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En réponse à :

La perfusion sous-cutanée

, par Michel

Bonjour, Dominique.

Même sans être auprès de la malade, j’ai l’impression qu’effectivement l’entrée en agonie se précise. Ce n’est toutefois pas certain, et cela pour deux raisons :
- La première est qu’on vient d’augmenter la morphine. Dans ces conditions il est habituel d’observer une sédation, qui peut faire croire à une aggravation, alors qu’elle va disparaître en deux ou trois jours.
- La seconde est que, comme vous le notez, votre mère a encore les moyens de manifester son opposition aux aspirations.

Mais tout de même.

Le râle agonique est une épreuve terrible pour les nerfs des proches. Il faut donc le remettre à sa juste place.

Il est provoqué par des sécrétions laryngées. Autrement dit ce n’est rien d’autre qu’un chat dans la gorge, et s’il est spectaculaire c’est simplement parce que le patient n’est plus en état de l’évacuer. Mais pour lui il n’est pas plus inconfortable que ce dont nous avons l’expérience par nous-mêmes, et il n’entraîne aucun risque d’asphyxie.

J’ai toujours été sceptique quant à l’intérêt des aspirations en pareil cas. Souvenons-nous que l’aspiration bronchique est un geste technique difficile et agressif, que bien peu de soignants savent réaliser ; dans la pratique quand on aspire on ne fait que réaliser une toilette pharyngée, ce qui est peu efficace et générateur de nausées, de douleurs, bref d’inconfort ; c’est d’ailleurs ce que votre mère manifeste. Bien sûr il y a des cas particuliers, mais c’est globalement un geste que je n’ai jamais aimé.

La scopolamine serait efficace, mais elle pose un double problème :
- Technique : la scopolamine a des effets secondaires. Il faut savoir les assumer, mais il faut être sûr que le bénéfice du traitement va l’emporter sur ses inconvénients.
- Éthique : puisque le malade ne souffre pas de ce râle, pourquoi lui donne-t-on de la scopolamine ? Pour faire cesser un bruit qui nous est insupportable. Or il n’est guère permis de donner à Pierre un traitement dont il n’a pas besoin au motif que cela arrange Paul.

Vous entend-elle ?

Allez savoir.

Ce que je sais c’est que vous n’avez pas le choix : toute votre stratégie repose sur le postulat que votre présence sert à quelque chose. D’accord, elle vous sert à vous. Mais si nous disons que votre mère ne sait rien de ce qui se passe, alors tout cela n’a aucun sens.

En pratique, si elle a encore la possibilité de réagir aux aspirations nous sommes tenus de penser qu’elle est encore présente à ce qui arrive. Présente au point de pouvoir en souffrir ? Je n’en sais rien. Dans le discours habituel des soins palliatifs, il y a une inconséquence : on vous dit à la fois que votre présence est importante parce que la malade la ressent, et que dans l’état où elle se trouve elle n’a plus les moyens de souffrir. Il y a là une contradiction qui frise la malhonnêteté intellectuelle. Alors prenons le problème autrement : ce que vous voyez c’est une dame qui dort, du moins quand on ne la dérange pas. Elle est donc probablement dans un état de confort correct. Quant à la question de savoir si elle ressent votre présence, c’est évidemment plus difficile, et on préfère qu’elle ne la ressente pas et soit confortable plutôt que l’inverse. Mais la pratique des soins palliatifs montre qu’on arrive souvent à un équilibre mystérieux où l’inconfort est très limité et où subsiste assez de présence au monde pour qu’on voie bien que des choses sont perçues. Mais je le répète, c’est de l’ordre du pari : nous n’avons pas d’autre choix que de croire que ce que nous faisons sert à quelque chose.

Le mourir nous échappe. Nous ne savons pas pourquoi nous faisons ce que nous faisons. Mais c’est dans ces actes que se joue notre humanité. Et votre amour filial.

Bien à vous,

M.C.

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