en charge était parfaitement organisé pour pouvoir réduire le séjour au strict minimum, mais même dans les meilleurs endroits ces évolutions peuvent survenir quoi qu’on fasse pour les éviter. Notons que de surcroît elle a été hospitalisée un week-end.

Ce n’est que le jeudi (5 jours après son admission), qu’un écho doppler a été réalisé ainsi que d’autres examens, et là, finalement, elle aurait tout de même fait un AVC !! AVC ischémique droit.

Là, vous me mettez en difficulté : car sur les documents (il est vrai peu lisibles) que vous m’avez transmis il n’y a rien de tel.

Le samedi, soit une semaine après son admission, ma maman s’est rendue à l’hôpital comme tous les jours et voyant l’état encore pire que la veille de ma mamy (elle dormait dans le noir à 16h30), ma maman a décidé d’elle-même de faire sortir ma mamy et de la ramener à son domicile.

Je ne suis pas sûr que la prolongation du séjour aurait apporté beaucoup plus. Il faudrait savoir comment la confusion mentale (si c’en était une) a évolué, car si on a beaucoup (et, visiblement, bien) travaillé sur le versant neurologique et vasculaire, je ne lis rien sur les autres causes de confusion.

Pour rappel, ma mamy est rentrée en marchant. Quelques jours plus tard, elle sortait en chaise roulante portée par mon papa et mon frère.

Ce n’est pas surprenant : elle est restée au lit une semaine, ce qui est largement suffisant pour créer une perte d’autonomie, le plus souvent réversible si on s’y met rapidement.

Nous avons eu connaissance de la liste des médicaments, et avons constaté qu’elle contenait 3 sédatifs différents.

Cela se produit ; d’un côté la chasse aux sédatifs est malheureusement une activité de tous les jours en gériatrie, de l’autre, et même nous savons bien que la prescription de sédatifs est la dernière chose à faire chez un malade confus, on n’a pas toujours le choix.

La suite est comme elle est d’habitude : désespérante.

Elle est désespérante parce que vous payez le prix auquel expose toute hospitalisation dès qu’elle dure un peu. C’est une course de vitesse entre le bénéfice (un diagnostic, une stratégie) et le risque (la désadaptation). Je n’accuserais pas l’hôpital trop vite : il y a des gens qui travaillent mal, il y en a beaucoup plus qui ont les apparences contre eux alors qu’ils travaillent bien.
Cette dame est en train de vous filer entre les doigts. Et vous êtes démunis parce que vous n’avez pas de diagnostic. La seule hypothèse est celle, loin d’être évidente, d’un accident vasculaire cérébral qui, de surcroît, ne vous donnerait aucune solution. Si vous voulez en sortir, il faut la réhospitaliser dans l’espoir de trouver enfin une explication. Mais cela suppose d’en prendre le risque, dans une conjoncture où les chances d’en trouver une sont très faibles. Je ne sais pas si je le ferais : l’anorexie est là, l’hydratation devient limite, c’est mal engagé.

Je crains qu’elle ne se laisse aller, tout simplement. Si une chose peut inverser la tendance c’est de tenter de lui redonner confiance, en instaurant une kinésithérapie de reverticalisation, dans l’espoir (ténu) de lui montrer qu’elle n’est pas aussi au bout qu’elle ne le croit…

La question de l’EHPAD se pose dans les mêmes termes : soit vous partez du principe qu’il reste du temps, et tout dépend des efforts que vous avez les moyens de consentir sans vous mettre vous mêmes en danger.
- Si vous pensez qu’il y a du temps et que vous pouvez assurer la prise en charge, il faut le faire à domicile.
- Si vous ne pouvez pas, il faut la mettre en EHPAD.
- Si de toute façon les choses sont perdues à court terme, le mieux serait (mais le pouvez-vous ?) de l’accompagner à la maison.

Mais je vous dis tout ça… Je suis confortablement installé dans ma véranda à cinq cents kilomètres de la scène.

Bien à vous,

M.C.

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