Poster un message

En réponse à :

L’agonie

, par Michel

Bonjour, Xavier.

Vous devez bien penser que je n’ai aucun moyen de répondre à votre question : si vous, qui avez été témoin de la scène, ne pouvez pas dire ce qu’il en était, que ferais-je en prétendant en savoir quelque chose ?

Ce que je peux dire, par contre, c’est que j’ai plus d’une fois vu des scènes analogues. Tantôt j’ai considéré qu’il s’agissait de mouvements réflexes, non significatifs, mais d’autres fois j’ai eu le sentiment que le malade était là et bien là, qu’il était présent, et qu’à sa manière il communiquait. Quand vous pensez qu’il était conscient, je suis donc prêt à vous suivre.

Mais les choses sont beaucoup plus compliquées, et plus douteuses.

La phase agonique est l’extrême fin de la vie ; je n’ai pas de preuves mais je serais prêt à parier qu’on ne peut pas parler d’agonie si on n’observe pas une altération du niveau de conscience ; en somme, tout comme on définit la mort comme l’arrêt définitif de toute possibilité de relation, je serais prêt à définir l’agonie comme le moment où, les fonctions vitales essentielles tombant en panne les unes après les autres, le cerveau entre dans un cycle de perturbations dont il ne sortira pas. Dès lors :
- La conscience est nécessairement altérée.
- Cela n’implique pas une disparition complète.
- Lorsque les fonctions les plus supérieures du cerveau sont altérées, cela libère les fonctions cérébrales inférieures, dont nous méconnaissons la puissance : on vous a appris au lycée que quand on détruit le cortex d’un chat il continue à être capable de marcher.
- Il est donc très difficile de savoir si les mouvements que nous observons chez le malade agonique témoignent ou non d’un état de conscience. C’est bien tout le problème des malades en état végétatif chronique : ils ouvrent les yeux, ils suivent du regard, cela ne dit en rien qu’ils ont les moyens de faire quelque chose de ce qu’ils voient.

Notre position est d’ailleurs très illogique. Je sais bien que quand la famille s’inquiétait de savoir si le malade souffrait, ma réponse était le plus souvent : « Dans l’état où il se trouve, il n’a plus les moyens de souffrir ». Et je continue de le croire. Mais… Si le malade n’est plus conscient, s’il n’a plus aucun moyen de souffrir, qu’en est-il de son aptitude à être présent à son environnement ? Et s’il n’est pas présent à son environnement, à quoi sert de rester près de lui ? Ce dont la famille a besoin c’est de savoir que l’être cher n’est plus assez présent pour souffrir de ce qu’il vit, mais pas encore assez absent pour qu’il soit légitime de l’abandonner. Il y a là une contradiction que je me suis toujours bien gardé d’explorer.

Et je crois qu’il ne faut pas le faire.

Je crois que le temps du mourir est un temps très particulier, très bizarre, et qu’il nous faut accepter cette bizarrerie. C’est le temps du mythe, et je suis très attaché aux mythes. Le temps du mourir est un temps mythologique parce que nous ne savons rien sur la mort ; ce ne peut donc pas être le temps de la connaissance ; et si la pensée scientifique ne peut se développer qu’en se débarrassant de tous les mythes, là où la pensée scientifique n’a plus de place la pensée mythique reprend tous ses droits, et elle en a. L’erreur de notre rationalité occidentale est de ne pas comprendre cela.

Du coup, qu’est-ce qui est essentiel dans l’agonie ? Probablement cette chose étrange : tout ce qui s’y passe s’y trouve sur le même plan ; ce que le malade vit (ou ne vit pas) ; mais aussi ce que la famille vit. C’est la notion même de vrai et de faux qui perd sa pertinence. Et c’est pourquoi il est si essentiel de ne pas chercher délibérément à écourter l’agonie. Il n’y a pas plus de sens à se demander si l’agonisant entend ou non ce que je lui dis qu’il n’y en aurait à se demander à quoi sert de parler au défunt, ce dont pourtant on ne se prive pas. Il ne faut pas analyser ce qui s’est passé, mais seulement prendre note de ce que vous avez vécu. J’y insiste : il en va de la relation à l’agonisant comme de celle avec le dément : il faut prendre le dément là où il est, et ne pas chercher à retrouver le papa ou la maman qu’on avait avant que la maladie ne fasse ses dégâts ; sauf que si le malade n’était pas mon papa ou ma maman, je n’aurais aucune raison d’aller à sa rencontre. De même je ne sais pas ce que l’agonisant perçoit de ma présence, mais je n’ai pas le choix : si je pense qu’il n’en perçoit rien, à quoi bon rester à le regarder ?

Bien à vous,

M.C.

modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?
Ajoutez votre commentaire ici
  • Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.