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L’agonie

, par Michel

Bonjour, Pascaline.

Une première chose, tout d’abord : vous écrivez : j’ai perdu ma mère il y a un peu plus de 2 ans. Cela rappelle quelque chose d’important : le temps a passé, et il vous reste encore sur le cœur des incertitudes et des choses douloureuses. C’est ainsi parce que le deuil a sa mécanique, et que les choses se font lentement. Mais c’est ainsi également parce que notre système de prise en soins néglige d’accompagner les personnes endeuillées ; il n’est pas normal que vous ayez dû patienter deux ans pour trouver un lieu où on en parle.

Provisoirement je vous répondrais sur trois points :

1°) : Vous écrivez : Sa mort n’a absolument pas été paisible et a surtout été douloureuse physiquement pour elle malgré notre présence et malgré les solutions médicales apportées (morphine et Hypnovel. Cela m’inquiète, car ce n’est pas normal. Nous avons parfaitement les moyens d’assurer la paix de la personne mourante. Dès lors, de trois choses l’une :
- Soit on ne les a pas mis en œuvre dans les règles de l’art. Rappelons notamment qu’il n’existe aucune dose plafond pour la morphine.
- Soit on a limité les traitements parce qu’on ne voulait pas en payer le prix en termes d’altération de la conscience.
- Soit vous vous trompez, et c’est, heureusement, le plus probable : il n’est pas si facile d’interpréter correctement les manifestations qu’on observe pendant une agonie. Ce n’est pas facile parce qu’on n’en a pas l’habitude ; ce n’est pas facile non plus parce que la souffrance de ceux qui regardent limite leur capacité à juger avec réalisme. Nous avons de solides raisons de penser que les agonies sont toujours plus paisibles que ce que les proches en pensent (et c’est même ce qui nous fait accuser de sécheresse de cœur).

2°) : Vous écrivez : Nous lui avons tenu la main, caressé les cheveux, dit des mots rassurants pendant toute son agonie. Et c’est une très belle chose, et vous avez très bien fait. Mais voilà : nous ne savons pas ce que le malade ressent ou perçoit pendant son agonie. Nous avons quelques modèles, comme certains comas réversibles ; mais… justement, ils sont réversibles ; il y a une différence irréductible entre ce qu’on peut dire d’un coma et ce qu’on peut dire de l’agonie, les near death experiences n’ont pas de rapport avec la mort, tout simplement parce que ceux qui en parlent ne sont, précisément, pas morts. Et il y a une contradiction dont nous nous gardons bien de parler, dont je me garde bien de parler : on veut à la fois que le malade soit suffisamment conscient pour que notre présence près de lui ait un sens, mais suffisamment peu conscient pour qu’il soit à l’abri de la souffrance. C’est beaucoup demander. Je dirais plutôt :
- Que c’est sans doute ce souci qui a fait que les médecins, au risque de sous-traiter la douleur, n’ont pas voulu abuser des antalgiques (si c’est ce qu’ils ont fait).
- Que, fort heureusement, il semble bien exister, au cours de l’agonie, des mécanismes psychologiques protecteurs qui font que ce désir contradictoire n’est pas hors de portée ; nous savons que ces mécanismes existent, ils sont probablement de même nature que ceux qui font qu’un malade tétraplégique peut aimer la vie, et qui ont sans doute à voir avec la résilience, pour une fois convoquée ici à bon droit.
- Mais que de toute manière nous n’avons pas le choix : il est parfaitement possible que le mourant n’ait pas besoin de nous. Le problème est que, nous, nous avons besoin de lui, et que, plus encore nous avons besoin qu’il ait besoin de nous. Je l’ai écrit ailleurs : mourir n’est pas un phénomène individuel, ce n’est pas moi qui meurs, c’est nous qui nous quittons ; et mes besoins sont ni plus ni moins importants que les vôtres, je ne suis pas loin de penser que, même, ils le sont davantage. La seule issue est donc de nous dire que ce que nous faisons pour le mourant est capital pour lui. N’allons pas y voir de trop près. Et je suis très réservé quand vous écrivez : Je me souviens avoir lu quelque part que, lors des minutes ou secondes qui précèdent la mort, nous perdions nos sens petit à petit, chronologiquement. Il me semble me souvenir que la vue était le premier. Mon Dieu ! Comme ces gens sont savants ! Pour ma part je vous en parlerai mieux quand je l’aurai vécu.

3°) : En fait la seule chose importante est que vous avez besoin de parler de ce que vous avez vécu, vous avez besoin d’en entendre parler. Cela fait partie de votre deuil. Et c’est normal, même si au bout de deux ans on aurait pu espérer que les choses se seraient un peu apaisées. Pour autant je ne parlerais pas de deuil pathologique ; je me dis simplement que quelque chose ne s’est pas fait, ne s’est pas dit, que nous n’avons pas su vous parler, vous écouter quand il l’aurait fallu. Toujours est-il que les questions que vous posez ont été posées plusieurs fois sur ce site, montrant ainsi combien ce sont des questions normales en cas de deuil. Et il y a un fin mot à cette histoire : c’est que dans une situation de deuil nous avons tous tendance à chercher du sens, des explications. Mais votre deuil ne sera clos que quand vous aurez admis cette chose terrible : le propre de la mort est de n’avoir aucun sens.

Bien à vous,

M.C.

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