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En réponse à :

La souffrance en fin de vie

, par Michel

Bonjour, Catherine.

Je ne peux guère vous répondre. La question que vous posez est, peut-être, la seule qui vaille. Car vous pointez une contradiction qui me travaille beaucoup, comme me travaille au moins autant le fait que personne n’en parle. En effet comment peut-on dire en logique que le malade est trop inconscient pour ressentir les inconforts et suffisamment conscient pour rester sensible à son environnement ? C’est pourtant sur ce postulat à la limite de l’absurde que repose tout ce que nous faisons pendant l’agonie du patient.

Le problème, c’est que cette contradiction se heurte aux faits.

Nous avons beaucoup de raisons physiologiques pour penser que le malade ne perçoit pas le râle agonique : nous en avons d’excellents modèles expérimentaux, nous savons parfaitement que ce râle ne s’observe que dans des situations de coma déjà assez profond, nous voyons bien que le mécanisme du râle n’empêcherait en aucun cas un malade, même très faible, de déglutir ce qui le gêne. Il n’est donc pas scientifiquement acceptable de penser qu’il n’est pas dans le coma.

Et cependant nous avons trop de témoignages qui, comme le vôtre, font penser que jusqu’au dernier instant, quelque chose persiste dans la relation.

Comment se tirer d’affaire ? Il y a une solution logique, qui est de dire que tout cela n’est qu’apparence, et que ce que nous observons à l’extrême fin de vie n’est que le fruit du hasard et d’une illusion dont nous avons trop besoin car c’est elle, et elle seulement, qui donne sens à ce que nous faisons, et que nous ne saurions vivre si ce sens venait à disparaître. Cela se peut, mais aucun de nous ne se résigne à l’admettre.

Il y a une autre solution, qui est de dire que cette extrême fin de vie nous échappe totalement, que c’est même sa fonction puisque celui qui meurt est précisément en train de nous échapper. Contrairement aux apparences cette solution est aussi logique que la première, car le mourir est un lieu où il n’y a guère de raison de penser que la logique puisse s’appliquer. Ce n’est ni le moment ni l’endroit ici de poser le problème de l’origine de la logique, mais je rappelle simplement que la logique est le fruit de l’esprit humain, et qu’à ma connaissance le problème de la logique du monde reste entier : est-ce que nous croyons que le monde est logique parce que nous le pensons avec un cerveau logique, ou est-ce qu’il y a une merveilleuse coïncidence qui fait que la manière dont l’esprit humain est capable de penser correspond précisément à la manière dont il fonctionne ?

Remarquons que dans l’un et l’autre cas nous sommes pratiquement acculés à ouvrir le champ du spirituel : si le monde n’est pas logique mais que c’est nous qui en avons l’illusion, alors le fin mot du monde est à chercher ailleurs ; et si notre esprit est miraculeusement apte à penser le monde, alors on retombe sur quelque chose qui s’apparente fâcheusement à la preuve ontologique de l’existence de Dieu : le plus raisonnable est de penser que c’est quelqu’un qui est responsable de cette coïncidence.

Pour ma part je ne vais pas plus loin : je constate la contradiction, je constate qu’on n’en parle pas parce que le silence nous arrange, mais je constate aussi que si on en parle on se trouve rapidement au point où j’en suis. Je me borne donc à penser, ou à croire, que ce qui se passe durant l’agonie nous échappe, et que la seule chose à faire est, comme vous l’avez fait, de rester près de celui qui part, en gardant au cœur qu’il n’y a pas d’autre position digne de l’humain.

Bien à vous,

M.C.

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