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En réponse à :

L’agonie

, par Michel

Bonsoir, Eloïse

Vous décrivez très bien ce à quoi vous êtes affrontée : l’expérience massive de l’indicible, de l’incompréhensible. La mort restera toujours incompréhensible parce que personne n’en a jamais eu l’expérience. Nous ne connaissons que la mort de l’autre, ce qui ne nous renseigne guère sur la nôtre. Tout au plus pouvons-nous en apprivoiser quelques aspects. Il ne vous est jamais arrivé d’être en présence d’un décès, et vous n’avez que votre imagination pour essayer de penser la mort. C’est normal.

Mais il n’y a pas de secret : j’ai pour ma part assisté à environ un millier de décès. La présence d’un cadavre ne me pose plus guère de problème, et j’ai fini par considérer la mort comme une collègue, un peu revêche, mais qui fait plutôt bien son travail quand on la laisse tranquille. Cela ne dit absolument pas comment je me comporterai le moment venu.

Il n’est pas si facile de déterminer si on se trouve dans une situation agonique, ou préagonique. C’est une des raisons qui m’ont poussé à écrire cet article : car ces questions sont très peu traitées, au point qu’il n’y a guère de savoir constitué chez les professionnels. On trouve, surtout chez les soignants, des gens qui se disent capables de prédire les décès ; il n’y a pas besoin de regarder longtemps pour s’apercevoir que leurs prédictions sont largement rétrospectives. De même je possède une longue liste de situations où des médecins chevronnés se sont ridiculisés à prédire un décès imminent chez un malade qui a vécu plusieurs mois, et inversement ; bien entendu je figure sur cette liste en bonne position. Or je crois qu’il serait très précieux de constituer un tel savoir. Mais tout reste à faire.

Autant dire que je ne sais pas si vous avez assisté à une phase préagonique : d’ordinaire la phase préagonique ne précède l’agonie que de quelques jours. Par contre vous avez très bien pu avoir l’intuition que votre grand-tante était dans un état dont elle ne pourrait pas sortir. Comment cela se fait-il ? Je ne sais pas : tout cela est très énigmatique, et c’est bien la raison pour laquelle j’aimerais (j’aurais aimé, car je doute d’avoir désormais les moyens de mener à bien cette entreprise) arriver à mettre un peu d’objectivité dans tout cela.

Sur l’acharnement thérapeutique, je crois que vous posez très bien le problème, qui est en effet très complexe ; et je suis très agacé des simplismes qu’on nous sert sur le sujet, y compris en haut lieu, y compris au Comité Consultatif National d’Éthique, y compris dans la loi Léonetti. Je vais donc commenter vos questions d’une manière dont je sens bien qu’elle sera un peu frustrante.

quelles sont les frontières entre le refus de soin du patient, l’interdiction de l’acharnement thérapeutique et l’euthanasie ?

Pour le refus de soins, c’est assez simple, puisqu’il s’agit d’une position prise par le malade. Reste à se demander comment on interprète ce refus : le grand classique est la personne âgée qui ne mange plus. Ce que je sais c’est que dans un grand nombre de cas cette anorexie est un refus de manger délibéré. Qu’en fait-on ? dans quels cas est-on fondé à proposer une alimentation artificielle ? Dans quels cas doit-on traiter une dépression ? Allez savoir.

Entre le refus de l’acharnement thérapeutique et l’euthanasie, ce n’est pas très difficile non plus, à la condition de tenir ferme un point crucial : l’euthanasie est une action (mais il se peut que ne pas agir soit une action). Si je décide que les soins doivent être arrêtés parce qu’ils n’ont pas de réelle utilité pour le malade, je ne fais qu’admettre que les choses doivent suivre leur cours. Ce n’est pas la même chose que si je décide qu’il faut accélérer le décès du malade.

Lorsque les médecins ont diagnostiqué l’agonie et arrêtent les traitements, y a t-il une recherche de la volonté de patient ?

Je ne poserai pas les choses ainsi. D’abord parce que les médecins ne diagnostiquent guère les agonies : cela ne les intéresse tout simplement pas. Mais aussi parce que l’agonie est une phase où le malade présente des troubles de la conscience qui rendent bien aléatoire toute évaluation de sa volonté. Je crois qu’il y a souvent un malentendu autour de l’agonie : sous ce terme il faut entendre les tous derniers instants avant le décès, disons au maximum (mais tout peut se voir) les quarante-huit dernières heures.

Autrement dit, le fait d’être en phase d’agonie signifie t-il une acceptation implicite de la mort par le patient ?

Je ne sais pas. J’aurais plutôt tendance à penser que oui, mais pourquoi ? Peut-être parce que cela m’arrange. Il est significatif de noter qu’on ne s’entend pas sur l’étymologie du mot agonie. Pour certains il faut le faire dériver du grec agon, qui signifie combat ; pour d’autres l’origine est dans le latin agonia, qui signifie angoisse. C’est à méditer. N’empêche : l’angoisse n’est pas ce qui m’a le plus frappé chez les agonisants.

Quant à la dignité du patient, je suis pour ma part animé d’une conviction très forte : rien, en aucune circonstance, ne peut l’altérer, car la dignité est une prérogative inaliénable de l’être humain. Même les nazis ne sont pas parvenus à priver des hommes de leur dignité.

Bien à vous,

M.C.

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