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En réponse à :

Ethique et dignité : projet personnalisé

, par Michel

Bonjour, Dom.

Votre message me semble poser de nombreuses questions très éclairantes, et donc plus d’une relève effectivement de l’éthique. Je vais essayez d’en pointer quelques-unes, sans chercher à en faire une synthèse.

La première chose qui me frappe est que, comme vous le soulignez, la notion de projet de vie nous arrive du monde de l’entreprise. Ce qui pose deux questions opposées :
1°) : Que fait-on quand, par principe, on considère que les pratiques de l’entreprise sont incompatibles avec celles de l’hôpital ? Il y a là une sorte de godwinisation du débat qui mériterait examen.
2°) : Cette godwinisation du débat repose sur l’idée que les établissements de santé ne doivent pas être gérés comme des entreprises parce qu’elles ne doivent pas avoir d’objectif de rentabilité. Mais il me semble nécessaire d’être un peu plus prudent :
- Il serait intolérable de réaliser des profits sur le dos des malades.
- Mais quel l’on sache le service public ne réalise pas de profits (et le privé, moins qu’on ne pense).
- Contrairement à ce qu’on dit, les dépenses de santé ne sont pas toutes pertinentes, et il existe encore d’immenses possibilités pour améliorer le rapport coût/efficacité du système de soins.
- Gérer, c’est gérer. Les mécanismes sont les mêmes, qu’il s’agisse de faire un bénéfice ou d’assurer l’équilibre.
- Il est éthiquement inacceptable de considérer que les questions d’argent n’ont pas d’implications éthiques : je suis responsable des dettes que je laisse à mes enfants.
Etc.

La seconde c’est que, comme vous le soulignez, il s’agit beaucoup d’une question de langage. Et c’est à ranger dans la catégorie de tout ce que nous faisons pour croire qu’il suffit de renommer une chose pour la changer. Grand retour des sophistes (ce qui pose une question à mon sens cruciale : nous avons peu de textes de sophistes, et largement, nous les connaissons par Platon ; il me semble toujours délicat de se faire une idée de quelqu’un en écoutant son ennemi ; or il est très probable que la pensée sophiste est plus… sophistiquée qu’on ne se l’imagine. Passons, comme dirait notre hôte). En tout cas cette illusion d’agir par la parole pose elle-même une question éthique : que se passe-t-il quand le chef du personnel devient directeur des ressources humaines ? Notons cependant qu’à tout prendre le changement d’intitulé est intéressant : parler de « ressources humaines », c’est mettre en évidence que le salarié est considéré comme une matière première. Les mots ont un défaut : ils parlent, et souvent à l’insu de celui qui les utilise ; J’aurais volontiers la cuistrerie de vous renvoyer sur ce point à http://michel.cavey-lemoine.net/spip.php?article27 ; mais l’exemple le plus simple est sans doute la loi dite Taubira, qu’on s’obstine à qualifier de mariage pour tous alors qu’il s’agit du mariage des homosexuels ; à croire qu’il y a des choses dont les promoteurs de la loi ne sont pas si fiers que ça. On se demande bien pourquoi, j’ai pour ma part toujours été favorable au mariage des homosexuels.

Mais il y a d’autres choses à envisager, bien sûr, et plus importantes.

La moindre sans doute n’est pas le caractère imposé du projet. Imposé au résident, imposé à l’équipe. En somme le projet de vie serait très bien s’il comportait l’item pas de projet de vie. En ce qui me concerne j’ai indiqué dans mes directives anticipées : il y aurait lieu de considérer la situation comme palliative si je me trouvais dans un état grabataire, ou si l’altération de mes fonctions cognitives imposait que je sois admis en maison de retraite. En d’autres termes si une telle chose m’arrive la suite aura peu de chance de m’intéresser. Mais il faut cocher la case, et c’est ce qui conduit à insérer dans un projet de vie la question de savoir si votre mère mange mouliné, comme si c’était un projet. Alors qu’autrefois on n’aurait placé ce renseignement ni dans un projet de vie ni même dans un projet de soins, mais dans une autre rubrique qui s’appelait plus sobrement recueil de données. Ne soyons pas trop injustes cependant : ce que vous décrivez là est à l’évidence un dévoiement du concept, et il se peut qu’il existe des lieux où on l’utilise avec une plus grande exigence, et de meilleurs résultats. On ne juge pas un concept sur ses dévoiements ; mais il est à craindre que le dévoiement ne soit la règle : dans votre cas il est significatif qu’on ait sans broncher accepté que ce soit vous qui remplissiez le formulaire. Le bon sens aurait voulu de considérer que si la personne n’exprime pas de projet de vie c’est qu’elle n’en a pas, ou qu’on ne peut le connaître, quitte à bémoliser cette assertion en vous demandant quelques indications sur ce qui pourrait lui faire plaisir.

Et comme vous dites, l’essence même du projet de vie est de persuader les soignants (avec toute la culpabilité que cela implique) qu’ils font autre chose que gérer la tristesse. J’ajoute pour ma part que, mais si vous allez voir vous serez bien, il s’agit au moins autant d’en persuader la personne (je ne sais pas pourquoi j’allais écrire : la victime).

Bien à vous,

M.C.

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