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En réponse à :

La dyspnée terminale

, par Michel

Bonjour, Monique.

Je crois qu’il faut être très prudent avant de vous répondre.

Ce que vous décrivez, c’est une relation désastreuse, et une prise en charge palliative qui laisse à désirer. Si c’est le cas, alors la réponse est évidente, et il faut se plaindre, non pas tant pour obtenir quelque chose (qu’obtiendrait-on, d’ailleurs ?) que pour marquer le coup : les médecins ne risquent pas grand-chose devant la justice, mais ils ont horreur de ça.

Mais les choses se sont-elles passées ainsi ? Non que je doute de votre bonne foi ; mais les apparences sont souvent très trompeuses. Je vais donc essayer de vous contredire systématiquement, dans le seul but de vous faire pressentir en quoi les choses sont complexes. Ce qui s’est passé, je n’en sais rien, et cela ne me regarde pas. Tout ce que je sais c’est que je connais mon monde, et que des médecins comme vous en décrivez, j’en ai connu. Mais cela ne me dit pas si ceux auxquels vous avez eu affaire se sont mal comportés.

Essayons donc :

Mon père âgé de 96 ans a été admis au sein d’un service de cardiologie d’un hôpital privé de banlieue parisienne le 15/12 2017 pour une décompensation cardiaque accompagnée d’œdèmes importants aux membres inférieurs et d’une dyspnée respiratoire. Mon père présentait aussi des signes importants d’insuffisance rénale non traitée jusque-là.
Dès le lendemain de son admission, nous avons pensé qu’il y avait un espoir puisque toute l’équipe soignante, nous a sollicités pour savoir si nous souhaitions un retour à la maison ou un transfert vers un centre de soins de suite.
Compte tenu de l’état de grande fatigue de mon père, avec tous les effets produits par la décompensation cardiaque, un retour à domicile ne me semblait pas envisageable, mon père vivant seul, et je demandais donc son admission en soins de suite
.

Jusqu’ici tout va bien. On a même affaire à une équipe suffisamment compétente pour savoir qu’il faut anticiper, et ne pas attendre le dernier moment pour se préoccuper de la sortie du malade.

Cette situation a perduré plusieurs jours, plus d’une dizaine, sans explications concernant l’aggravation de l’état de santé de mon père. C’est par hasard que j’ai parlé quelques minutes avec le médecin qui s’occupait de lui qui m’a dit que pour l’état de mon père c’était soit le Lasilix soit la dialyse.

Et cela s’est passé ainsi parce que le médecin n’avait rien à dire. Il soignait une très vieille personne atteinte d’une triple pathologie grave, en décompensation suraiguë, il fallait du temps pour pouvoir envisager un pronostic. Dix jours, malheureusement, ce n’est pas long dans ce contexte. Aurait-on dû vous envoyer un avis d’aggravation ? Je ne suis même pas sûr qu’il y ait eu une aggravation, seulement un état difficile avec ses hauts et ses bas et un pronostic indécidable.

Évidemment, les choses auraient été différentes si dans les tout premiers jours le médecin vous avait convoquée pour vous expliquer que de toute manière on n’en menait pas large. Il ne l’a pas fait parce que :
- C’était évident, et d’ailleurs vous le saviez.
- Mon habitude était de me tenir à la disposition des proches, mais pas d’anticiper leur demande ; il fallait des circonstances particulières, comme une aggravation inopinée, pour que j’alerte une famille qui ne me demandait rien. Ici je ne suis pas du tout sûr qu’il y ait eu une aggravation inopinée.

Je n’ai absolument pas compris cette information qui n’en était pas une.

S’il ne vous a dit que cela, je comprends. Mais il se peut très bien qu’en réalité il vous ait expliqué que l’insuffisance rénale, même aggravée par la décompensation cardiaque, restait une préoccupation majeure, que vous lui ayez demandé si on pouvait la soigner et qu’il vous ait répondu qu’il n’avait en main que des mauvaises cartes.

La façon d’informer les patients et leur famille est une obligation minimale des médecins en France.

