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En réponse à :

de l’aLe sentiment de culpabilité

, par Michel

Bonsoir, Marie-France.

Comment ne pas vous comprendre ? Votre récit est d’un réalisme, d’une lucidité extraordinaires.

Vous êtes allée au bout de vos forces, vous les avez même sans doute dépassées, vous avez pris des risques pour vous-même… La seule chose à dire est que votre conduite aura été admirable, la seule chose qui vous manque est de savoir que, dans une situation comme la vôtre, personne, je dis bien personne, ne tient jusqu’à la fin. Et que vous auriez dû, au contraire, passer la main plus tôt. Car on n’a jamais le droit d’essayer de sauver un autre au prix de sa propre vie, et vous aurez payé, pour tenter cette entreprise impossible, un prix exorbitant.

Le maintien à domicile n’était plus possible. Je ne sais pas où vous étiez, mais visiblement l’environnement ne permettait pas de vous assurer un niveau d’aide à domicile qui puisse vous permettre de vous en sortir. Il est complètement illusoire d’essayer de monter une véritable entreprise de maintien à domicile suffisamment efficace, le coût en serait prohibitif. Dans une situation comme la vôtre il n’y a pas de sens à prétendre que les moyens que nous pouvons mettre à votre disposition sont suffisants.

Toutes les conditions sont réunies pour imposer l’institutionnalisation : la grabatisation, l’incontinence, les troubles intellectuels, les troubles du sommeil… on le sait d’autant mieux qu’il n’y a aucune illusion à se faire sur l’état d’un parkinsonien au bout de vingt ans d’évolution. Quand de surcroît vous y ajoutez la maladie d’un autre être qui vous est cher, la seule question qu’on se pose est de savoir comment vous avez bien pu faire pour ne pas vous effondrer.

On ne peut rien contre la réalité : la place de votre mari était en EHPAD, et depuis longtemps. Ce n’est pas vous qui l’y avez mis, c’est la maladie.

La culpabilité est à la fois un piège, une aide et une nécessité.

C’est une nécessité parce que la culpabilité est un élément du deuil normal. Car ce à quoi vous êtes confrontée est un deuil. Deuil de votre bonheur, deuil de votre mari tel que vous l’avez connu, deuil… Il faut alors reprendre les étapes du deuil tel qu’on les décrit classiquement. Passé la phase de sidération, au cours de laquelle le sujet a du mal à réaliser ce qui est en train de se passer, il est courant de voir arriver une phase de colère : ce qui arrive n’aurait pas dû arriver, c’est forcément la faute de quelqu’un. Et la culpabilité n’est qu’une colère contre soi-même.

C’est là le piège : cette culpabilité est complètement irréaliste, car elle vous entretient dans l’idée que vous n’en avez pas fait assez, que vous n’avez pas tenu là où il fallait tenir, bref que vous pouviez éviter ce qui s’est passé, alors qu’en réalité rien ne pouvait faire que cela n’arrive pas.

Mais c’est une aide parce que cette illusion que vous auriez pu éviter l’inévitable vous permet, lentement, d’apprivoiser la situation, de vous y faire. La culpabilité est une amie, à condition de ne pas en être dupe et de ne pas s’y éterniser.

Ceci rappelé, essayons d’analyser ce que vous rapportez.

Votre mari présente probablement des troubles cognitifs : lorsque le Parkinson évolue longtemps, ces troubles sont fréquents. On ne s’en aperçoit pas parce qu’il n’est pas si fréquent qu’un parkinsonien ait une espérance de vie de vingt ans (argument pour dire que la qualité de votre prise en charge aura été exceptionnelle). Mais ils arrivent très souvent. Dans ces conditions nous pouvons penser qu’il n’est plus apte à prendre conscience de la gravité de son état et de la lourdeur de ce qu’il vous impose. Les hallucinations y font penser ; elles existent chez le parkinsonien, mais elles font aussi penser à ce qu’on nomme une démence sous-corticale ; notamment la démence dite « à corps de Lewy » associe des signes de la série parkinsonienne, une dépression et des hallucinations.

Mais s’il n’a pas de trouble cognitif, il est au minimum dans la même situation de deuil que vous, avec les mêmes mécanismes de défense et d’adaptation. S’y ajoute la dépression, si fréquente en pareil cas, non seulement parce que la dépression est fréquente dans la maladie de Parkinson mais encore parce que, dans l’état où il est, il a tout de même de fort bonnes raison de déprimer.

Tout 2017 je lui ai répété, en boucle, que j’étais nerveusement à bout, qu’il fallait qu’on trouve des solutions, si l’on voulait rester ensemble longtemps. Il ne répondait pas.

Sans doute n’aurais-je pas répondu non plus : je n’aurais rien eu à proposer, et j’aurais préféré vous laisser la responsabilité d’une décision que je n’avais pas le cœur de prendre. Mais j’y reviendrai.

