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En réponse à :

L’agonie

, par Michel

Bonsoir, Françoise.

Je ne connais personne qui pourrait répondre de manière formelle à votre question. Il faudrait pour cela avoir assisté à la scène, et il faudrait que nous en sachions plus sur ce qui se passe.

Mais je me demande si c’est même souhaitable.

Il y a un paradoxe à la souffrance : c’est qu’elle constitue parfois un précieux écran à une souffrance plus forte. Et peut-être cette question que vous vous posez a-t-elle pour fonction aussi de diluer, ne serait-ce qu’un peu la souffrance essentielle de votre deuil. D’autre part si nous pensons que la fin de vie sert à quelque chose, qu’elle n’est pas qu’une longue et triste déchéance qu’il vaudrait mieux écourter, c’est parce que nous croyons, d’une manière confuse et énigmatique, que ce temps de la fin est une pédagogie de la séparation. Temps qui nous est donné pour apprendre à perdre l’autre, à le laisser partir, ce qui implique qu’on ne maîtrise pas la situation, ce qui implique qu’on ne la comprenne pas.On ne peut pas accepter que l’autre s’en va, on peut juste y consentir. Pour ces deux raison je crois qu’il est bon que les choses ne soient pas claires.

Maintenant, essayons de réfléchir.

Vous ne parlez pas d’une fin de vie très pénible. C’est rassurant, car un cancer du poumon chez un sujet très jeune ne se passe pas toujours bien. Soit donc (n’oublions pas que la douleur, par exemple, n’est pas du tout systématique dans les cancers) vous avez eu affaire à une évolution paisible, soit, et c’est le plus probable, vous avez eu affaire à une équipe qui a très bien fait son travail. C’est important, car cela permet de mieux supposer ce qui a pu se passer.

Il est tout à fait possible que votre fils ait été lucide jusque très tard dans l’évolution. Mais il se peut aussi que sa lucidité ait été obscurcie par de multiples facteurs (je cite au hasard un défaut d’oxygénation lié à la destruction des poumons, une surcharge en calcium par une métastase osseuse, enfin une foule de choses), ce qui fait que les derniers instants sont obscurcis (autant dire : adoucis) par une sorte d’ivresse.

Il n’est pas du tout rare que les patients entrent en agonie assez brusquement, presque d’un instant à l’autre, passant ainsi très rapidement d’un état de veille à peine altéré à un coma relativement profond. En principe quand il y a comme cela des troubles du rythme respiratoire, la perte de conscience est déjà assez importante. Et votre récit donne l’impression d’une agonie somme toute courte (moins de 12 heures) et somme toute assez calme (car la particularité de ces troubles respiratoires est d’être inconscients, ce qui fait que le malade n’en souffre pas).

Quel est le niveau de conscience de ces malades dans le coma ? Nous ne le savons pas avec certitude ; tout ce que nous pouvons dire c’est que :
- Lorsque nous appliquons les tests qui permettent d’évaluer la profondeur d’un coma (ou d’une anesthésie), les résultats sont qu’il s’agit en général de comas relativement profonds.
- Et lorsque nous observons ces malades, nous n’avons aucune raison de penser qu’ils souffrent ; à condition bien sûr de ne pas oublier que les choses qui nous font souffrir (par exemple les bruits respiratoires) sont inconscientes pour eux.

Sur ce qui s’est passé à la toute fin, je n’ai pas le droit d’avoir seulement une hypothèse : je n’y étais pas. Il est tout à fait possible qu’il se soit réveillé à l’extrême fin, mais franchement cela me surprendrait : je ne l’ai jamais vu, et je serais bien en peine d’expliquer comment cela pourrait se faire. J’imaginerais plus facilement que, par exemple, il a déclenché deux épisodes de type épileptique à cause du défaut d’irrigation cérébrale. Chaque fois que nous avons l’occasion de l’étudier il apparaît en effet que le décès est précédé d’un état de coma profond, qui dure tout de même plusieurs minutes. Autrement dit, quand nous décidons que le malade est parti, il y a en fait un bon moment qu’il n’est plus là. Jusqu’à preuve du contraire, ce que vous décrivez correspond donc à des mouvements automatiques, et ne revêt pas de signification particulière.

Ce qui me fait y insister, c’est que dès la veille au soir il entrait dans un coma somme toute calme, et dont il n’y a aucune raison de penser qu’il n’a pas évolué comme d’habitude, c’est-à-dire vers un approfondissement progressif. Dans ces conditions il n’y a aucun modèle permettant d’expliquer qu’il se soit brusquement réveillé, surtout à quelques secondes de son trépas. Et je n’y crois absolument pas.

Reste l’image qui est, elle, spectaculaire et terrifiante. Mais de savoir qu’elle ne correspond à rien de réel, peut-être cela sera-t-il pour vous un apaisement.

Merci à vous de votre confiance. Nous pouvons en reparler.

Bien à vous,

M.C.

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