Sauf que c’est extrêmement difficile. Notamment il est banal d’observer que les choses sont dites, très clairement, par le médecin, mais que les malades ou leurs proches ne sont pas en état de les entendre. Il y a des techniques d’entretien, et les médecins ont tous des progrès à faire. Mais il est illusoire de penser qu’ils vont tous devenir des spécialistes de la communication, cela ne peut pas être leur rôle. Et cela ne marche pas, notamment parce qu’avant de comprendre les proches ressentent. D’où il résulte que, alors que j’apportais beaucoup de soin à ma communication, quand j’essayais d’être nuancé on me trouvait pas clair, et quand j’essayais d’être clair on me trouvait brutal. Mais ce n’était pas moi qui manquais de clarté, c’était la situation ; ce n’était pas moi qui étais brutal, c’était la maladie. Jadis on tuait le messager porteur de mauvaises nouvelles.

Un autre médecin a pris la relève. Dans le même temps, mon père a commencé à comprendre qu’il était en fin de vie, jusque-là rien du côté de l’équipe soignante ne nous a été communiqué en ce sens.
J’ai enfin pu parler au téléphone au docteur en question de mon ressenti le 27/12 en lui demandant si mon père relevait toujours de soins de suites ou de soins palliatifs. Celle-ci a été odieuse jugeant le terme de palliatif comme inapproprié
.

Il se peut que l’équipe ait manqué de réalisme. Il se peut aussi que les choses soient restées longtemps incertaines. Le second médecin est intervenu au bout de dix jours. Au douzième jour, soit au deuxième jour de sa propre prise en charge, elle n’a pas encore capitulé. On ne pouvait pas le lui demander.

La suite démontre que non.

Les suites ne démontrent jamais rien, c’est tout le problème de l’acharnement thérapeutique. Les choses ont mal tourné, certes ; mais cela ne permet pas de dire que l’espoir, lui, était infondé.

Le lendemain j’ai repris contact avec ce médecin afin d’avoir une réelle discussion sur l’état de santé dans lequel se trouvait alors mon papa.
Celle-ci a enfin répondu à notre demande en nous fixant un rendez-vous le 29/12 à 18h,
Vous jugerez du temps écoulé pour nous informer clairement de la situation !!!

Malheureusement il n’est pas du tout certain que son agenda lui permettait autre chose.

Le docteur s’est rendu dans la chambre de mon père à 18h30 pour ce rendez-vous. J’ai été étonnée et même choquée par cette façon de nous rencontrer, aux yeux et aux oreilles de tous les malades. Après quelques minutes nous sommes sortis de la chambre pour que mon père ne soit pas inquiet. La discussion s’est poursuivie dans le couloir entre brancards et service de repas. Je garderai longtemps en mémoire cette mémorable rencontre !!!
Je regrette avoir accepté cette façon de nous rencontrer pour discuter de la fin de vie de mon père. Le lieu était tout à fait inapproprié. La confidentialité me semble s’imposer d’elle-même dans ce type de situation
.

Il est certain que je ne procédais jamais ainsi. Mais je vous le redis : je ne sais rien de l’emploi du temps de ce médecin.

Le docteur nous a parlé de dialyse ou de soins de confort. Compte-tenu de l’état de très grande faiblesse dans lequel se trouvait déjà mon père nous avons opté pour des soins dits de confort, qui devaient comprendre l’administration de morphine dès que la douleur le nécessiterait. De plus le docteur nous avait assuré qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter et que tout allait bien se passer.

Si elle a parlé de soins de confort, elle vous a dit du même coup que les choses allaient mal. Du coup la seule manière d’interpréter son propos, volontairement ambigu (« tout allait bien se passer ») comme la garantie qu’on allait s’orienter vers une fin somme toute paisible. C’est ce que j’aurais fait si j’avais jugé que mes interlocuteurs n’étaient pas encore prêts à entendre un propos plus abrupt.

Le samedi 30 décembre, mon père n’a fait que dormir. Un traitement à base de Topalgic 50mg (2gelules matin midi soir) en plus du Doliprane 500mg (1 comprimé la nuit) lui a été administré avec de Lexomil 6Mg (1 gélule matin et soir).

