Poster un message

En réponse à :

Préalables à une psycholologie du sujet âgé

, par Corinne Venisse

Bonjour Docteur,
Heureusement que des sites comme le vôtre existent, vos messages valent de l’or et donnent du réconfort je pense à de nombreuses personnes grâce à l’analyse très fine et très humaine des situations qui vous sont soumises.
Mon père est décédé il y a quinze jours dans l’ehpad dans lequel il était depuis début novembre et j’ai beaucoup de mal à accepter les circonstances de sa mort. A cause de l’épidémie de coronavirus et de l’interdiction des visites, je n’ai pas pu le revoir avant sa mort et je n’ai pas pu l’accompagner pour son dernier voyage. Cela est très cruel car autour de cette fin de vie, il y a un énorme vide et beaucoup de questions restées en suspens qui me tourmentent et ne me laissent pas en paix. Nous qui alliions le voir ma sœur, ma mère et moi presque quotidiennement depuis septembre 2019, jamais je n’aurais imaginé cette fin ! Peut-être pourrez-vous me donner un éclairage sur cette fin de vie et me permettre de mieux faire le deuil. Je vais essayer de vous donner des éléments qui vous permettront peut être de jeter un peu de lumière sur les derniers instants.
Nous avions échangé en septembre/octobre 2019 à propos de l’état de dépendance croissant de mon père et mon questionnement autour de son entrée en maison de retraite. Vous m’aviez beaucoup aidée dans cette période de bouleversement émotionnel avec vos analyses très justes de la situation (même si j’ai eu du mal à intégrer tous les éléments de votre analyse). Mon père est finalement entré dans une première maison de retraite en novembre. Il a été transféré dans une deuxième maison de retraite vers la mi-février en raison du coût très élevé de la première et d’une carence de soins liée à un manque de personnel. La deuxième maison de retraite était satisfaisante avec un personnel dévoué et humain qui faisait ce qu’il pouvait, même si c’était insuffisant vu l’état de santé de mon père. Malheureusement, la dépression ne l’aura jamais quitté. Il disait très souvent « Je suis foutu, je ne sais pas comment me sortir de cette m…. Il ne supportait pas son état de dépendance avancé (GIR2). Il n’a jamais vraiment accepté l’idée d’un séjour définitif en institution car il évoquait sa sortie quand il serait « plus en forme « . Il s’accrochait à ses séances de kiné et nous parlait de ses progrès.. En fait, nous ne savions pas vraiment où nous allions et si ses progrès pouvaient permettre un jour un retour à la maison ; ma mère voulait quand même le reprendre, il lui faisait trop de peine. Nous y croyions quand même lorsque nous le voyions faire des efforts pour retrouver des muscles et lorsqu’il mettait un point d’honneur à finir ses compléments alimentaires. Il avait l’air d’être presque heureux le week-end lorsque nous amenions une petite bouteille de champagne. Cette ambivalence vis-à-vis de la vie nous faisait espérer une amélioration de son état mais avec du recul, je me rends compte à quel point son état de santé général n’était pas bon.
Dans la première maison de retraite, il a eu des accès de fièvre relevant successivement d’un panaris, d’une infection urinaire et du poumon. Il a à chaque fois été à nouveau cloué au lit. L’infection du poumon a nécessité un transfert à l’hôpital où il a passé une semaine avant d’être transféré dans la deuxième maison de retraite. C’était mi février. Il en est ressorti affaibli mais ne lâchait pas pour autant la kiné. Il en parlait et appréciait beaucoup ses séances. Il appréciait aussi le personnel soignant et disait toujours qu’ils étaient gentils (contrairement à la première maison de retraite où certaines aide-soignantes lui faisaient même peur). Il avait commencé à descendre tout seul en chaise roulante à l’heure du déjeûner pour manger avec les autres pensionnaires. Nous nous disions qu’il s’habituait et commençait à s’adapter à son état.
C’était sans compter sur la survenue d’une infection urinaire début mars qui l’a à nouveau cloué au lit et qui a duré environ deux semaines. La deuxième semaine, en raison de l’épidémie de coronavirus, les visites n’ayant plus été autorisées que pour une personne, seule ma mère lui a rendu visite. A la fin de cette semaine là le dimanche, il a eu un problème de rythme cardiaque et on a voulu le transporter à l’hôpital en urgence. Il n’a pas voulu malgré l’insistance des gens du SAMU. C’est le dernier soir où je l’ai vu car on nous a exceptionnellement autorisées ma sœur et moi à monter dans sa chambre quelques minutes. Il avait l’air serein, calme et content d’être resté à l’Ehpad. Ce soir là, le gouvernement interdisait toutes les visites dans les Ehpads.
