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En réponse à :

> De Berck à saint Astier

, par Michel

Bonsoir, et merci de votre message.

Mais je crois que nous ne sommes pas du tout d’accord.

Je travaille en unité de soins palliatifs. Cela signifie que ma seule activité professionnelle est de m’occuper de la souffrance des autres, et qui plus est des pires des souffrances ; car comme nous ne pouvons pas honorer toutes les demandes qui nous sont présentées nous nous limitons aux pires situations. On peut difficilement soutenir que dans notre unité nous en sommes à « généreusement ignorer les souffrances de ceux qui y sont réellement confrontés » ; au contraire nous faisons partie de ceux qui les connaissent le mieux.

Et pourtant les faits sont que la question de l’euthanasie ne se pose pas chez nous. Et si elle ne se pose pas, ce n’est pas parce que nous refuserions au nom d’un respect de la vie d’en pratiquer ; Si nous refusons c’est tout simplement parce que nous n’en avons nul besoin.

Reprenons la situation de Saint-Astier. Reprenons-la prudemment, car nous n’y étions pas, et nous ne pouvons donc parler que des faits tels qu’ils nous ont été relatés. Il me semble évident qu’on mélange tout, et que ce mélange n’est pas anodin.

On nous a dit que la malade elle-même avait demandé qu’on ne la laisse pas atteindre un certain degré de dégradation. Soit. Ceci n’est en rien un question d’euthanasie, c’est un problème de suicide assisté, sur lequel je reviendrai. Tout ce que je note c’est que les protagonistes de cette affaire semblent ne pas avoir tenu cet engagement, et qu’ils l’ont laissée atteindre ce degré de dégradation. Si on voulait répondre à son voeu il fallait le faire avant.

Ensuite la malade est entrée dans le coma. Le coma, je connais, j’en vois tous les jours. Et j’ai appris, comme tout médecin de soins palliatifs, à évaluer la profondeur des comas, et nous avons des moyens assez simples de savoir si un malade dans le coma a des douleurs ou non. Et si un malade est dans le coma et que nous estimons nécessaire d’approfondir ce coma, nous savons fort bien le faire. Un malade dans le coma a cessé de souffrir, et dans ces conditions il n’y a pas lieu de dire qu’il faut abréger des souffrances qu’il n’éprouve pas.

On nous a dit qu’elle vomissait ses selles ; notez qu’on ne nous l’a pas dit au début de l’affaire, mais peu importe : cette dame avait un cancer du pancréas, elle était en occlusion, et l’occlusion en fin de vie est un problème classique que nous savons fort bien résoudre. Au demeurant, il s’agissait de ce qu’on appelle des vomissements fécaloïdes, Dieu merci il n’est pas possible de vomir ses selles, mais peu importe.

Donc, quelle que soit la manière dont on aborde la situation de la patiente, il n’était nullement nécessaire de la tuer pour la mettre dans le confort. On nous a parlé d’acte d’amour. Je crois que si j’aime mes patients je leur dois d’abord de les soigner correctement, avec des moyens adaptés à leur état. Encore une fois ne perdez pas de vue que des malades comme celle de Saint-Astier, j’en ai en permanence un ou deux dans le service.

Je ne crois absolument pas que la situation que nous vivons soit le fait des politiques. Au contraire il me semble évident que les politiques sont de plus en plus tentés de légaliser l’euthanasie, parce que ça fait mode, et aussi pour des raisons économiques : les soins palliatifs coûtent cher.

Je crois comme vous que nous avons tous le droit de mourir dignement ; mais tous les malades que je vois meurent dignement ! Ils meurent dignement parce que nous les respectons. Et aucun n’est euthanasié.

Maintenant, voyons le plus difficile.

Vous dites : « Au nom de quoi, de quelle hypocrisie certains s’acharnent à nier un droit qui est inaliénable, autant que le droit à la vie : simplement mourir avec dignité... »

S’il s’agit de mourir avec dignité, je vous le répète : venez visiter le service, vous verrez que tous les malades meurent avec dignité, pourvu qu’on les respecte. Et respecter le malade ne conduit jamais à le tuer, c’est au contraire quand on ne le respecte pas qu’il peut demander la mort. Ce n’est jamais la souffrance, ce n’est jamais la déchéance qui légitiment l’euthanasie, parce que nous savons y parer. La demande d’euthanasie arrive quand les professionnels cessent de considérer le malade comme quelqu’un de digne.

S’il s’agit, maintenant, d’un droit à la mort, d’un droit au suicide, alors il faut considérer d’une part que c’est un autre problème, d’autre part que cela n’a pas de sens. Le droit, c’est un ensemble de règles qui permettent d’organiser la vie en société ; par définition il ne peut donc y avoir de droit à mourir, car la société n’a rien à dire sur ceux qui veulent la quitter ; ce droit n’existe absolument nulle part. Il n’existe nulle part parce que ce n’est pas une affaire de droit. Chacun est libre de mourir, notamment parce qu’on se demande comment on ferait pour imposer le respect d’une interdiction (la Suisse n’autorise pas le suicide assisté, elle ne fait que renoncer aux poursuites). Bref la société n’a rien à dire et ne peut rien dire sur le suicide, et c’est pourquoi l’idée de réclamer une loi dans ce sens est une ineptie. Je passe sur le fait que pour moi la liberté de se suicider n’est pas une évidence : je suis le produit d’une société, qui a investi sur moi, et il n’est pas du tout évident que ma vie m’appartienne absolument ; mais de cela certes chacun juge pour soi.

Maintenant vous dites : « A ca stade, comment fait-on ? Comment procéder ? Celui ou celle qui décide en son âme et conscience de mettre fin aux tortures et aux souffrances de sa maladie, comment, par quels moyens cette personne pourra-t-elle se procurer le chlorure de potassium qui mettra un terme aux souffrances endurées sans fin et qui enfin lui permettra de partir dignement. »

Je ne vais pas vous redire qu’il n’est jamais nécessaire de tuer les gens pour supprimer leur souffrance, encore moins pour les rendre dignes. Mais je vous suggérerai une simple expérience. Allez sur Internet, et demandez à votre moteur de recherche de vous renseigner, par exemple en tapant deux mots d’usage courant qui circonscrivent un peu votre sujet. L’information nécessaire tombe en moins de dix secondes. Il est totalement faux de dire que la technologie du suicide, j’entends d’un suicide propre et confortable, requiert une assistance médicale.

« A quel prix fixera-t-on celui de sa propre dignité ? Il serait grandement temps de se révolter et passer outre les interdits d’une telle civilisation. »

Il existe un malentendu massif sur la question de la dignité : on ne met pas la même chose sous ce mot, et c’est une des raisons du trouble dans les esprits. C’est là-dessus peut-être qu’on aurait à travailler.

Bien à vous,

M.C.

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