J’avais fait des dossiers pour des moments de répit…
Essayé deux fois.. Sans succès... Ne s’y adaptant pas. Puis, j’avais trouvé une dame accueillante pour 2 nuits et 3 jours tous les quinze jours. Il a accepté 1 mois. Après, il a refusé d’y retourner
.

Bien sûr : dans une telle situation l’attitude la plus fréquente est de se crisper sur une position, fût-elle irréaliste. À faire autrement on s’expose au risque de devoir reconnaître que les choses s’aggravent. Il s’agit là d’un mécanisme de déni : il y a une mauvaise nouvelle, je le sais parfaitement mais je ne veux pas le savoir.

Puis j’ai trouvé mon mari encore plus somnolent. J’ai appelé le médecin qui l’a fait hospitaliser. Et là j’ai décidé que je ne le reprendrai plus. Un mois plus tard, il entrait en EHPAD.

C’est le schéma classique. Et la réaction habituelle de l’équipe soignante est de s’exclamer : Mais comment a-t-on pu laisser une telle situation à domicile ?

Je le visite tous les jours (droit à une heure).
Avant le covid, nous sortions régulièrement à l’extérieur
.

Donc vous continuez de faire tout ce que vous pouvez.

Il était revenu en visite à la maison un an et demi après son entrée. Était énervé d’avoir été privé de sa maison. Il m’a dit : "tu m’as mis en EHPAD".

Là aussi, c’est un schéma classique. Il se trouve dans cette phase du deuil qui correspond chez vous à la culpabilité, et chez lui à la colère. C’est pour lui comme pour vous une manière de cheminer vers l’acceptation de ce qui lui arrive : après le déni : je ne suis pas malade, vient souvent la colère : si je suis dans cet état ce n’est pas parce que je suis malade, c’est votre faute. Mine de rien, disant cela il reconnaît qu’il est malade, simplement il n’en est pas encore à se dire que c’était inéluctable. Ajoutons qu’il ne peut pas ne pas constater que l’institutionnalisation a aussi quelques avantages ; si on peut profiter de ces avantages tout en vous reprochant votre décision, on gagne sur les deux tableaux.

J’ai le regret de l’y avoir mis, sans son accord préalable. Ce n’est pas faute de m’être exprimée.

En effet. Mais je vous rappelle la loi : si vous n’étiez plus là, votre mari se serait retrouvé sous tutelle. Et la loi dispose que quand la personne protégée est mariée, il n’y a pas lieu à tutelle parce que le devoir d’assistance impose au conjoint les mêmes choses que ce que ferait une tutelle. Reste que la loi dispose aussi que, même sous tutelle, la personne protégée choisit son lieu de résidence, mais cette disposition est tellement idiote que dans la pratique on ne l’applique pas.

Par contre, je ne l’ai jamais menacé de le mettre en EHPAD (j’aurais peut être dû, il aurait peut être réagi).

Cela n’aurait rien changé. La seule chose que je dirais c’est qu’on ne doit jamais menacer. Ce que vous auriez pu faire, mais je me doute bien que vous l’avez fait, c’est lui représenter la situation et de lui dire que vous n’en pouviez plus.

Souvent, j’ai le désir de le reprendre... mais je n’arrive pas à trouver le courage de mettre en place cette marche arrière.

Il est hors de question de le reprendre : cela ne tiendrait pas une semaine.

Il m’a dit il y a deux mois qu’"il en avait marre de cet enfermement et des cris des aides-soignantes".

Je suppose bien que vous en avez parlé à l’équipe. Que dit-elle ?

Aujourd’hui, il m’a demandé de le sortir au bord de l’étang...

C’est une demande à étudier soigneusement.

Quand une vieille personne ne s’adapte vraiment pas à l’institution, elle trouve très vite une solution : la plus simple est d’arrêter de manger ; je ne compte plus le nombre de patients que j’avais remis d’aplomb pendant leur hospitalisation et qui à mon grand désarroi n’ont pas fait trois semaines en EHPAD. Le fait que votre mari soit installé depuis plus d’un an montre que, quoi qu’il dise, il a trouvé ses marques.

Pour autant, le désir de mourir est fréquent à cet âge, et on serait bien malavisé de ne pas l’entendre au motif par exemple qu’ils disent qu’ils veulent mourir mais sont toujours fourrés chez le médecin. Je peux très bien avoir envie de sauter et, au moment de le faire, trouver que la marche est un peu haute. Il faut donc recevoir ce désir ; si je dois aller en maison de retraite, je ne suis pas sûr que la vie va m’intéresser beaucoup. Mais nous n’y pouvons rien, ce n’est pas par votre volonté que votre mari est là où il est.

Après, il faut aussi tenir compte de la manière spectaculaire dont les choses vous sont présentées : on ne va tout de même pas se priver du petit plaisir de vous culpabiliser. Ce n’est pas là méchanceté de sa part ! Il faut se souvenir qu’entrer en maison de retraite implique la perte de beaucoup de moyens d’agir sur son entourage ; la manipulation, c’est mieux que rien.

Soyez fière de ce que vous avez fait.

Bien à vous,

M.C.

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