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En réponse à :

mon père, mon papa....

, par Michel

Bonjour, Hélène.

C’est en effet une situation assez pénible qui vous attend maintenant : tout le monde s’est rendu à l’évidence, les soins inadéquats ont été supprimés, on attend. Et il n’est guère facile de trouver un sens à cette attente. D’ailleurs rien ne dit qu’elle en a un.

C’est très étrange, cette question du sens. Je crois que l’Homme est l’animal dont la fonction est de donner du sens. Il est donc normal, sain, bénéfique de chercher le sens des choses ; même (et cela se produit souvent, bien plus souvent qu’on ne pense) quand cette quête de sens aboutit à trouver n’importe quel sens à n’importe quelle chose. Plutôt la mort que le non-sens. Et d’un autre côté on ne peut pas tenir pour rien le fait que, précisément, cette quête éperdue aboutit, pas très souvent mais tout de même trop souvent à un désastreux n’importe quoi.

Et votre propos m’en donne deux exemples.

il y avait des larmes qui coulaient... est ce qu’il est malheureux et que c’est des larmes car il pleure ??? ou des larmes de joie de nous voir ??? Je pense des larmes de chagrin car son regard est triste.

Toutes ces explications sont possibles. Mais ne perdons pas de vue que chez le sujet âgé il existe de multiples causes de larmoiement, et que ces larmoiements ne sont l’indice d’aucune émotion particulière. Tout comme il est totalement usuel de voir des troubles de l’expression de émotions : rires sans gaieté, larmes sans tristesse.

L’équipe médicale est étonnée qu’il soit toujours en vie, ils nous ont dit : il est vraiment costaud, il ne veut pas partir...

Si la situation n’était pas aussi triste, cette remarque prêterait à sourire. C’est la même équipe qui, voici peu de jours, était en plein acharnement thérapeutique et qui maintenant s’étonne de la résistance du malade. Cela me fait songer qu’au fond d’elle-même elle n’a pas encore opéré sa conversion. Elle a cessé de se figurer qu’elle pouvait lutter indéfiniment contre la mort, mais pas à lui dicter sa loi : puisque nous avons décidé qu’il était temps que la mort vienne, de quel droit se permet-elle de ne pas venir ?

La réalité est que la mort fait ce qu’elle veut. Elle vient quand elle le décide, et nous n’avons si à nous y opposer ni à lui forcer la main.

Et du coup, désarçonnés par cette outrecuidance de la mort qui ne tient pas compte de nos revendications, la tentation est grande de chercher du sens. Et si votre père ne meurt pas, ce n’est pas parce que l’heure n’est tout simplement pas venue, non, c’est qu’il résiste, et comme il est costaud... Enfin, tout de même : voici peu de jours il était si faible que si on ne déployait pas autour de lui toutes les ressources de la médecine il allait s’effondrer d’un coup. Et ce sont les mêmes qui à si peu de distance vous disent une chose et son contraire.

Les malades qui résistent, qui ne veulent pas mourir, ou plutôt pas avant telle ou telle échéance, je crois que cela existe : j’ai vu des cas très troublants. Mais je sais que quand je pense cela, non seulement je dénie toute place au hasard, mais surtout je me forge un outil essentiel : si le malade résiste c’est qu’il attend quelque chose ; s’il attend quelque chose c’est que je peux l’aider ; et si je peux l’aider c’est que je ne suis pas totalement démuni devant ce qui arrive.

Or le plus probable est que le malade ne meurt pas tout simplement parce que son heure n’est pas venue. Et qu’il ne nous appartient pas de connaître ni d’agir sur cette heure. Et à cela je crois. Je crois que l’un des enjeux fondamentaux du mourir est là : accepter la mort de l’autre, c’est accepter qu’il m’échappe, qu’il m’échappe radicalement, au point que même son trépas m’échappe.

Et je me demandais plus haut quel est le sens de cette fin de vie. Elle a au moins celui-là : c’est le temps qui vous est accordé à tous et à toutes pour que vous puissiez consentir, dans le fond de vous-même, à ce qui est en train de se passer. Je sens bien que vous l’avez fait, ce travail. Mais la mort n’est pas à nos ordres ; tout ce que je sais c’est que ce temps de l’extrême fin de vie (il me fait penser à ce qu’on voit dans les ports : entre le moment où on retire la passerelle du paquebot et celui où il commence à s’éloigner du quai, il s’écoule un temps infini) a sa fonction, et qu’on ferait des catastrophes en cherchant à l’éluder.

J’ajoute un fait d’expérience : vous vous demandez combien de temps cela va encore durer. Dans ma pratique, ce moment où l’entourage, en somme, s’impatiente (avec tout l’atroce sentiment de culpabilité que cela peut impliquer) est, mystérieusement, le signe le plus fidèle que, justement, cela ne va plus durer très longtemps.

Croyez que je pense à vous.

M.C.

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