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En réponse à :

Le Président, le dément et la dignité

, par Michel

Bonsoir, et merci de votre messge.

Vous avez raison, il nous faut prendre le temps. Tout ce que je dirais, c’est que si, dans les faits euthanasie et suicide assisté ont les mêmes origines au sens où ce sont deux questions qui sont posées en même temps et par les mêmes personnes, elles ne m’en semblent pas moins radicalement différentes, leur seul lien étant un contresens identique sur la question de la dignité.

Vous demandez ce qui resterait de ma conception de la « dignité absolue « si je perdais ma foi. Je ne sais pas, bien sûr. Mais cela est-il réellement important ? La question est de savoir si oui ou non il existe pour l’homme une dignité absolue. Ensuite seulement, si cette dignité absolue existe, il faut dire sur quoi on la fonde. En ce qui me concerne elle est fondée sur le désir de Dieu : le mythe du premier récit de la Genèse en fournit une très bonne approche. Mais il n’y a pas que les êtres de religion pour prétendre que la dignité absolue existe. Et cette prétention, ils la fondent bien sur quelque chose. Si donc je perdais le peu de foi qui m’a été attribué, ou bien je renoncerais à la notion de dignité absolue, ou bien je la fonderais sur autre chose…

Du coup, quand vous dites qu’on peut fonder la notion de « dignité absolue » sur autre chose qu’une transcendance, je ne suis pas sûr. L’homme en est venu à se penser comme digne absolument. Je crois, mais ce n’est que mon affaire, que cette pensée lui vient de Dieu (soit dit en passant, j’en suis venu me dire que l’argument ontologique est plus coriace que je ne l’a longtemps cru). Mais il importe peu dans notre débat de savoir comment cette pensée lui est venue. Par contre je crois lire que vous pouvez tout juste « convenir d’une certaine forme "inaliénable" de la "dignité humaine" » ; autant dire que vous doutez de la pertinence de cette notion (ne croyez surtout pas que cela me choque : on se trouve face à des débats similaires quand il s’agit de savoir dans quelle mesure l’homme est face à la nature et dans quelle mesure il est dedans). Mais ce qui est le plus éclairant c’est que vous faites de cette position une conséquence de votre athéisme. Je ne vais pas jusque là : ma foi en la dignité de l’homme est une conséquence obligée de ma foi tout court ; mais elle pourrait fort bien être corollaire d’autre chose.

Vous dites : Sinon, si - dans cette expérience de pensée imaginaire où vous ne seriez plus adepte d’un "absolu divin", vous conserviez malgré tout cette exigence d’"absolu de la dignité humaine", nous pouvons alors chercher en commun à quels types d’autres références soit juridiques au sens positif, soit morales au sens philosophique "humaniste" nous nous référons quand nous parlons de "dignité humaine inaliénable".

J’allais vous le proposer. Mais confirmez moi d’aborde qu’au paragraphe précédent je me suis trompé, et qu’en réalité vous croyez à cette dignité humaine inaliénable. Alors nous en chercherons ensemble les fondements, ce qui répondra à la question que vous me posiez plus haut.

Du coup, quand vous écrivez : ce n’est pas l’origine culturelle historique qui confère de la "valeur juridique", mais le simple fait que les instances politiques et juridiques des "parties signataires" y souscrivent. je vous suis tout à fait. Je dirais tout de même, mais il s’agit là d’une pure malice de ma part, que tout cela ne nous dit quand même pas sur quoi les rédacteurs de cette Déclaration se sont fondés pour édicter ces principes qui désormais s’imposent. Si on essayait de le découvrir on en viendrait vite à se dire que la filiation… Mais laissons cela : je voulais juste prendre ce point en otage en prévision du moment où vous me demanderez pourquoi diable j’a besoin du bon Dieu.

