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En réponse à :

L’ADMD et le ridicule

, par Michel

Merci de cette réponse, Xav.

La commenter va nous conduire très loin, et je ne crois pas en avoir totalement les moyens, tant vos questions sont centrales.

(Vous) "Le mot pathologique est finalement une invention humaine, au fond."

(Moi) Je le crois. Mais il faut voir toutes les implications de cette remarque.

Ce qui est une invention humaine, c’est la notion de bien et de mal.

Le bien et le mal n’existent pas dans la nature : le tremblement de terre n’a que faire du bien et du mal. C’est l’homme qui dit qu’il y a un bien et un mal. Et j’ajouterais : il est là pour ça. C’est parce que l’homme est l’animal qui sait, c’est parce qu’il assiste à sa propre vie qu’il pose qu’il y a un bien et un mal. Et alors nous avons deux difficultés.

- La première est qu’il faut décider s’il y a malgré tout un bien et un mal en soi, ou si c’est une notion purement relative. Je crois, mais je suis un peu trop court sur ce point, que cette question est celle qui faisait débat entre Platon et les sophistes, avec cette difficulté supplémentaire que l’essentiel de nos connaissances sur les sophistes nous vient de Platon, ce qui est toujours un peu dangereux. D’un côté il y a ceux qui posent, avec Platon, qu’il existe un bien en soi, c’est-à-dire des principes ; de l’autre il y a ceux qui disent avec Protagoras : "L’homme est la mesure de toute chose". Or, et bien que, comme je l’ai dit, le bien et le mal soient des catégories purement humaines, il n’est pas si simple de dire qu’il n’y a pas de principes. Je crois que nous ne nous en sortirons (s’il y a une issue, ce qui n’est pas évident) qu’en posant à nouveaux frais ce débat entre sophistes et platoniciens.

- La seconde est qu’il y a sans doute un lien très fort entre la notion de bien et de mal et la notion de progrès : l’homme est l’animal qui sait, et parce qu’il est l’animal qui sait il est aussi celui qui se révolte. Je crois que la notion de progrès est à reconsidérer ; je crois que de ce point de vue la crise actuelle est l’une des dernières chances de l’humanité. Reste qu’on ne peut se débarrasser du problème en niant qu’il y ait un bien et un mal, parce que si on le fait on risque de ne plus savoir penser le progrès, et que les excès de ce progrès ne l’empêchent pas d’être... un bien en soi.

(Vous) Parler de cas "pathologiques", c’est une façon de résoudre à peu de frais les erreurs de la société qui délaisse les pauvres, favorise la réussite des meilleurs, etc : il se suicide, boh il est dans la merde mais c’est pas la cause, il est juste un cas pathologique ;-)

(Moi) Je vous suis presque totalement. Car là aussi, la médecine apporte du bien ; et qu’elle est fondée sur l’idée qu’il y a du pathologique, c’est-à-dire un mal en soi. Les abus, on les voit. Le paradigme absolu en est sans doute la schizophrénie asymptomatique, cette terrible maladie découverte par les psychiatres soviétiques, maladie d’autant plus redoutable que le malade la dénie complètement, et dont les seules manifestations sont le comportement antisocial et la contestation de l’autorité (mais je crois qu’elle a à peu près disparu, d’ailleurs elle n’existait qu’en URSS).

"(Moi) Ce droit ne va pas de soi. Philosophiquement on peut soutenir que l’homme est un animal social, et qu’il n’est pas aussi libre qu’il le croit de disposer de sa vie. J’ai des comptes à rendre à qui m’entoure. C’est ma position personnelle, mais je comprends qu’on en ait une autre (je demande simplement si on ne commence pas à en avoir marre des dégâts de l’individualisme).

( Vous) c’est je crois le seul point de désaccord, car je comprends votre point de vue, mais je suis plus pessimiste. L’être humain a-t-il des comptes à rendre ? je n’en sais rien. Ca me semble procéder d’une réflexion "chrétienne" qui favorise le don de soi, l’altruisme."

(Moi) Il ne vous a pas échappé que je suis très influencé par le christianisme.

Mais je ne crois absolument pas à cette "réflexion chrétienne". Et je vous conteste sur ce point parce que c’est un argument très souvent entendu. On en a beaucoup trop après le "judéo-christianisme", et notamment son déni du plaisir et son manichéisme supposé. Rapidement (trop rapidement) je dirais que c’est surtout une notion hellénistique (et il faut faire la part de ce qui dans le christianisme vient des Juifs et ce qui vient des Grecs). Or il suffit de lire Le Banquet pour voir à quel point Socrate magnifie le plaisir ; et il suffit de lire La République pour voir à quel point Socrate est nuancé sur le bien et le mal, lui qui soutient que le méchant n’est méchant que par ignorance. Il y a là à à creuser et à redéfinir ; reste qu’on peut à la fois poser le bien et le mal en soi comme il le fait et ne pas sombrer dans le manichéisme.

Mais il y a plus encore : c’est que la responsabilité de l’homme vis-à-vis de l’homme et de la nature, la nécessité de rendre des comptes, tout cela n’est absolument pas une notion chrétienne : c’est la base commune de toutes les spiritualités. Le Bouddha ne disait pas autre chose, les religions les plus archaïques ne vivent que du lien entre l’homme et le reste de la nature. Rejeter cela c’est rejeter toute spiritualité. Et à cela je ne suis pas prêt. Je crois plutôt que si nous décidions un monde dépourvu de toute spiritualité, nous le l’aimerions pas longtemps.

J’arrête : les philosophes de métier vont me tomber dessus.

Bien à vous,

M.C.

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