L’habilitation familiale

10 | par Michel

Depuis quelque temps la loi (ordonnance n° 2015-1288 du 15 octobre 2015, ratifiée par la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016) propose une alternative à la tutelle appelée habilitation familiale. Il s’agit d’une disposition par laquelle un proche peut assumer des responsabilités habituellement dévolues à un tuteur. Sur le papier c’est une alternative séduisante. Mais que peut-on en penser ?

Lisons les textes. C’est l’article 494 du Code Civil.

Lorsqu’une personne est hors d’état de manifester sa volonté pour l’une des causes prévues à l’article 425, le juge des tutelles peut habiliter une ou plusieurs personnes choisies parmi ses ascendants ou descendants, frères et sœurs ou (…) le conjoint, le partenaire auquel elle est liée par un pacte civil de solidarité ou le concubin à la représenter ou à passer un ou des actes en son nom (…) afin d’assurer la sauvegarde de ses intérêts.

En d’autres termes, les conditions pour procéder à une habilitation familiale sont les mêmes que celles de la tutelle. En particulier l’article 425 stipule que la population ciblée est toute personne dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté. Elle est subordonnée à une expertise médicale, comme pour une mesure de tutelle. D’ailleurs le texte poursuit :

La personne habilitée doit remplir les conditions pour exercer les charges tutélaires.

La seule différence est qu’Elle exerce sa mission à titre gratuit.

L’habilitation familiale ne peut être ordonnée par le juge qu’en cas de nécessité et lorsqu’il ne peut être suffisamment pourvu aux intérêts de la personne par l’application des règles du droit commun de la représentation, de celles relatives aux droits et devoirs respectifs des époux et des règles des régimes matrimoniaux (…) ou par les stipulations du mandat de protection future conclu par l’intéressé.

On retrouve ici les mêmes restrictions que pour la tutelle : l’habilitation familiale ne peut intervenir que quand on ne peut pas faire autrement.

Disons-le tout de suite : ce qui guide le législateur dans tous les textes qui sont produits depuis dix ans c’est un seul objectif : réduire par tous les moyens le coût de la justice des tutelles. Le reste, c’est de l’annonce, de l’affichage. Certes, il était bon de rappeler par exemple que la tutelle ne se justifie que quand elle est absolument nécessaire : ainsi quand la personne à protéger est mariée et que son conjoint est en état de s’en occuper, le mariage comporte un devoir d’assistance qui rendrait intempestive une mesure de tutelle (disposition méconnue qui pourtant figure dans la loi) ; mais la loi serait sûrement moins ardente à limiter le nombre de mesures de tutelle si la raison principale était le respect de la liberté des personnes et non le désir de faire des économies. De la même façon la loi sur les tutelles parle du respect des droits de la personne : elle précise que la personne protégée conserve la liberté de décider de son lieu de résidence. Sauf que c’est une plaisanterie : si la personne sous tutelle était en état de prendre une telle décision elle ne serait pas sous tutelle…

La demande aux fins de désignation d’une personne habilitée peut être présentée au juge par l’une des personnes mentionnées à l’article 494-1 ou par le procureur de la République à la demande de l’une d’elles.

La demande est introduite, instruite et jugée conformément aux règles du code de procédure civile et dans le respect des dispositions des articles 429 et 431.

La personne à l’égard de qui l’habilitation est demandée est entendue ou appelée selon les modalités prévues au premier alinéa de l’article 432. Toutefois, le juge peut, par décision spécialement motivée et sur avis du médecin mentionné à l’article 431, décider qu’il n’y a pas lieu de procéder à son audition si celle-ci est de nature à porter atteinte à sa santé ou si la personne est hors d’état de s’exprimer.

Le juge s’assure de l’adhésion ou, à défaut, de l’absence d’opposition légitime à la mesure d’habilitation et au choix de la personne habilitée des proches mentionnés à l’article 494-1 qui entretiennent des liens étroits et stables avec la personne ou qui manifestent de l’intérêt à son égard et dont il connaît l’existence au moment où il statue.

Le juge statue sur le choix de la personne habilitée et l’étendue de l’habilitation en s’assurant que le dispositif projeté est conforme aux intérêts patrimoniaux et, le cas échéant, personnels de l’intéressé.

Ceci recopie ce qui est prévu pour la tutelle. La seule curiosité est probablement que le Procureur peut demander une mesure d’habilitation ; on se demande dans quelles circonstances il pourrait décider de le faire : l’habilitation familiale ne se conçoit que dans des familles très unies, et dans ce cas ce sont ces familles qui feront la demande.

L’habilitation peut porter sur :
– un ou plusieurs des actes que le tuteur a le pouvoir d’accomplir, seul ou avec une autorisation, sur les biens de l’intéressé ;
– un ou plusieurs actes relatifs à la personne à protéger. Dans ce cas, l’habilitation s’exerce dans le respect des dispositions des articles 457-1 à 459-2 du code civil
.

On continue de recopier les dispositions relatives à la tutelle, avec la même volonté de préciser la question de la protection des biens ou de la personne.

Suivent quelques précisions sur les limites de l’habilitation :

La personne habilitée ne peut accomplir un acte de disposition à titre gratuit qu’avec l’autorisation du juge des tutelles.
Si l’intérêt de la personne à protéger l’implique, le juge peut délivrer une habilitation générale portant sur l’ensemble des actes ou l’une des deux catégories d’actes mentionnés aux deuxième et troisième alinéas.
La personne habilitée dans le cadre d’une habilitation générale ne peut accomplir un acte pour lequel elle serait en opposition d’intérêts avec la personne protégée. Toutefois, à titre exceptionnel et lorsque l’intérêt de celle-ci l’impose, le juge peut autoriser la personne habilitée à accomplir cet acte
.