Mais quand vous écrivez : tous ceux qui parlent de situations plus ou moins "dignes", (…) ne remettent nullement en cause, au contraire, l’"éminente dignité de la personne humaine", je dois répondre que c’est pourtant bien là que je cale.

Si j’ai écrit l’article qui nous vaut cette joute, c’est bien parce que les propos du Président sur la démence me semblent ouvrir sur un sacré flou. Et que ce flou, on y est très vite. C’est bien parce que ma pratique des soins palliatifs m’a amené bien des fois à entendre des demandes d’euthanasie posées par les familles et que je n’avais pour traduire ces demandes que des mots renvoyaient à une terrible relativisation de cette notion de dignité.

Je ne vais pas, pas moi, vous brandir l’exemple des eugénistes allemands. Mais il est important de se rappeler cette histoire quand on s’aperçoit que le flou dans lequel nage le propos présidentiel présente des similitudes de mots et de phrases avec ceux de Binding et Hoche. Rappelons d’ailleurs que les eugénistes allemands des années 20 étaient d’authentiques hommes de gauche, dont la générosité et la bonne foi ne sont pas à suspecter, et qui fondaient leur projet sur la dignité humaine. Ce n’est pas parce que tel ou tel de mes ennemis a pris la Nationale 20 que je dois m’abstenir d’y rouler. Mais si je le fais je me condamne à dire pourquoi.

Vous demandez pourquoi je veux restreindre le sens du mot « dignité » à une seule acception. La polysémie des mots ne me dérange pas. Je trouve même que c’est ce qui fait la richesse d’une langue. Il est seulement des zones où je m’en méfie : celles où le contresens serait un luxe dont nous n’avons pas les moyens.

Vous : Alors je vous demande - puisque vous vous référez aux usages chrétiens de la notion de "dignité" - comment vous allez traduire une expression que vous connaissez bien sans doute :
"Seigneur, je ne suis pas DIGNE de vous recevoir, mais dites seulement une parole et je serai guéri"
(…)

J’adore cette discussion. Et moi qui rêve de consacrer un site à mes élucubrations religieuses…

Trois choses sur cette citation :
- Quand le christianisme pose que tout homme est par nature revêtu de la dignitas, il pose l’égalité entre tous les humains. Entre l’homme et Dieu c’est une autre paire de manches.
- Cette formule est recopiée d’un passage de l’évangile de saint Matthieu où l’homme qui est censé parler est un centurion romain (on suppose qu’il y avait une version sous-titrée) ; l’histoire est belle et elle situe assez bien la relation du pécheur à son Dieu ; la traduction en latin est une autre affaire, et il aurait mieux valu : « Je ne mérite pas ». Mais surtout à la date de rédaction de ce texte la théologie de la dignitas n’en était pas là.
- Le mot grec qui est traduit par digne est ikanos, qui signifie quelque chose comme « être compétent », ou « avoir les moyens ». Le centurion se considère comme n’étant pas revêtu de la dignitas ; soit dit en passant, c’est une formule de politesse courante à l’époque et encore de nos jours.

Allez, je plaisante : tout cela n’empêcherait pas que les mots sont ce qu’ils sont, et que je récite pieusement cette phrase tous les dimanches que Dieu fait. C’est à cause de mon premier argument.

Il me semble par contre que dans la Bible, que je connais un peu mieux que la moyenne des chrétiens, je ne vois pas un seul texte qui puisse être invoqué dans le sens que vous indiquez. J’ajoute que je serais bien en peine de trouver, hors le texte du centurion et ses parallèles dans les autres évangiles, un seul passage où on parle de dignité. Historiquement c’est normal. A part quoi il est évident que parler à Dieu, c’est autre chose. Mais ce n’est pas cela au fond. On a bien le droit d’utiliser les mots qu’on veut. Simplement :

Vous : Cette longue parenthèse était simplement là pour rappeler que nous ne devons pas prendre la lettre pour l’esprit !

