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En réponse à :

Les troubles psychiatriques du sujet âgé

, par Michel

Bonsoir, Maurice.

Le problème c’est que je n’ai pas vu votre père ; je serais donc bien présomptueux de prétendre vous donner un avis plus éclairé que celui du psychiatre qui l’a examiné. Qui plus est la psychiatrie du sujet âgé est quelque chose de très difficile, et c’est une merveilleuse occasion de dire des âneries.

Cela dit, essayons de réfléchir.

La chose dure depuis longtemps. Nous parlons donc d’un délire chronique, ce qui n’est déjà pas une bonne nouvelle : disons pour faire court que le délire, quand on le laisse s’installer, a tendance à fabriquer des mécanismes qui lui permet de s’auto-entretenir. Je vous dis ça, non pour ramener ma science, mais pour vous expliquer pourquoi le psychiatre est patient ; car vous avez raison : quatre mois, c’est long ; mais il faut tenir compte du retard de prise en charge. Au fait, vous ne me dites pas pourquoi la prise en charge a tardé.

Il y a des hallucinations et un délire. Les hallucinations c’est le fait de voir (d’entendre, de sentir) des choses qui n’existent pas ; le délire c’est le fait de donner des interprétations fausses ; je vous laisse le soin de me préciser la différence entre un délire et une erreur, ou une croyance, mais passons. Si les hallucinations provoquent assez aisément un délire, il y a des délires sans hallucinations. Du fait qu’il y a des hallucinations, il faut évoquer plusieurs diagnostics :
- Le syndrome de Charles Bonnet. Ce sont des personnes qui développent des hallucinations parce qu’elles ont un déficit sensoriel, notamment visuel, auditif ou olfactif ; tout se passe comme si le cerveau fabriquait des hallucinations pour combler le vide sensoriel. J’y crois assez peu ici, notamment parce qu’en général ces personnes ne délirent pas.
- La psychose hallucinatoire chronique, spécifique du sujet âgé. C’est une maladie assez redoutable dans la mesure où elle résiste au traitement. Là non plus il n’y a pas en général de délire, mais d’un autre côté la personne qui se trouve en proie à des hallucinations n’a pas beaucoup de solutions pour les interpréter.
- Les autres psychoses : il n’y a pas de raison pour que l’âge prémunisse contre elles. La seule anomalie est que si on peut être âgé et psychotique il est plus rare qu’une psychose naisse ex nihilo à un âge avancé. Je vous renvoie simplement, par exemple, à la notion classique d’automatisme mental.
- La démence : la perte de contact avec le réel prédispose aux hallucinations. Je suppose que vous allez m’objecter que les fonctions cognitives de votre père sont normales, mais si vous le faites je vais vous la liste de tous les malades dont la démence, pourtant évidente rétrospectivement, a été méconnue pendant des années. Toutes les démences peuvent être en cause, notamment la démence de type Alzheimer, il n’est pas nécessaire d’aller chercher la démence à corps de Lewy, dont au reste on ne sait toujours pas si elle existe. Bref il ne faut surtout pas éliminer cette hypothèse.
- Très anecdotiquement, certaines épilepsies, mais je n’y crois pas une seconde.

Quant au délire, il fait envisager là aussi quelques diagnostics :
- La conséquence des hallucinations : si je vois un dragon dans mon jardin, je vais avoir du mal à en donner une explication qui tienne la route.
- Une psychose délirante ; je ne détaille pas, cela ne sert à rien, puisque je n’ai pas examiné le patient.
- Une dépression. Les liens entre délire et dépression sont doubles : d’un côté il y a d’authentiques dépressions délirantes. Je flaire d’ailleurs que la dépression (la vraie, la grande, celle qu’on nommait jadis mélancolie) a à voir avec un délire, de type mégalomaniaque : simplement, au lieu de me prendre pour le meilleur des hommes je me prends pour le plus mauvais, tellement mauvais que la seule solution pour sauver le monde est que je me tue. Encore n’est-ce pas toujours suffisant : je suis si mauvais que, même mort, je ferais encore du mal, raison pour laquelle il faut avant de me suicider que je tue tous mes proches ; on voit cela dans la presse de temps à autre : un forcené tue sa femme et ses trois enfants avant de se faire justice ; si ce n’est pas du délire… Mais d’un autre côté le délire, par son contenu, fournit volontiers des raisons de déprimer. Je passe sur la paranoïa sensitive, qui en principe ne s’accompagne pas de manifestations d’agressivité.
- Là encore, la démence. Rien n’est plus facile pour un dément que de donner des interprétations aberrantes à des situations qui ne font pas sens pour lui.

Mais alors, que faire ?

Donner un antidépresseur ? C’est indispensable si le psychiatre a repéré des indices en ce sens, car la dépression fait souffrir, et parfois atrocement. Je n’en peux rien savoir. Tout ce que je peux ajouter c’est que la règle absolue est qu’on se trompe toujours quand on ne laisse pas l’antidépresseur agir assez longtemps. Deux mois est un minimum, quatre mois n’est pas aberrant ; autant dire que la route est longue, d’autant que si on n’a pas de résultat la seule chose à faire est de changer de molécule, moyennant quoi on est reparti pour quatre mois.

Donner un neuroleptique ? C’est beaucoup plus gênant, car comme vous le constatez ces médicaments ne sont pas toujours bien tolérés par le sujet âgé (encore faut-il vérifier que les troubles que vous constatez sont, ou sont tous, liés au traitement). C’est encore plus délicat si on se place dans l’hypothèse d’une démence ; mais on n’a pas toujours le choix. La seule marge de manœuvre est de se demander qui souffre. Votre mère souffre, et il est indispensable de le prendre en compte. Par contre il se peut fort bien que, moyennant le délire, votre père ait trouvé un équilibre psychique, certes bizarre et inconfortable, mais qui lui convienne à peu près. N’oublions pas que si le malade délire, c’est parce que, n’ayant pas les moyens d’affronter le monde tel qu’il est, il a besoin de s’en fabriquer un autre. Il arrive de manière non rare que quand on lui ôte cette possibilité on l’envoie vers l’effondrement psychique : le délire est aussi un mécanisme défensif, et on sait fort bien que les malades qui guérissent de leur délire en sont souvent quittes pour entrer dans une phase dépressive.

Voilà. Je sais bien que je ne vous aide pas beaucoup… Tout ce que j’espère c’est vous avoir aidé à comprendre quelle est la stratégie du psychiatre. Serait-ce la mienne ? Je n’en sais rien ; simplement elle ne m’étonne pas.

Bien à vous,

M.C.

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