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En réponse à :

L’agonie

, par Michel

Bonsoir, Marina.

Vous avez bien raison de dire tout cela.

Il y a effectivement des gens qui veulent vivre à tout prix ; pourquoi n’y en aurait-il pas ? Nous avons prioritairement à combattre l’idée que tous les malades s’accrochent à la vie, de sorte que notre seul devoir serait de la prolonger à n’importe quel prix ; mais cela ne doit pas nous faire oublier que le contraire existe également.

Et cela doit encore moins nous faire oublier que les choses sont souvent mêlées de manière inextricable. Non seulement parce que même quand on a décidé de mourir le passage ne va pas de soi, de sorte qu’on peut parfaitement avoir simultanément envie et peur de mourir. Mais aussi parce que l’expérience de la mort est un événement incompréhensible, inassimilable, ce qui fait que les attitudes face à une telle énigme diffèrent de tout ce que nous connaissons. C’’est ce qui fait que, tout en ayant dit à qui voulait l’entendre qu’il préférait mourir plutôt que vivre une fin de vie difficile, il a fini par opter pour celle-ci ; ce n’est même pas, peut-être, qu’il ait changé d’avis : c’est plutôt qu’il voulait simultanément les deux choses, tout incompatibles qu’elles fussent.

Et du coup, face à un tel mystère, le plus raisonnable est de ne pas s’en mêler : si le malade a besoin de vivre dans une telle contradiction, il se peut qu’il ait ses raisons, même s’il ne les connaît pas.

Et il y a plus : car le malade qui va vers sa mort doit y exercer sa liberté. C’est là un point extrêmement difficile. Car la liberté du malade c’est d’abord la liberté de ne pas être d’accord avec moi, c’est d’abord la liberté de prendre des risques, de faire des erreurs.

Il m’est arrivé à de nombreuses reprises d’être face à des patients qui réclamaient de savoir où ils en étaient, et dont j’avais le sentiment qu’ils n’étaient pas en état de supporter ce que j’allais leur dire. Dans la plupart des cas la question ne se pose pas, et on peut avoir avec le patient une discussion sincère et franche ; dans d’autres cas la prudence impose de ne pas aller trop vite, et de savoir esquiver, au motif que le malade qui a vraiment envie de savoir ne vous laisse aucune porte de sortie, de sorte que s’il vous en laisse une c’est pour que vous la preniez. Mais il y a des cas où le malade crée une situation où vous n’avez d’autre choix que la vérité et le mensonge, alors même que vous avez de solides raisons de croire que la vérité va être très destructrice. Je persiste à croire qu’alors le médecin est tenu de dire les choses, avec toute la douceur possible, parce que c’est le choix du malade, parce que c’est son risque. Et si le malade veut tel ou tel traitement, dont je sais parfaitement qu’il lui sera plus nuisible qu’utile, et si je n’arrive pas à l’en dissuader, alors je n’ai d’autre choix que de lui obéir.

Bref, votre infirmière avait raison. Et vous avez bien fait de l’écouter. Nous ne sommes pas le malade, et nous n’avons pas à nous substituer à sa volonté, même si nous la désapprouvons. C’est d’ailleurs le parfait symétrique de ce que je racontais : cette vieille dame qui avait décidé de mourir, je n’étais pas d’accord. Mais c’était sa décision.

Bien à vous,

M.C.

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