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En réponse à :

L’escarre : le soin

, par Michel

Bonjour, Fabienne.

Je crois que vous m’avez décrit une des pires situations qui puisse arriver en matière d’escarres.

D’abord, regardons ce que nous savons du malade.

Il s’agit d’un patient Alzheimer à un stade avancé. Quel âge a-t-il ? Quel était son degré d’autonomie antérieur ? Pourquoi ne l’a-t-on pas opéré d’emblée ? Quel était son comportement avant sa chute ? Pourquoi est-il tombé ?

Vous me dites qu’il va passer au bloc. Je suppose que c’est pour traiter sa fracture. Il semble donc qu’on espère le remettre debout. Dans ce cas nous sommes en présence d’un patient qui avait jusque là une certaine autonomie, et qu’on envisage de guérir. Est-ce réaliste ? Je ne sais pas, mais toute la suite dépend de ce point.

Pourquoi est-il agité ? Je vois quatre types de raisons :
- Il l’est de façon permanente.
- Il ne comprend pas ce qui lui arrive.
- Il est tombé à cause d’un trouble intercurrent (infection, hypotension, trouble coronarien, fécalome enfin toute la liste des causes de chute chez le sujet âgé), et cette cause est elle-même source d’inconfort.
- Ou, tout simplement, il a mal. Et il a certainement mal avec une fracture de hanche. C’est important parce que si c’est le cas alors le Dafalgan codéine a toute chance d’être un peu léger. Vous pourriez avoir une indication dans ce sens en observant si la morphine que vous lui administrez avant les soins le calme ou non (mais en n’oubliant pas que la morphine calme aussi les patients qui n’ont pas mal ; et en n’oubliant pas davantage que chez un dément bien désorienté on ne s’étonne pas qu’il s’agite quand on lui fait subir quelque chose d’aussi inanalysable qu’une traction continue ; rien que pour ces raisons l’indication opératoire me semble bonne : je consens que le chirurgien n’agira pas de gaieté de cœur, mais le choix est entre tuer le malade sur la table et le laisser mourir dans des conditions très difficiles ; autant dire une discussion bénéfice/risque qui serait tout sauf commode).

A part ça vous ne me dites pas s’il mange, mais je crains de connaître la réponse. Bref, vous avez tout contre vous.

Et l’escarre sacrée est déjà là. Elle est venue vite. Elle est encore stade I, du moins elle l’était quand vous avez écrit votre message. Elle évoluera, elle s’aggravera, elle s’étendra, c’est déjà dans les tuyaux. Je vous dis cela car rien n’est plus culpabilisant que de voir une escarre s’étendre malgré les soins. En réalité les dégâts de l’escarre sont toujours plus étendus que ce qu’on voit, et quand on voit une escarre sacrée de 5 cm de diamètre on est déjà assuré que quoi qu’on fasse elle sera de 7 à 8 cm.

Sur le soin, je persiste à penser que tant qu’il y a de la peau on la laisse.

Quand il y a une plaque de nécrose la question se pose de l’enlever. Personnellement j’ai toujours eu une attitude très prudente à ce sujet, d’ailleurs je ne suis pas sûr qu’on trouve dans la littérature d’arguments objectifs prouvant l’efficacité des décapages. Ma proposition est d’humidifier la plaque, et de retirer au bistouri ce qui s’en va. Tout dépend du pronostic : si le malade est en voie de guérison, on peut être un peu plus agressif ; s’il ne l’est pas (et je crains que ce ne soit le cas ici) on est vite limité par l’interdiction de faire mal.

Se pose la question de l’Elase ou assimilés. La position officielle est qu’on ne doit pas les utiliser. Il est vrai que ce sont des produits qui vont décaper non seulement ce qui gêne le bourgeonnement mais aussi ce qui bourgeonne. Par ailleurs ils ont leur propre nocivité. Mais l’expérience me semble montrer que moyennant beaucoup de discernement et une remise en question permanente, on peut les utiliser.

Mais le problème essentiel est de soulager la pression sur l’escarre.

Vous avez mis un matelas. C’est une bonne chose si du moins il s’agit d’un matelas très performant. Les matelas anti-escarres sont efficaces en prévention, en traitement c’est une autre affaire.

La seule option (mais elle ne peut guère s’utiliser qu’avec un matelas standard est de supprimer la pression sur le sacrum en fabriquant ce qu’on appelle un canoë.

Ce serait bien plus simple si je pouvais vous faire un dessin, mais c’est impossible. Je vais donc essayer de vous décrire ce qu’il faut faire.

La position canoë suppose que le patient ne soit pas trop recroquevillé.

Prenez :
- Deux traversins.
- Un drap plié ou une grande alèse.
- Plusieurs oreillers.
- Une collègue.

L’objectif est de faire que le malade repose sur les deux traversins posés longitudinalement.

Votre collègue se place à la gauche de la malade ; elle met un genou sur le lit (pour éviter de se faire mal) ; elle saisit le malade par l’épaule et la hanche droites et l’attire à elle, jusqu’à ce que le patient soit strictement de profil ; il se trouve sur son flanc gauche. Évidemment, pas question de faire ça chez un malade non opéré, ou alors avec pas mal de morphine.

Vous placez alors le drap : le milieu du drap est à la hauteur de l’épine dorsale ; une moitié du drap est en accordéon dans l’angle entre le lit et le corps du patient, l’autre moitié est sur son flanc droit ; puis vous calez le traversin en long : il part de l’épaule gauche du malade de descend le plus bas possible.

Vous installez ensuite le second traversin sur le lit, de façon que quand le malade reviendra sur le dos il ait un traversin de chaque côté de son épine dorsale. Vous allez alors ramener le malade sur le dos.

Si vous réussissez l’ensemble de cette manœuvre, vous voyez que le malade repose sur le drap, puis sur les traversins, qui dessinent une sorte de canoë. Il ne vous reste plus alors qu’à prendre les bords libres du drap et les enfoncer profondément sous les traversins : si vous ne le faisiez pas, ils auraient tôt fait de s’écarter. Mais de cette manière vous avez un dispositif autobloquant.

Et avec les oreillers vous allez finir de caler votre malade : sous la nuque, car elle est dans le vide ; sous les mollets, car les traversins ne sont pas assez longs, etc.

Voilà ; c’est simple, et c’est une des multiples trouvailles d’Yves Gineste.

Essayez d’abord en prenant une troisième collègue comme cobaye. Vous constaterez que c’est une position très confortable, qui est la seule susceptible de mettre le sacrum en apesanteur, ce qui est la condition essentielle pour espérer guérir l’escarre.

Bien à vous,

M.C.

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