Ce peut être un choix correct chez un grand insuffisant rénal qui n’est pas trop douloureux.

Le 31 décembre, arrivée vers 13 heures dans la chambre de mon père, je constatais qu’il dormait toujours. J’ai vu une infirmière de garde et lui ai demandé comment était mon père. Elle m’a répondu que son état était stationnaire et qu’il avait même pu manger quelques cuillères de compote le matin.

Parfait exemple de cette zone grise dans laquelle sont beaucoup de vieilles personnes dans un état grave, et dont on ne peut jamais dire de quel côté elles vont finir par basculer.

C’est vers 16h30 que tout a basculé et que son calvaire a commencé. Mon père a commencé à se réveiller en se plaignant déjà beaucoup (il ne pouvait plus respirer je j’ai entendu des glouglous dans ses poumons).
A 18 heures l’infirmière a donné à mon père un comprimé de topalgic, et une heure plus tard un lexomil. Mon père devait, aux dires de l’infirmière, retrouver le sommeil ½ heure plus tard.
Il a enduré pendant plus de 5 heures une grande souffrance agonique. J’ai appelé à plusieurs reprises à l’aide auprès du personnel soignant qui n’a pas bougé. Un infirmier venu remplacer la pompe de lasilix s’est même considéré comme agressé car j’ai eu le culot de demander de la morphine.
Plusieurs fois j’ai demandé à voir le médecin de garde qui n’a même pas daigné se déplacer.
Mon père hurlait qu’il était mort et qu’on le soulage. Mon père est parti d’une lente et insupportable asphyxie avec brûlures dans tout le corps et douleurs extrêmes dans le ventre
.

Pouvait-on faire mieux ? Dans l’absolu, oui, sans doute. Mais :
- Il faut tenir compte du contexte : ce type de fin de vie impose la mise en place de soins palliatifs, et de soins palliatifs particulièrement techniques : la douleur, ce n’est pas le plus difficile. Il faut pouvoir disposer d’un médecin bien formé, et d’une équipe compétente. La loi l’impose, mais dans la pratique nous n’en sommes pas là.
- Le temps vous a paru long, et je le comprends. Mais même dans un service de soins palliatifs particulièrement aguerri, il n’est pas si facile de résoudre ce type de problème en cinq heures. Ce que j’aurais pu faire, c’est d’instituer une sédation modérée pour assurer le confort du malade en attendant que mes autres soins fassent leur effet. Chez l’insuffisant rénal ç’aurait été bien téméraire.
Bref la prise en charge n’a pas été adéquate, c’est certain. Qu’une autre ait été possible de manière réaliste, c’est une autre question.

J’ai réclamé le dossier médical de mon père et c’est là que j’ai vu qu’il n’avait eu à partir du 30/12 que du Topalgic et de Lexomil jusqu’à son décès.
Pourtant le code de la santé publique précise que toute personne a le droit d’avoir une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance. Les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour que ce droit soit respecté. Que Toute personne a le droit de recevoir des traitements et des soins visant à soulager sa souffrance. Celle-ci doit être, en toutes circonstances, prévenue, prise en compte, évaluée et traitée
.

Et vous faites bien de le rappeler. Mais il n’est pas du tout certain que la morphine aurait amélioré quoi que ce soit. La loi est bien gentille, mais elle est d’un yakaïsme désarmant. Elle sera crédible quand nous aurons obtenu les moyens, et il s’agit là de belles espèces sonnantes, de la mettre en œuvre. Vous savez comme moi que le droit au travail est inscrit dans la Constitution. Le chômage est donc anticonstitutionnel.

Je viens d’obtenir de l’hôpital un rendez-vous avec un médiateur médical qui m’a expliqué que mon père avait eu le bon traitement pour sa fin de vie soit disant tout à fait adapté à son état anxieux. Or sa souffrance n’a pas été réévaluée. Aucun médecin n’est venu le voir pendant son agonie qui a duré plus de 5 heures. Il n’a pas bénéficié de morphine et les médicaments administrés n’ont eu aucun effet. Il été extrêmement agité, criait qu’il était mort et demandait qu’on le soulage.

