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En réponse à :

L’agonie

, par Michel

Bonjour, Kristel.

Sans avoir vu la patiente, il est bien dangereux de vous répondre. Je vais donc devoir me baser uniquement sur ce que vous écrivez, et vous donner un avis purement théorique.

Ce que vous racontez, c’est une lente glissade, depuis cinq ans, sur fond très probable de déclin intellectuel. Il y a tout de même quelques incertitudes, car on a du mal à concevoir une patiente qui refuserait toute alimentation depuis cinq ans (le Fortimel est une goutte d’eau dans la mer) ; il y a donc eu des hauts et des bas. C’est important, car cela complique la vision qu’on peut avoir de la situation actuelle. Il vous semble qu’il s’est passé quelque chose voici trois semaines, mais comment le savez-vous ? Est-ce un diagnostic médical ? Ou bien est-ce une hypothèse que vous faites à cause du sang que vous avez vu couler ? Quoi qu’il en soit, on n’en meurt pas, et la glissade va seulement continuer.

Mais peut-on parler d’agonie ? Je ne le sais pas. Ce n’est qu’une question de sémantique, mais elle est importante. L’agonie, c’est cette période très particulière où tous les organes vitaux, foie, rein, poumon, cœur, cerveau, tombent en panne les uns après les autres. Cela, par définition, concerne, disons les trente-six dernières heures de la vie. Toujours par définition une agonie qui dure plus de deux jours n’est pas une agonie. Et devant une patiente qui s’éteint peu à peu, il est très difficile de déterminer le moment où l’agonie va commencer. Et si vous me dites que cette extinction a commencé il y a cinq ans, vous devez bien penser que la marge d’erreur est énorme. Non : comme vous dites, elle vous quitte, petit à petit.

Par contre il y a deux choses dont je suis sûr.

La première est qu’il faut la soigner. Vous me parlez de douleurs atroces sur tout le corps. J’espère bien que vous vous trompez ; car si ce n’est pas le cas, si vraiment elle a mal, alors il faut la calmer, et si le paracétamol ne suffit pas il faut lui donner autre chose ; je ne veux pas entendre que « dans son état, vous n’y pensez pas, ce serait trop risqué » : d’abord parce qu’il n’y a pas de risque, ensuite parce que s’il y en avait un il serait négligeable devant cet autre risque, insupportable, de lui pourrir ce qui lui reste de vie.

La seconde est que cette fin de vie est interminable. Et que ce caractère interminable vous fait souffrir. Cela vous fait souffrir parce que le spectacle est désolant ; cela vous fait souffrir parce que vous êtes fatiguée ; cela vous fait souffrir parce que vous avez honte de ressentir ce désir obscur que tout ça se termine. Alors disons-le, répétons-le, je le ferai inlassablement : dans les fins de vie, il vient toujours un moment où l’entourage se demande « si ça va durer encore longtemps », il vient toujours un moment où on s’impatiente. Cette impatience est un phénomène normal, il fait partie des mécanismes normaux du deuil, notamment il permet la mise en place de cet élément essentiel du deuil qu’est le sentiment de culpabilité. Si donc vous éprouvez ce sentiment, il faut vous rassurer : vous en passez par où tout le monde passe, vous n’êtes pas un monstre d’égoïsme, simplement une petite-fille qui perd sa grand-mère. Ajoutons que dans mon expérience, quand l’entourage commence à se demander si les choses vont encore durer longtemps, c’est qu’elle pressent que quelque chose est en train de se passer, c’est le signe quasi infaillible que, précisément, non, cela ne va plus durer.

Bien à vous,

M.C.

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