Poster un message

En réponse à :

Qu’ils crèvent !

, par Michel

Bonsoir, Lucie.

Il m’est très difficile de vous répondre sans avoir vu la malade. Mais je me demande si c’est vraiment une réponse sur ce point qui vous serait le plus utile.

Ce que vous dites, c’est qu’il s’agit d’une très vieille dame qui a fait récemment un problème de santé dramatique, dont elle sort avec des complications. Il y a au moins trois complications évidentes : les escarres, l’état grabataire et la dénutrition. Ajoutons-y le trouble de la déglutition, dont il serait étonnant qu’il ait complètement régressé, et qui est donc une source de fausses routes et d’infection pulmonaire.

Dans ces conditions, le bon sens commandait que les médecins de l’hôpital vous disent que le pronostic vital était engagé ; et à cinq semaines de l’événement, il faut bien admettre qu’il l’est toujours, même si une amélioration ou une stabilisation peuvent être notées. Mais pour évaluer la situation il faudrait en savoir davantage, notamment sur le niveau des séquelles neurologiques et sur l’état antérieur. Il y a tout de même un point inquiétant dans ce que vous dites : « Or elle mange, me reconnaît ». Est-ce à dire sa vie de relation se limite à ça ? Ce serait alors l’indice qu’effectivement la situation est très dégradée. Il faudra s’en souvenir au moment de prendre des décisions.

Par exemple c’est le cas pour la chirurgie des escarres. Qu’elle soit grabataire n’est pas une contre-indication : qui fait des escarres, sinon les grabataires ? Par contre il y a une autre question : compte tenu des autres éléments, peut-on espérer que la chirurgie suffirait à fermer les escarres ? Peut-on espérer les fermer ? Il y a là toute une analyse à mener, mais cela a dû être fait.

Pour ce que vous observez, je crois qu’il y a beaucoup de malentendus. J’y insiste parce que, dans la détresse où vous êtes, ces malentendus sont inévitables, et que la seule chose à faire est de les connaître.

Par exemple vous n’avez pas confiance dans la manière dont votre mère est nourrie. Si vous entendez par là que les équipes n’ont certainement pas le temps de nourrir votre mère comme il le faudrait, je prends le pari que c’est exact. J’ajoute que même en prenant le temps il est rare qu’on puisse faire absorber à ces malades un apport calorique réaliste (il en va de même pour l’eau gélifiée, quand on songe au nombre de pots qui seraient nécessaires). Mais d’une part il serait injuste d’en vouloir à l’équipe, d’autre part le fait même que ce soit vous qui donniez ce temps, cette patience et ces gestes à votre mère, cela a pour elle et pour vous une valeur infinie.

Le cas de votre mère « ennuie le personnel soignant ». Je crois qu’il m’ennuierait tout autant. Ce sont des malades très difficiles à prendre en charge, et pour lesquels il est toujours compliqué de savoir ce qu’il est juste de faire et quelles sont les limites de l’acharnement thérapeutique. Si vous ajoutez à cela que les soins sont source d’un inconfort très culpabilisant pour l’équipe, il est facile de comprendre que le personnel soit ennuyé. Mais il n’est pas ennuyé : il est désemparé, et probablement en grande souffrance.

Vous craignez qu’elle n’aille à l’hôpital. Et vous avez raison. Mais il faut bien admettre qu’une prise en charge aussi lourde n’est guère du ressort d’un EHPAD : ce sont des malades qui relèvent d’un long séjour, et qu’il faut saluer le courage de l’équipe de n’avoir pas refusé. Il faut bien admettre aussi que la question de l’hospitalisation soulève celle du projet : quelle idée se fait-on du pronostic ? L’hospitalisation serait-elle une manœuvre d’acharnement thérapeutique, ou le refus d’hospitalisation au contraire serait-il une perte de chance ?

Je ne crois pas une seconde qu’il existe un EHPAD où on regarde au coût des pansements d’escarre ; d’ailleurs si c’était le cas il serait assez simple de se les procurer en ville. Le temps, c’est une autre histoire, mais là aussi j’ai des doutes. Et si par extraordinaire vous aviez affaire à un tel établissement, la seule mesure à prendre serait d’en retirer votre mère le plus rapidement possible.

Par contre ce qui est certain c’est que les soins d’escarre peuvent être très douloureux, même si ce n’est pas toujours le cas. Et à titre personnel je refuserais de faire des soins d’escarre à un malade qui ne serait pas soulagé de ses douleurs. La morphine est donc une obligation, quelles qu’en soient les conséquences, à moins que, jugeant que ces escarres ne pourront jamais se fermer, on ne décide de limiter les soins.

Tout cela pour vous dire que, sur les éléments que vous donnez, l’équipe semble se conduire comme une équipe méritant votre confiance. Par contre il est vraisemblable qu’elle n’a pas les moyens de donner à votre mère tout ce qu’il faudrait, mais ceci est dû au fait que sa place n’est pas réellement dans un EHPAD, et qu’elle s’y trouve parce qu’il n’y a pas d’autre solution. Et il est vraisemblable que cette équipe vit très mal cette situation.

J’espère que les choses pourront se stabiliser ; je vous le souhaite de tout coeur.

Bien à vous,

M.C.

modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?
Ajoutez votre commentaire ici
  • Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.