Sauf que dans le cas d’espèce, celui de l’euthanasie, tout repose sur la confusion entre les deux sens du mot. Je vous le redis : vous avez raison, ces deux sens existent. Le problème c’est qu’on les mélange, et que le risque est majeur. Dans ce mélange le concept de dignité relative ne risque rien ; celui de dignité absolue, en revanche, n’y résiste pas : si on essayait de faire coexister les deux, la dignité relative en deviendrait un peu moins relative ; la dignité absolue ne serait plus absolue du tout. Et c’est bien parce que je vois ce mécanisme déjà à l’œuvre que je lutte : s’il n’y avait pas cela...

Vous : Lorsque vous rappelez la contribution historique du christianisme à une certaine idée de l’universalité des "droits de l’homme", ce n’est bien évidemment pas pour moi une "justification", et l’essentiel des concepts modernes des droits de l’homme me semble même plutôt en rupture notamment avec une certaine conception de la "transcendance" de la loi morale ou du droit, précisément à cause de la "sécularisation" progressive des références du droit.

Dans un mail complémentaire, vous faites référence au « Désenchantement du monde » ; sans doute en reparlerons-nous. Mais dès à présent je vous dirai que je tiens cet ouvrage comme le livre le plus important que j’aie lu ces dix dernières années. Je ne suis pas sûr que Marcel Gauchet, précisément, irait aussi vite que vous. Mais laissons cela, qui nous mènerait trop loin de notre sujet. Comme je vous l’ai dit la question vraiment importante est de savoir si nous posons cette dignité absolue, et non de savoir sur quoi nous la fondons.

Vous : (…) c’est bien l’homme comme "esprit libre" que je propose de placer à l’origine même de sa propre justification "morale" ; de ce point de vue donc, comme "législateur moral", comme exactement "équivalent" à la "prérogative" que vous accordez à "Dieu".

Il me semble qu’on s’approche ici de la thèse de Protagoras : l’homme est la mesure de toute chose. En ce qui me concerne je flaire que nous sous-évaluons les sophistes, notamment parce que nous ne les connaissons guère que par leurs ennemis, ce qui est toujours gênant. On oublie d’ailleurs un peu vite que c’est à eux que nous devons la démocratie… Reste que si le costard taillé par Platon est un tout petit peu injuste la pensée sophistique n’est pas sans poser problème. Mais il se peut aussi que je ne vous aie pas compris.

Vous : Il ne s’agit pas ici évidemment de prétendre mettre l’homme", comme espèce biologique particulière, " à la place de Dieu", même du "Dieu moral".

Et justement, la thèse de Protagoras me semble aboutir exactement à cette prétention. Mais ce n’est qu’une intuition, que je n’ai pas les moyens de vérifier.

Vous : Mais c’est désormais l’"esprit de liberté humain" (ou de quelque espèce terrestre ou extraterrestre capable de se penser comme "libre"), qui s’"autorise" lui-même, en tant qu’"égale liberté universalisable" de toutes les êtres conscients de leur propre liberté possible, à être désormais le premier principe d’une "morale" universalisable possible.

Nous y sommes donc bien : l’homme est la mesure de toute chose. Je ne sais pas aller beaucoup plus loin dans cette voie. Mais à la volée je dirais :
- Qu’une identification trop rapide de la liberté à la dignité ne me semble pas aller de soi.
- Que si nous acceptons cette identification, ce qui nous sépare est alors simplement que je fonde cette dignité sur quelque chose alors que pour vous elle se fonde sur elle-même.
- Qu’une analyse un peu serrée aurait quelque chance de montrer que, contrairement à ce que vous pensez, loin de la fonder sur elle-même vous la fondez sur des principes implicites et que vous n’échappez pas à la transcendance.
Mais là encore, ce n’est certainement pas l’essentiel.

