Poster un message

En réponse à :

Le grabataire en fin de vie

, par Michel

Bonjour, et merci de ce message.

Je crois qu’il y a une illusion propre à l’image de la médecine. C’est un métier qui n’est que très partiellement lié à l’activité scientifique. Les médecins ne sont pas des savants, ce sont des techniciens, et c’est très bien ainsi. Je n’aime pas beaucoup qu’on vienne répéter que la médecine est un art : ceux qui disent cela le font le plus souvent pour éluder toute contrainte. Mais le fond de l’activité médicale n’est pas scientifique.

Comme cela hérisse les épidermes, les médecins que disant cela je vexe se récrient et exhibent les multiples preuves de leur rigueur intellectuelle. Le problème est que cette rigueur est en trompe-l’œil. Il ne faut pas oublier que l’essentiel du savoir médical est d’ordre statistique et que les statistiques en elles-mêmes ne disent rien ; par exemple si elles découvrent des liens entre divers ordres de faits, elles ne disent jamais lequel est cause et lequel est conséquence.

Comme beaucoup d’activités humaines la médecine croule sous les procédures d’évaluation. La difficulté est que les critères sont très souvent très rudimentaires, et que leur marge d’erreur est volontiers plus grande que le phénomène qu’elles cherchent à étudier. Le paradigme me semble celui de l’"évaluation de la lutte contre les infections nosocomiales, dont le critère essentiel est la consommation de gel hydro-alcoolique dans un service donné. Il est probable qu’en effet il existe une corrélation. Mais que ce critère soit suffisamment fin pour servir à autre chose qu’à consommer du gel hydro-alcoolique, que l’instauration du critère n’ait pas d’effet sur la donnée qu’il vise à mesurer...

C’est pourquoi, pour en revenir à ce que vous demandez, il est très délicat d’imaginer des critères d’évaluation de choses aussi incertaines que la prise en soins. Personnellement je tiens par exemple qu’il faut fermer les portes des chambres. Mais si on veut évaluer le respect de ce critère, soit on se contente de mesurer le pourcentage de portes fermées un jour donné, soit on y ajoute :
- Le pourcentage de patients à qui on a formellement demandé leur préférence.
- Le nombre de patients pour lesquels la discussion d’équipe a montré qu’il valait mieux que la porte soit ouverte.
- Le pourcentage de portes qu’on a ouvertes sans avoir préalablement frappé.
- Le temps moyen qu’on a laissé s’écouler entre le moment où on frappe et le moment où on entre.
- Le nombre de fois où, ayant frappé, on est entré avant d’avoir reçu la réponse.
- Dans ce dernier cas le taux de malades sourds.
- et j’exagère à peine.

Faute de critères aisés à construire, les médecins ont tendance, non à renoncer aux critères mais à s’inventer des critères illusoires justifiant leur prétention à l’appellation de scientifiques, alors que cette pratique se prête au contraire à tous les dévoiements.

Cette lacune est dangereuse, mais je ne sais pas si nous avons seulement idée de la méthodologie qu’il faudrait mettre en place.

Bien à vous,

M.C.

modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?
Ajoutez votre commentaire ici
  • Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.