Il est mort deux semaines après, un mercredi 1er avril (lui qui adorait faire des blagues et nous faisait toujours rire lorsqu’il était plus jeune). Les coups de téléphone échangés pendant cette période étaient tous très brefs. Il était très fatigué et très las au téléphone. Une infection pulmonaire avait en effet tout de suite succédé à l’infection urinaire. Je lui disais de tenir bon jusqu’à ce qu’on puisse le revoir. Je le ressentais souvent comme absent. Je commençais à me dire qu’il ne tiendrait pas sans visites tout ce temps là. Le temps passait, je le sentais de plus en plus décliner. Un jour une aide-soignante m’a très gentiment proposé de l’appeler sur Whatsapp. C’est la dernière fois où j’ai vu son visage. L’infection pulmonaire ne passait pas et cinq jours avant sa mort, le vendredi, la médecin nous a informées qu’un autre antibiotique lui avait été prescrit. Le samedi, ma mère m’a dit qu’il toussait énormément au téléphone et qu’il n’avait pas pu lui parler. Elle pensait que sa fin était proche. Cela m’a inquiétée et j’ai appelé l’Ehpad leur disant qu’on avait l’impression que c’était la fin. J’ai eu la médecin qui m’a certifié que non, qu’il allait très bien. Le jour d’après, le dimanche, il m’a appelée extrêmement angoissé à 19 h30, un peu délirant, il m’a dit qu’il avait été kidnappé, qu’il fallait que je le sorte de là et que je vienne casser la fenêtre de sa chambre. Je ne sais pas comment, mais j’ai réussi à le calmer. Je ne pouvais plus joindre aucun soignant à cette heure là. J’ai demandé à ma mère de le rappeler vers 20h30 pour le rassurer au cas où il n’irait toujours pas bien. Tout était rentré dans l’ordre, mais dans la nuit ma sœur a reçu deux appels un à 4 h et un à 5 h. Il était à nouveau extrêmement angoissé et demandait du secours. J’avais mis mon téléphone sur mode avion cette nuit là et le lendemain, j’ai su qu’il avait cherché à me joindre avant d’appeler ma soeur. J’ai écouté son message. Ca a été horrible, le message a duré au moins cinq minutes et il n’arrêtait pas de crier au secours et de demander de l’aide.
Le lendemain lundi, j’ai appelé l’Ehpad pour leur signaler la crise d’angoisse de la nuit et demander qu’on lui donne des calmants. On m’a d’abord passé une aide-soignante qui m’a donné des nouvelles me faisant savoir qu’il allait bien lorsqu’elle lui a fait la toilette, qu’il était normal. Après, j’ai eu la médecin qui m’a dit qu’elle verrait pour les calmants car elle était réservée quant à leur administration à des personnes âgées. Le lendemain, mardi, j’ai eu mon père au téléphone pour la dernière fois. Je l’ai trouvé particulièrement serein et détaché. Il m’a dit que ça allait, qu’il n’avait pas de souffrances physiques. Je lui ai dit que j’avais envie de le voir, il m’a dit moi aussi. C’était notre dernier échange.
Le lendemain mercredi, la médecin m’a appelée vers midi pour me dire qu’il était parti le matin. Une fois le choc passé, je l’ai rappelée pour lui demander s’il avait souffert et si elle lui avait finalement donné des calmants. Elle m’a dit qu’elle lui avait donné du Serestra car il était toujours anxieux et en avait réclamé. Ce qui me tourmente c’est de savoir s’il a souffert. Peut-être avez-vous une idée ? Peut-être a-t-il crié au secours comme cette nuit de dimanche et personne n’avait été là pour le rassurer ? J’aurais tant voulu pouvoir l’accompagner dans ces derniers moments, j’ai toujours imaginé que je le ferai. Je m’en veux de ne pas avoir insisté pour le voir car je sentais quand même à l’arrêt des visites que les forces le quittaient et qu’il lâchait prise. Peut-être nous aurait-on autorisées. Je regrette aussi de ne pas avoir eu le temps de lui écrire et faire parvenir des cartes où je lui exprimais mon amour, j’en avais l’intention mais ai trop procrastiné. Heureusement ma mère, ma sœur et ma nièce l’ont fait. Une aide-soignante m’a confié qu’il avait les larmes aux yeux quand on les lui lisait. C’est trop dur de repenser à ses derniers jours, de se dire qu’il est parti tout seul, peut être dans l’angoisse lui qui a toujours eu peur de la mort. Le jour de sa mort, la médecin m’a dit qu’elle était sûre à 99 % qu’il n’avait pas le coronavirus et que nous pouvions voir le corps si nous le souhaitions. Une seule personne étant autorisée, c’est ma mère qui y est allée. Elle nous a dit qu’elle était contente de l’avoir vu car il avait l’air très serein, comme libéré de ses souffrances.
Deux jours après sa mort, nous avons reçu les résultats du laboratoire à savoir qu’il avait le coronavirus. Au vu de ces résultats inattendus, la médecin nous a dit qu’il a dû contracter le Covid seulement dans les trois jours précédant son décès. Le virus se serait en effet attaqué à un poumon déjà affaibli par l’infection pulmonaire existante et aurait de ce fait précipité le dédès. Il était peu probable selon elle que le Covid soit là depuis longtemps, mon père étant très faible il n’aurait pas pu résister sur une durée plus longue.
Avec tous ces éléments, auriez-vous une idée sur comment se serait passées les heures avant sa mort ; cela a-t-il été rapide ? a-t-il eu le temps de prendre conscience ? Se peut-il qu’il soit parti sans s’en rendre compte ? Son visage serein à sa mort est-il le signe que cela se soit « bien » passé ? Je suis bien consciente que je vous pose des questions peut-être sans réponse, mais vos réflexions sont toujours très fines et mettent du baume au cœur.
Merci si vous avez réussi à finir ce long message, d’autant que vous avez repris du service comme je l’ai appris et que votre temps est précieux. Je ne suis pas surprise vous connaissant un peu à travers vos écrits de votre engagement.
Prenez soin de vous.
Corinne

modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?
Ajoutez votre commentaire ici
  • Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.