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En réponse à :

La souffrance en fin de vie

, par Michel

Bonsoir, Brigitte.

Il va être très difficile de vous donner une réponse à la fois juste et entendable. Mais il faut bien essayer. Et essayer en sachant que je n’ai pas vu la situation dont vous me parlez ; or vous pensez bien que si on pouvait faire ces choses-là à distance, c’est qu’elles seraient simples ; et si elles étaient simples nous ne serions pas en train d’en parler.

Vous dites : Souffrance vécue par ma mamie Vous verrez que c’est là toute la difficulté : il est évident que cette situation fait souffrir ; mais ce que nous savons le plus c’est qu’elle vous fait souffrir. C’est pourquoi il va être très compliqué de faire la part des choses entre la souffrance que vous éprouvez, et pour de très nombreuses raisons, la principale étant que vous êtes en train de perdre un être que vous aimez beaucoup ; la souffrance dont vous pensez, et il y a des raisons pour cela, que la malade éprouve ; et la souffrance qu’elle éprouve réellement. Or tout est trompeur.

en ce moment elle dort toute la journée

Si elle dort, cela nous donne une indication : il est peu probable (mais je dis bien : il est peu probable) qu’elle soit en proie à des inconforts majeurs : d’ordinaire ces douleurs et inconforts entravent le sommeil. Et quand on se dit que malgré tout on peut avoir un sommeil inconfortable, c’est à la fois vrai et faux : tous les anesthésistes savent que quand le malade a mal, il est plus difficile de l’endormir, et que quand il dort il tend à consommer moins d’antalgiques.

et pourtant les infirmières de temps en temps la réveillent

Ici nous entrons dans la technique : il peut y avoir des raisons précises de réveiller un malade en fin de vie ; mais je ne peux rien en savoir. La question en tout cas est : quelles sont les raisons de l’équipe pour la réveiller ? Quels sont les soins indispensables ? Les soins visent-ils à prolonger sa vie, ou simplement à améliorer son confort ? S’il s’agit de prolonger sa vie, comment a-t-on décidé cette stratégie ? Y avez-vous été associés ? Que vous a-t-on dit ?

elle a tout le temps son masque a oxygène

La question de l’oxygène est très délicate : il est des cas où c’est un élément de confort, mais c’est assez rare. Souvent on peut assurer ce confort avec de petites doses de morphine, qui permettent au sujet d’oublier qu’il respire mal ; mais cela suppose de très bien connaître le produit (et le malade), et cela peut être irréalisable à domicile.

elle doit encore avaler certains cachets écrasés

Même remarque que plus haut : si ces comprimés visent à améliorer son confort, alors il faut bien en passer par là.

elle a beaucoup de soubresauts et gémit je pense qu’elle souffre

Là, nous ne pouvons pas le dire. C’est pourquoi il existe des méthodes très précises et très techniques pour évaluer l’inconfort du malade qui ne parle plus. Les secousses musculaires ont de nombreuses origines (notamment, mais pas seulement, la morphine), et c’est rarement qu’elles traduisent une souffrance. Et en soi elles ne sont pas une grande source d’inconfort. Le problème est qu’elles sont spectaculaires et qu’il est difficile de garder son calme devant ce spectacle.

car son corps n’est plus que douleur dès qu’on la touche

Cela se produit : il y a notamment des douleurs neurologiques qui se produisent au frôlement. Par ailleurs il peut y avoir des douleurs articulaires qui se manifestent quand on mobilise le malade. Mais cela il faut en faire le diagnostic médical, et dire où et pourquoi elle a mal. En fait le plus souvent le malade gémit parce qu’il ne veut pas être dérangé, et qu’il a peur qu’on le mobilise ; certes il peut avoir peur parce qu’il sait qu’on va lui faire mal, mais il faut se retirer de l’esprit que c’est la morphine qui va calmer cela. Souvent on s’en sort tout simplement en le laissant tranquille.

ils ne veulent pas la perfuser car eau dans le ventre

Et cela ne servirait absolument à rien. C’est plutôt un argument pour penser que les soignants qui s’occupent d’elle raisonnent correctement : en fin de vie on voit bien plus de perfusions inutiles que de perfusions oubliées.

son cœur ne tient qu’a 1 fil mais il tient

Je ne sais pas de quoi elle meurt, mais très souvent le cœur en effet n’est absolument pas en cause.

j’ai mal de la voir comme ça

Voilà : toute la question est là : quels sont les moyens que l’équipe s’est donnés pour évaluer son inconfort ? C’est un travail très précis, très technique, et qui nécessite à la fois de ressentir les choses comme vous les ressentez, et de rester très objectif, très scientifique, car les pièges sont nombreux. J’ai souvent dit : "Je n’ai jamais perdu ma mère, et c’est pourquoi vous savez sur cette situation des choses que je ne sais pas. Mais j’ai vu tant de gens perdre leur mère que je sais sur cette situation des choses que vous ne savez pas". Et il faut arriver à se mettre d’accord. C’est très difficile.

on est plus humain avec les animaux qui souffrent

Je n’en suis pas sûr : on ne sait que les tuer. Ici nous avons autre chose à faire, qui est d’assurer son confort. Contrairement aux apparences il se peut que ce soit le cas. Si ce n’est pas le cas, il existe des moyens assez simples de lui permettre d’être paisible.

l’infirmière nous a dit hier de lui dire au revoir et de ramener ses habits

Elle pense donc que le décès est imminent. Ce ne serait certainement pas une raison pour penser que le confort n’a pas d’importance ; mais je vous l’ai dit : qu’en est-il exactement de son confort ? Je ne peux rien en savoir.

ses 2 filles sont restées toute la nuit car elle ne veut pas partir seule

Ce que vous venez d’écrire, c’est qu’elle désire encore des choses, et qu’elle est sensible à son environnement. C’est parce qu’elle a cette sensibilité, c’est parce qu’elle communique encore, même si peu, que nous ne nous donnons pas le droit de lui couper cette communication : ce que je crois que je pourrais vouloir (mais je n’en sais rien) pour moi ne doit pas guider ce que je veux pour l’autre, car l’autre n’est pas moi. Ce n’est pas la vie que je respecte, c’est la vie de l’autre.

mais elle tient bon

Alors il nous faut bien nous demander si elle n’a pas ses raisons : on en voit tant qui, au contraire, décident de lâcher prise ! On voit tant de personnes âgées qui décident que le moment est venu, alors même que, nous, nous pensons qu’il y a encore des solutions, et qui tout simplement s’arrêtent de manger. Et rien n’y fait. Quelles sont ses raisons ? Nous n’en savons rien, et moi encore moins que les autres. Mais il faut en tenir compte : c’est sa vie, non la mienne.

le moindre effort lui coûte

Oui, et il faut certainement faire en sorte qu’elle ait le moins possible d’efforts à faire.

pourquoi n’abrège-t-on pas les souffrance

Je ne peux pas vous répondre, il faudrait y être. Tout ce que je sais c’est que les moyens existent. Et que si l’équipe, ayant correctement évalué les inconforts, décide qu’il n’est pas utile d’en faire plus, c’est qu’elle a ses raisons. Elle doit pouvoir vous l’expliquer.

c’est horrible de vivre cela

Oui, c’est horrible. Mais comment faire la part de ce qui est horrible dans ce que vous vivez et dans ce qu’elle vit ?

Je pense à vous.

Bien à vous,

M.C.

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