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En réponse à :

La méthode Gineste-Marescotti

, par Lagneau

Bonjour,

L’expérience est toujours aussi surprenante que stimulante : il arrive parfois que l’on rencontre certaines personnes dont la pensée nous libère, et fait pousser des ailes à nos propres réflexions. Assurément, vous êtes de celles-là.

Jusqu’à présent, je considérais moi aussi la question du "savoir-être" comme de la foutaise. Un réflexe critique primaire, j’imagine : qu’est-ce que c’est que cette volonté de dicter le comportement ? Qui peut, et au nom de quoi, obliger les hommes à être d’une certaine manière ? Doublé d’une critique politique : peut-on sérieusement penser que les problèmes liés à la prise en charge des personnes âgées vont se régler juste en adoptant la bonne manière de se comporter avec elles ? Qu’est-ce qu’il y aurait de plus injuste que de faire porter la responsabilité du problème sur le comportement individuel ? Bref, je voyais dans la notion de "savoir-être" une atteinte grave à la liberté et à la justice, tout l’inverse d’un savoir qui permettrait à l’homme de s’élever et de s’épanouir. Mais en vous lisant, je suis bien forcé de reconsidérer ma position.

D’abord, parce que sans le vouloir, vous touchez du doigt une réalité que j’ai observée, et dont je n’ai sans doute pas suffisamment tiré les conséquences. A maintes reprises, en étudiant l’accompagnement à domicile des personnes malades d’Alzheimer, j’ai observé que les aides à domiciles avaient appris à anticiper les situations qui pouvaient déclencher certains troubles du comportement. Comment s’y prenaient-elles ? Par le tact, par l’esquive, par le mensonge, par l’humour, par la ruse : elles savent biaiser, éviter l’affrontement, éviter de mettre l’autre en échec, dissiper l’arrivée d’une angoisse. Tout cela, elles le font avec leur comportement, avec leur attitude, c’est leur moyen pour agir dans la relation, et bien souvent, elles font ça à merveille. Une fois, l’une d’elles, que je suivais pendant une semaine chez toutes les personnes qu’elle aide, m’a interpellé : "vous devez me trouver hypocrite en voyant que je suis une personne différente dans chaque maison où je vais ?". C’était exactement l’inverse, je ne faisais que constater à quel point ses réactions étaient d’une finesse et d’une justesse qui semblaient chaque fois appropriée à la situation.

Mais je ne me suis pas réellement demandé comment elle parvenait à faire ça. J’en suis resté à l’idée qu’il s’agissait de quelque chose d’intuitif, qu’elle avait développé dans son expérience de travail. De façon beaucoup plus syndicale, j’avais surtout vu les énormes économies que la Sécu pourrait faire, en arrêtant de prescrire des anticholinestérasiques aux effets plus que douteux, et en finançant un peu plus les services d’aide à domicile, dont l’efficacité semblait aussi grande que leur incapacité à la décrire.

Mais pourquoi certaines aides à domicile comme celle-là, ont tout compris sur la manière d’adapter son comportement en fonction des personnes, alors que d’autres ne semblent pas y parvenir ? Vous soulevez une question cruciale : comment est-ce que ce "savoir-être" peut s’enseigner ? La méthode GM y parvient, et c’est là tout son mystère.

Je crois que vous avez parfaitement raison sur la définition à donner au savoir-être. Il ne s’agit pas de prescrire un type comportement, mais au contraire de libérer l’individu, le soignant en l’occurrence, dans sa capacité à se montrer lui-même, à réagir, à interagir, à laisser s’exprimer ses émotions, pour essayer de les comprendre, et d’apprendre à les suivre, en situation, comme un fil conducteur qui peut le mener à saisir cette humanité de l’autre. Comment une telle capacité peut-elle se manifester ? Simplement je crois : par la parole, par le regard, par le geste. La parole, en disant avec prudence ce que l’autre nous fait ressentir. Le regard, en observant de façon affûtée comment l’autre vit avec sa maladie, son handicap. Le geste, en agissant avec habileté pour faire passer les choses en douceur (voilà, je viens de vous résumer toute ma thèse !).

Le saut qualitatif que produit la méthode GM, ne pourrait-il pas commencer à s’expliquer avec ces éléments ? Si en effet, la méthode mobilise (ou "potentialise") pleinement toutes ces capacités du soignant qui sont à la base de son savoir-être, elle ne lui apprend rien de nouveau car dans son expérience du travail, le soignant les a déjà éprouvé, mais elle lui permet, elle l’autorise, à s’en servir sciemment, et surtout elle lui démontre que ça marche, d’où son aspect un peu spectaculaire/miraculeux. La méthode n’a donc plus besoin de s’appuyer sur une philosophie de "l’humanitude", dont tout le monde perçoit vite qu’elle est un socle bancal, car il s’agit de reconnaître qu’elle n’est pas seulement une méthode, mais une philosophie en acte de l’humanité. Elle permet de faire advenir une humanité qui ne préexiste pas aux soins, car elle en est le résultat. Avec la méthode, les soignants découvrent ce que leur formation ne leur a pas dit ni enseignée, que leur travail consiste à édifier de l’humain (je m’enflamme un peu trop, peut-être), non pas en suivant un plan prédéterminé (du genre : une religion), mais en tissant du lien avec le fil de la personne (d’où le recours à la notion de fiction, pour penser la nature de l’humanité).

Bon, j’avoue que je ne suis pas très sûr de pouvoir distingué dans ce qui précède ce qui relève de l’analyse ou d’une vision idéale du soin. Mais je compte sur votre regard affûté de soignant pour en relever les faiblesses, sur l’habileté de votre pensée pour prolonger l’ouvrage, et sur la prudence de votre parole pour me corriger en douceur.

Au plaisir,
FG

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