Tout de même, par rapport à une mesure de tutelle on a l’impression que l’étendue de l’habilitation est en principe limitée à des situations précises : par exemple procéder à la vente d’une maison en cas d’habilitation aux biens, à une intervention chirurgicale en cas d’habilitation à la personne. L’habilitation générale n’est pas présentée comme la règle ; reste à savoir ce que les Juges en feront.

En cas d’habilitation générale, le juge fixe une durée au dispositif sans que celle-ci puisse excéder dix ans. Statuant sur requête de l’une des personnes mentionnées à l’article 494-1 ou du procureur de la République saisi à la demande de l’une d’elles, il peut renouveler l’habilitation lorsque les conditions prévues aux articles 431 et 494-5 sont remplies. (…)

La personne habilitée peut, sauf décision contraire du juge, procéder sans autorisation aux actes mentionnés au premier alinéa de l’article 427.

Il y a là une différence avec la tutelle : l’article 427 alinéa 1 mentionne en effet : La personne chargée de la mesure de protection ne peut procéder ni à la modification des comptes ou livrets ouverts au nom de la personne protégée, ni à l’ouverture d’un autre compte ou livret auprès d’un établissement habilité à recevoir des fonds du public. Cette interdiction ne s’applique pas en cas d’habilitation. J’aimerais toutefois avoir une précision sur ce point : car si l’habilitation n’est pas générale, alors elle est expressément limitée à certains actes…

La personne à l’égard de qui l’habilitation a été délivrée conserve l’exercice de ses droits autres que ceux dont l’exercice a été confié à la personne habilitée en application de la présente section.

Autre différence intéressante : on sait que la tutelle « réduit la personne protégée à l’état de mineur ». Ici la personne bénéficiant d’une mesure d’habilitation conserve, par exemple, son droit de vote. Reste à savoir comment cette disposition sera appliquée en cas d’habilitation générale à la personne (don d’organes, mariage…).

(…)

La suite n’a qu’un intérêt technique.

En somme la grande différence entre l’habilitation et la tutelle, c’est qu’une fois l’habilitation décidée le Juge n’intervient plus, sauf en cas de difficulté.

Est-ce un avantage ? Je n’en suis pas sûr.

Évidemment, de ce seul fait l’habilitation familiale est une mesure plus commode que la tutelle. D’autre part elle élimine complètement le risque de voir désigner un tuteur extérieur, ce qui constitue une crainte récurrente des familles. Enfin elle est plus respectueuse des droits de la personne en tant que citoyen.

Mais chacun de ces avantages entraîne des inconvénients importants.

Le premier est que le Juge n’intervient plus ; et que s’il ne le fait pas ce n’est nullement pour un meilleur respect de la liberté des personnes, c’est uniquement pour réduire les coûts. Cette réduction n’est pas en soi illégitime, et on connaît bien des situations où on est tenté de se dire que les choses sont suffisamment claires et simples pour rendre ridicule le recours à la Justice. Mais il ne faudrait pas perdre de vue trop vite que le contrôle du Juge est avant tout une sécurité pour la personne qui est chargée des intérêts du malade, car l’obligation de valider les comptes de tutelle rend ceux-ci pratiquement inattaquable par les autres personnes intéressées. C’est cette sécurité qui se perd en ca d’habilitation familiale. Il résulte de cela que la condition absolue pour procéder à une telle mesure est que la famille s’entende parfaitement. Encore faudra-t-il en juger avec une extrême prudence, tant il est banal de voir les familles les plus unies se déchirer à l’ouverture du testament. Et il importe de comprendre pourquoi. Certes nous avons tous vu de ces charognards qui n’en ont qu’après l’argent de la vieille mais… c’est beaucoup plus rare qu’on ne le croit ; il ne faut pas méconnaître que l’argent est aussi un langage, et que le plus souvent ce qui s’exprime de manière apparemment sordide dans des comptes ridicules a plus à voir avec le chagrin du deuil qu’avec l’intérêt. L’intérêt du regard du Juge est alors de couper court à des comportements qui sont des impasses.

Le second, c’est que la crainte d’un tuteur extérieur est doublement exagérée. Elle est exagérée parce que dès à présent la loi sur les tutelles impose au Juge de rechercher préférentiellement un tuteur dans la famille ; et plutôt que de créer cette nouvelle disposition de l’habilitation familiale il aurait mieux valu que cette obligation de rechercher un tuteur dans la famille soit respectée un peu plus scrupuleusement. Mais elle est exagérée aussi parce que contrairement aux rumeurs et aux bruits qui courent, les tuteurs professionnels sont dans leur écrasante majorité des gens honnêtes et consciencieux, qui font remarquablement leur travail ; le recours à un tuteur extérieur est là aussi un excellent moyen d’éviter les conflits dans la famille.

Quant au meilleur respect des droits citoyens de la personne, j’ai dit plus haut ce que j’en pensais, mais je veux bien le reprendre : à qui va-t-on faire croire, par exemple, que la personne qu’on a dû faire entrer en institution parce qu’elle ne sait plus vivre chez elle va se trouver en mesure d’exercer son droit de vote ? Et quand on insiste pour qu’elle puisse se livrer à ce faux-semblant, quel mépris montre-t-on de la démocratie, et quel mépris montre-t-on de la personne elle-même ?

Je serais donc très prudent sur cette affaire d’habilitation familiale.