Vous : (…) Autrement dit : les "esprits libres" n’ont plus "besoin" aujourd’hui déjà, et encore moins demain, d’une parole qui vienne les "autoriser" d’un "ailleurs", d’un extérieur à "eux-mêmes" pour dire comme dans un verset célèbre que vous connaissez sans doute "Vous-êtes des dieux".

Parvenus à ce point, je me demande si vous pouvez faire l’économie d’un retour sur ce que vous écriviez plus haut : cette liberté souveraine de l’homme (et sur ce point je suis moins loin de vous que, peut-être vous ne pensez) a toute chance de se fonder sur sa souveraine puissance (que serait, d’ailleurs, une liberté sans puissance ?) ou de la fonder.

Mais le plus important n’est pas là : sur une telle notion, je vous vois fonder sans peine un droit au suicide. Ce n’est pas là-dessus que je vous attends… Quant au verset « vous êtes des dieux », je n’ai jamais compris pourquoi les chrétiens lui font dire ce qu’ils lui font dire.

Vous proposez ensuite deux références. D’abord :
http://evangile-et-liberte.net/elements/numeros/197/article9.html

Cet article ne me pose pas de problème particulier. À condition de se souvenir que la question de la divinité du Christ est une affaire redoutable, qui ne se traite pas en une page.

Et dans votre dernier mail :

http://www.ac-grenoble.fr/PhiloSophie/articles.php ?lng=fr&pg=9342

Ce lien ne fonctionne pas : il faut aller sur http://www.ac-grenoble.fr/PhiloSophie/ et demander « dignité » dans le moteur de recherche.

Vous : Notamment en liaison avec les apports du christianisme et du stoïcisme.
Voir aussi, dans la partie III (en fin de page) : la distinction intéressante entre 3 sens du mot dignité :
(…)

Mais si sur la nature d’un tel socle irréductible, conçu cependant comme permettant de justifier des droits et libertés à égalité pour tous, il n’ y a pas d’accord philosophique possible (sinon de permettre le débat philosophique ... ), il résulte de cela même que si on veut sortir de l’aporie , ou d’un simple relativisme ou "tout se vaut", il me semble, mais ce n’est que "ma libre décision", que précisément l’"égale liberté" librement "auto-affirmée" serait un bon "candidat" pour préciser cette irréductibilité : pour cela il suffit ... de le vouloir librement.

Et c’est là que j’ai une réserve. Dans l’article que vous citez, la conclusion est :

« Ma » dignité est donc un « universel singulier », c’est-à-dire une idée abstraite et générale qui n’existe que sous une forme singulière et concrète. Je suis seul à savoir ce qu’il en est de ma dignité, mais ce sont des institutions qui m’en apportent la protection et la garantie. Comme la « sublimité », le devoir, ou la justice, la dignité est à la fois principielle et incarnée.

Cette notion d’ « universel singulier » me semble un peu courte ; et je ne vois pas dans le texte suffisamment de matériel pour faire coexister l’idée que la dignité est universelle et que je suis le seul à savoir ce qu’il en est pour moi. Je préfère dire ceci :
- J’ai la notion de ma dignité. Je sais que vous avez la notion de votre dignité. Si nous parlons de la même chose, alors ma dignité et votre dignité ont des choses à se dire. Et ce qu’elles ont à se dire ne peut se résumer à la conscience de notre liberté mutuelle, ou alors laissons tomber la dignité et ne parlons que de liberté.
- Le fait que je sache quelque chose sur votre dignité ne me donne certainement pas le droit de décider pour vous. La question ne se poserait que si vous n’étiez pas en état de décider ; encore serait-ce moi qui déciderais si vous êtes en état de décider, et c’est là une des failles de la loi Léonetti ; mais comment l’éviter ?
- On se trompe chaque fois qu’on parle de dignité sans parler de sa conséquence absolue qui est le respect. Autrement dit la dignité n’a de sens que dans la relation : Robinson Crusoë n’aurait eu que faire de la Légion d’Honneur…

Au plaisir d’une suite, et bien à vous,

M.C.

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