Il se peut tout à fait que ce médecin ait raison. J’ai une bonne opinion des médecins médiateurs. Je vous dis cela parce qu’il est effectivement très difficile de faire la différence entre la douleur et l’anxiété. Une erreur fréquemment commise est de croire que le malade qui crie est un malade qui a mal. Ce n’est vrai que dans environ la moitié des cas. Et les proches, qui assistent à ce spectacle, sont eux-mêmes dans une telle souffrance qu’ils tendent à confondre cette souffrance avec celle du mourant, qu’ils surestiment. Bref il se peut que votre père n’ait jamais eu besoin de morphine. Tout comme il se peut qu’il en ait eu besoin. Ce qui en revanche est certain c’est qu’il avait besoin d’être apaisé ; c’est ce qu’on a essayé de faire en prescrivant un tranquillisant. Fallait-il aller plus loin ? Je ne peux pas le savoir ; je sais par contre que si on l’avait fait on aurait prix un risque toxique majeur ; ce risque, je le prenais sans état d’âme ; mais c’est une décision qui se prend tellement au cas par cas que je suis bien incapable de dire ce qu’il aurait fallu ici.

je l’ai massé et brumisé pendant plusieurs heures et je devais avec l’aide de ma nièce qui était présente, le relever en position semi assise dans son lit car il glissait et ne pouvait pas supporter la position allongée car il avait beaucoup de difficultés à respirer. Je l’ai vu lutter pendant toutes ces heures.
C’est pourquoi je souhaite vous demander si à votre avis les médicaments administrés dans le cadre des soins de confort était ou non adaptés. L’hôpital me dit oui mais moi je pense qu’il aurait fallu de la morphine comme vous le dite (seule traitement adapté dans le cadre de la dyspnée terminale)
.

Tout ce que je peux dire c’est que votre position est très vraisemblable. Mais j’ai connu bien des situations similaires où elle ne l’aurait pas été.

Le médecin médiateur a reconnu un manque de réévaluation pendant la période agonique et un manque d’information et d’accompagnement à notre égard, ce que j’ai reproché dans un courrier adressé au directeur de l’hôpital en question.

Et ce qui incite à penser que le médecin médiateur a bien fait sn travail.

Docteur, pensez-vous que si je porte plainte contre l’hôpital, ma plainte a des chances d’aboutir ?

Oui, mais :
- Aboutir à quoi ? La justice ne se prononcera pas, et c’est heureux, sur la pertinence des soins : ce sont des décisions médicales, purement subjectives et individuelles, et si je connais des cas où on se dit que les médecins ont travaillé comme des cochons et mériteraient une condamnation j’en connais beaucoup d’autres où les choses sont infiniment plus compliquées. Ajoutons qu’il faut voir le problème dans son ensemble et que pour la satisfaction de voir punis quelques incapables on risquerait de créer une foule d’injustices à l’égard de professionnels qui ont loyalement fait ce qu’ils pouvaient. C’est un peu le problème de la légalisation du suicide assisté : je suis prêt à penser que cette légalisation serait justifiée dans certains cas ; mais je frémis à l’idée des dégâts quelle ferait dans d’autres cas, bien plus nombreux.
- Vous devez penser à vous : vous êtes en deuil. Vous êtes en colère. Vous avez des motifs de l’être. Mais la colère est aussi un sentiment normal dans le deuil. Il faut accepter de vivre cette colère, mais il faut aussi ne pas s’y attarder. On me dit que, quand il y a par exemple une catastrophe aérienne, la tenue d’un procès, la réparation, sont essentielles pour que les proches puissent faire leur deuil. Je n’en crois pas un mot.

Bref, ne soyez pas dupe de votre colère. Et je reste avec le sentiment que, même si je ne sais pas si j’aurais agi comme cette équipe, elle a loyalement fait ce qu’elle pouvait.

Bien à vous,

M.C.

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