Bonjour, Jack.
Je voudrais être sûr que j’ai été clair.
1°) : Il y a une différence entre ce que je vous dis et la réaction que je peux imaginer d’avoir en pareil cas.
L’essentiel de mon activité, je l’ai faite en province, où les relations peut-être ne sont pas les mêmes qu’à Paris. Et je crois que perso, dans une situation comme celle que vous décrivez, je prends mon téléphone et j’interviens. Mais :
Ma belle histoire d’amour a pour but de vous expliquer qu’il m’est arrivé de m’en mordre les doigts.
Je suis là pour essayer de comprendre pourquoi d’autres médecins semblent agir autrement.
2°) : Je maintiens ce que je vous ai dit sur la loi :
On ne comprend rien à la loi si on se figure qu’elle est là pour être juste, alors qu’elle est là pour être efficace. Je ne sais pas quel âge vous avez, mais quand j’étais gosse on lisait sur tous les billets de banque l’article du Code Pénal prévoyant la peine de mort pour les faux-monnayeurs. Autrement dit la fausse monnaie était punie plus sévèrement que le meurtre ou le viol. C’est que la société pouvait survivre à la présence en son sein de quelques brutes ou de quelques ordures, mais qu’elle s’effondrait si on touchait à la confiance qu’on devait avoir envers le système financier. C’est la même raison qui fait que dans les westerns on juge les meurtriers mais qu’on pend les voleurs de bétail : en l’absence du barbelé la civilisation américaine ne pouvait survivre à l’insécurité de l’élevage. Ou encore, quand les suédois ont voulu régler le problème de l’alcoolisme au volant ils ont prévu deux ans ferme. Et ils l’ont appliqué. En d’autres termes la loi est une disposition qui de donne un but et les moyens de l’atteindre. En général, mais en général seulement, il n’y a pas lieu que la loi soit injuste. Et même, une loi n’est efficace que si elle est acceptée, et elle n’est acceptée que si elle est juste. Mais ce qui donne légitimité à la loi, ce n’est pas qu’elle est juste, c’est qu’elle poursuit un but socialement légitime et qu’elle se donne les moyens de l’atteindre.
Il en va de la loi comme des planisphères : elle est juste en moyenne, mais pas aux périphéries. Et du coup les choses sont telles que, de par la présence même de cette loi, on traiterait les cas périphériques de manière plus juste si cette loi n’existait pas. Il vous suffit de regarder, cette constatation est monnaie courante.
3°) : Je ne suis pas sûr que vous voyiez les conséquences de ce que vous souhaitez. Il y a deux possibilités juridiques pour le médecin d’intervenir :
La première est de signaler une situation susceptible de nécessiter une mise sous protection judiciaire (la loi interdit au médecin de demander une tutelle) ; mais le médecin sait que sa demande n’aboutira que s’il existe des critères médicaux précis. La question est de savoir s’ils sont réunis, faute de quoi le médecin perdra son temps, et sera alors susceptible d’être poursuivi, ayant contrevenu sans motif légitime au secret professionnel.
La seconde est de signaler une situation de maltraitance. J’ajoute qu’à mon sens il en a l’obligation, mais ce point est très discuté. Le risque personnel qu’il prend est alors identique.
En d’autres termes, ce qui se passe c’est que la loi a fortement limité le pouvoir d’intervention du médecin. C’est la contrepartie, à mon sens largement légitime, des abus de pouvoir auxquels ma profession s’est prêtée jusque dans un passé récent. Mais ce dessaisissement a des conséquences. Notamment on crée ainsi de trous dans lesquels rien ne marche. C’est là que vous vous trouvez.
La solution ? Probablement ce que j’aurais fait dans le cas que vous décrivez : prendre mon téléphone et appeler le proc. Mais je l’aurais fait parce que je le connaissais, qu’il me connaissait, et qu’on en aurait parlé sur le zinc autour d’un demi, et non dans une rencontre officielle. Parce qu’officiellement il n’y a aucune solution. Ajoutons, mais cela n’a pas d’importance, que les seuls ennuis que j’ai eus, je les ai eus dans ce genre de situation (je vous rassure, cela ne m’a pas guéri).
Bien à vous,
M.C.
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