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En réponse à :

La méthode Gineste-Marescotti

, par Michel

Bonsoir.

Décidément, vous avez juré de me prendre de court. Votre réponse est d’une richesse qui me désarme (et m’intimide), et je crains de ne pouvoir l’approfondir comme il faudrait.

Il y a tout d’abord un danger à écarter, le même que celui qui me vaut tant de reproches quand je parle de la Validation de Naomi Feil : beaucoup de lecteurs m’accusent d’en dire du mal, alors que je ne cesse de répéter que cette technique devrait être enseignée à tous les professionnels. Mais le fait de reconnaître les mérites d’une approche ne doit pas interdire d’être lucide, et d’en voir les limites et les défauts. Cette incapacité à accepter que les choses puissent être nuancées est pour moi le plus sûr indice que quelque chose ne se passe pas bien ; et je ne crains pas d’ajouter que ce quelque chose est le même que celui qui est à la base du phénomène sectaire ; ou du moins je ne le craindrais pas si, précisément, Yves Gineste n’était pas, d’une manière aussi récurrente que stupide, accusé de se comporter en gourou. Bref, je dis et redis que la Validation doit être enseignée et connue ; et je dis et redis que rien de ce que nous pourrons échanger ne modifiera mon admiration pour le travail d’Yves.

Mais vous résumez bien la situation : j’ai le sentiment que, au moins dans un certain nombre de cas, la "formation humanitude" aboutit à donner à la personne formée ce que vous appelez judicieusement une "représentation de l’humanité des malades".
- C’est inévitable : je crois que cela résulte de la nécessaire érosion du concept à mesure que les formateurs forment des formateurs de formateurs de formateurs.
- C’est particulièrement cruel : quiconque a vu Yves travailler sait quel infini respect il a pour les malades et leur liberté.
- Mais cela résulte pour une part de la méthode pédagogique employée, qui recourt un peu trop à mon sens (peut-on faire autrement ?) à des changements d’attitude qui ont quelque chose de cosmétique et donnent volontiers l’illusion d’un changement en profondeur.
- Cela résulte aussi d’erreurs de conception. Un simple exemple suffira. Quant il s’agit de décrire ce qui fait l’humanité de l’humain, il est dit que l’homme est l’animal qui se tient debout et qui marche. Et je vois bien pourquoi cela est dit, et je l’approuve. Mais les promoteurs de la "métho" n’ont pas suffisamment sondé la faille résultant du fait que, précisément, elle s’adresse volontiers à des malades qui ne se tiennent plus debout et qui ne marchent plus. Et cependant elle s’adresse à eux parce que ce sont des humains, et que l’humain est humain même quand il ne marche plus, preuve que ce n’est pas cela qui le définit.
- Et cela résulte largement du fait qu’on a donné un nom à ce qui tient lieu de soubassement théorique de la "métho", lui donnant ainsi l’illusion d’une autonomie, qu’il faut ensuite justifier. Oui, les mots se vengent.

Vous écrivez : Les intervenants (...) avaient l’impression de ne rien avoir appris de nouveau. C’est ce qui m’est arrivé : au fond, ce qu’Yves disait, je le savais déjà, mais je ne pensais pas que c’était possible. Et cela m’amène à reprendre deux questions qui me semblent fondamentales.
- La première est que lorsqu’on applique la "métho" avec le degré d’exigence, de précision, de technicité qu’elle requiert, alors il y a quelque chose qui change, et il me semble qu’on fait quelque chose de nouveau : ce qui se passe est de l’ordre d’un saut qualitatif, et il faudrait trouver le moyen de penser ce saut.
- La seconde est que la "métho" représente un ensemble de techniques ; ce n’est pas la seule, et même si c’est la meilleure, il y en a d’autres. Mais il y a autre chose qui est de l’ordre de l’enseignement d’un savoir-être. J’emploie ce mot à dessein, par pure méchanceté, car Yves déteste ce concept, et il hurlerait s’il apprenait que je l’utilise à son propos ; mais son hostilité vient du fait qu’il n’a pas compris ce qu’est le savoir-être (disons tout de suite à sa décharge que la plupart des gens qui en parlent ne l’ont pas compris non plus, et s’imaginent que savoir-être renvoie à un certain nombre d’attitudes qu’il faut apprendre, alors que cette expression signifie au contraire qu’il n’y a pas d’attitude et que savoir-être signifie simplement s’autoriser à être qui on est). Mais du coup cela pose une question épistémologique capitale : Yves enseigne, et je témoigne qu’il le fait, cette chose même qui est réputée ne pas pouvoir faire l’objet d’un enseignement. Quand je dis qu’il y a une "philosophie de l’humanitude" mais que ce n’est pas celle que ses promoteurs croient, c’est cela que j’ai en vue : Qu’est-ce qui se joue, philosophiquement, dans cette enseignabilité de l’inenseignable ? Je ne sais pas.

Votre idée de l’humanité comme fiction me paraît particulièrement féconde (et elle prend le contre-pied de la "philosophie de l’humanitude", ce serait à creuser). Je me demande si elle ne recoupe pas ce que je dis à propos des soins palliatifs : parmi les fonctions des protagonistes, il y a celle de donneur de sens. Il est tout à fait possible que tout cela n’ait aucun sens, mais l’homme est l’animal qui donne du sens, tout comme il est celui qui fait exister. Et c’est un non-sens que de se figurer qu’il peut vivre sans assumer ce rôle.

Vous ai-je bien compris ?

Bien à vous,

M.C.

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